TOUT VIENT A POINT A QUI SAIT ATTENDRE

Hervé Lénervé

Ah, l’impatience des jeunes.

La petite Julie était une enfant charmante du bas de ses cinq ans, elle ne manquait pas d'aplomb. Elle enchantait les adultes par ses réponses cocasses et naïves. On sentait l'enfant intelligent, produit d'un potentiel génétique riche et d'un apprentissage fait de confort et d'amour. Se lisait chez elle, aussi, une impétuosité peu commune chez une enfant aussi jeune.

En effet les parents de Julie n'étaient pas dans la misère, loin s'en faut, la famille habitait une maison cossue dans les quartiers huppés d'une ville de la vallée de Chevreuse. Le papa était cadre supérieur dans une grande Entreprise du CAC 40 et la maman était décoratrice d'intérieure en freelance. Tous deux adoraient leur fille unique d'autant plus qu'ils avaient eu du mal à l'avoir, si tant est que les difficultés à avoir un enfant puissent en renforcer l'attachement ? Le père avec un poste à  responsabilité avait, bien sûr, des contraintes d'horaires de travail, qui l'empêchait d'être présent auprès de son enfant autant qu'il l'aurait souhaité, mais il savait que son épouse organisait sa vie professionnelle autour de sa fille de façon à ce qu'elle ne soit confiée à des baby-sitters le moins possible.

Tout était ainsi pour le mieux chez la famille Prunier.

Papa Prunier, quarante-sept ans, Directeur général, pouvant espérer une fin de carrière en tant que Président, d'un groupe industriel. Bonne école, bonne présentation, bel homme sûr de lui, mais à l'écoute d'autrui. Fidèle en amitié comme en amour malgré les avances parfois à peine déguisées de ses collaboratrices, de jeunes femmes jolies, charmantes, intelligentes et aussi ambitieuses, mais est-ce réellement un défaut dans le monde de l'Entreprise. Disons que tout dépend des concessions que l'on est prêt à  faire pour arriver à ses fins et dans ce domaine, chacun reste libre de sa déontologie et de sa morale. Tout ceci pour dire, que le bonheur que connaissait le sieur Prunier dans sa petite famille suffisait amplement à sa satisfaction. Sorti du stress et des responsabilités de sa Société, il n'aspirait qu'à retrouver la sérénité et le calme auprès de son épouse et de sa fille adorée. Papa Prunier était littéralement gaga de sa petite Julie et il était conscient qu'il la gâtait trop, mais c'était plus fort que sa volonté, il ne se lassait pas de contempler la joie de la fillette quand il rentrait le soir avec un petit cadeau pour elle.

Maman Prunier le grondait gentiment pour la forme, car elle, aussi, fondait devant les expressions craquantes de sa fille quand elle découvrait un nouveau jouet. N'en aurait-elle jamais assez ? Sa salle de jeux regorgeait de peluches, de poupées, de soldats, de gentils monstres et de jeux électroniques, on ne savait plus où les entasser dans cette pièce pourtant grande comme un petit appartement.

Julie s'était habituée à être choyée et comblée, comment pourrait-il en être autrement ? Son envie de jouets était insatiable, plus elle en recevait plus elle en voulait, on aurait pu parler de besoins compulsifs et obsessionnels chez un adulte, mais pour une enfant de six ans, on dit seulement qu'elle exagère un peu et que ses parents n'ont pas choisi la meilleure méthode éducative pour leur fille.

 

Bien que Julie fut habituée à recevoir des jouets de façon impromptue, elle attendait impatiemment le jour de son anniversaire, car elle savait que ce jour était le sien et qu'elle serait comblée au-delà de toutes espérances enfantines, cadeaux à foison, gâteaux et attentions de tous les instants de ses parents qui pour fêter la nouvelle année de leur fille n'hésitaient jamais, malgré leur emploi du temps surchargé à réserver cette journée entière rien qu'à leur enfant. Pour la petite Julie ce jour était merveilleux et inégalable et aujourd'hui, Ô Joie ! Etait le jour de ses six ans. Comme les autres fois, son attente ne fut pas déçue, ce fut une journée magnifique où ses moindres caprices furent récompensés. Ses parents avaient loué l'assistance d'un clown et d'un magicien pour divertir la petite et ses copines. Aussi le soir encore excitée de l'effervescence de la journée, après que sa mère lui ait lu une histoire et embrassée mille et une fois en lui souhaitant une agréable nuit, la petite Julie, dans son lit douillet, se mit à rêver que chaque jour fut le sien, dans son lit elle fit le veux que son anniversaire revienne chaque matin de suite.

 « Faites que ce soit tous les jours mon jour d'anniversaire à moi ».

 Croyez-vous aux forces de l'esprit ? Non bien sûr, ou du moins dans une mesure raisonnable. Pourtant, ici, la raison, pour une fois, ne fut pas de mise et au-delà de toute rationalité le vœu de la petite Julie fut exaucé. Elle connut des anniversaires à répétition. Elle en fut comblée chaque jour successif fut le sien. Elle enfila quatre-vingt-onze jours d'anniversaire consécutivement…

 

Et mourut à l'âge de six ans et trois mois, ridée comme une vieille pomme et vieille comme une momie.

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