Tranche de vie à peines découpées

dechainons-nous

J'ai attendu Godot , il ne faut pas croire tout ce que l'on raconte !

Je me taperais bien une tranche de vie épaisse comme un impôt social, oui c'est vrai j'avais dit "jamais", mais quand l'addiction est là, on commence en douceur avec la ténacité d'un coureur de fond et on épaissit le trait au fur et à mesure, quand le vin est là aussi, cela ne sert à rien de se tirer il faut laisser la situation se décanter et se faire explorateur en tous genres.

 La lame est étincelante et le crime si beau, alors on taille joyeusement dans le lard comme au bon vieux de la villette, les chairs à vifs saupoudrées de saumure pour retarder la cicatrisation et se rappeler que vivre se mérite. 

Ils avaient dit qu'ils partiraient si leur compétence tarrissait notre appétence, plus leurs promesses se dispersent plus l'accent moralisateur fait saillir les angles et n'arrête d'embellir la pensée unique.  Au final le bilan de tout ce qu'ils ont dit qu'ils feraient  doit être aussi lourd que tout ce qu'ils auraient dû faire et qui est resté accroché au porte manteau.

 Avec mon petit pull marine, j'avais l'air d'un con ma mère, l'histoire m'a appris que je n'avais pas que l'air, les paroles me laissaient sans voie d'issue. Bien sur je n'étais pas seul dans le champ à ramper sous les barbelés à huer et à siffler les pâtres d'un jour, il y avait Vincent, Paul, François, et les autres; quelques vaches perdues sans leur prisonnier, les choses de la vie en quelques sortes, pas de quoi fouetter un chat juste peut être à vous rendre malheureux comme si le bonheur qui trainait dans le pré ne vous intéressait plus et que vous faisiez tout pour l'éviter. 

Chacun trainait son boulet, le boulet standard que l'on trouve dans le catalogue Manufrance, et disponible maintenant dans tous les distributeurs automatiques entre les préservatifs et les coeurs perdus. Ils sont tous identiques et beaucoup d'entre nous rêvent de les personnaliser, c'est important pour notre égo, c'est la projection de notre inconscient, de notre fuite en avant qui s'accroche à nos arrières, une encre que l'on jette à la mer comme une cartouche usée.

La corde était là, suspendue à nul part, se promenant sur nos têtes son balancement lancinant nous hypnotisait. Qui allait saisir cette queue de Mickey ? Qui allait oser rejoindre Scylla ? 

Il y a un je ne sais quoi en moi qui me pousse toujours à aller rejoindre mes regrets, à me faire mal afin de goûter ce moment indicible quand cela s'arrête. J'ai tendu le bras et joint la main au geste, le chanvre était lisse et doux au touché, idéal pour faire une cravate et retenir un souffle de vie. Mon corps était devenu inconsistant comme mon esprit en vagabondage, sans forcer je me suis hissé vers les profondeurs abyssales, le cordon devenait poisseux et à l'intérieur s'écoulait le sérum de vérité, projection nombriliste de ce que je pensais être.. 

Arrivé au premier noeud je ne m'y attardais pas, filant vingt noeuds à l'heure il me fallut moins d'un quart d'heure pour arriver au bout de mon histoire. Le dernier noeud communiquait avec celui que j'avais fait à mon mouchoir. J'ai souvent fait des noeuds à mon mouchoir, c'est comme les noeuds au cerveau c'est rassurant au moment ou on les fait, mais un noeud c'est toujours une entrave et jamais une bouée de sauvetage. Alors j'ai déplié le mouchoir et lu mon message "bienvenue sur le radeau de la méduse". J'avais toujours cru que ce radeau c'était une histoire d'équipage ou de famille qui luttait pour survivre après quelques erreurs passées, hé bien non, c'est une aventure personnelle où l'on vogue à lame de fond en déshérence. 

J'accrochais et bordais mon mouchoir déplié sur le mat, capitaine sans gouvernail, seul maître à bord je savourais la tasse tchin tchin qui m'était gracieusement offerte. Avec un coeur gros comme ça, j'aurais bien mis les yeux à dessaler mais à quoi bon, quand la coquille se referme l'amertume vous ressert une autre tournée. 

Un marin tient toujours debout, même quand le tord boyau de fond de cale déverse ses aigreurs d'estomac. L'ivresse des profondeurs vous enroule dans ses tentacules cajoleurs et vous berce dans l'écume des jours. 

Contre vents et marées je dérivais vers le triangle des Bermudes, j'allais faire le malin avec Méphisto et Belzebuth, la descente aux enfers du triumvirat commençait et le chagrin y laisserait sa peau dans la noyade. 

Se faire niquer les pions de la dame sans prendre garde est un tour dans lequel nous nous faisons tous broyer, La bile gastrique du monstre sur l'autel de la chapelle du dieu profit dissolverait les plus courageux et téméraires.

La corde était redevenue lisse, plus loin que le fond je débouchais dans le néant, c'est Hadès en personne qui coupa la ficelle, et je retombais dans l'herbe à vache. Au dessus de nos têtes se balançait une corde empreinte de ma rage mais prête à hameçonner tout quidam en quête de survivre. 

Dans la cheminée pendu au crochet, le superbe jambon de Mayence attendait que la vie vienne le saisir à pleines dents. Tout le monde le regardait et pensait aux belles tranches qui restaient à découper. 

Lcm 

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