Transplantation

L'équipe médicale suit attentivement la récupération du transplanté. Pourtant, un questionnement métaphysique perturbe leur sérénité. En effet, il est aisé de dire, moi et mon bras devant le membre amputé, moi et ma jambe, moi et ma femme, non pas ma femme, la femme ne compte que pour du beurre ! Mais comment dire, moi et mon cerveau ?

C'était prévisible et le rétablissement du patient le prouva. Le professeur Cétoubon n'avait pas transplanté un cerveau dans un corps, mais un corps autour d'un cerveau. Ce cerveau, c'était moi, Hervé Lénervé, en personne intime, mais plus en apparence publique. Ce corps c'est un autre, dont j'ignore tout, complètement et dont je me fous, éperdument ! Ce que je vois, c'est qu'il est plus grand que mon ancien corps et ce n'est pas plus mal. Plus gros aussi, mais là, ce n'est pas un problème, je vais le mettre au régime drastique d'acétique, le soumettre à un exercice quotidien pour qu'il retrouve une apparence finement musclée, celle que j'aime pour les corps à moi ! De celle qui attire des corps d'elfes à lui, au lieu de les faire fuir  en criant ; « putain, s'il veut me faire un câlin, il m'étouffe, le Terminator ! » Je reprends le contrôle de la machine par une activité neurovégétative, ce que je faisais, à mon insu, sur mon ancien corps, le petit, donc aucun changement pour cette fonction. Maintenant pour ce qui est de ma partie consciente, ce corps ne correspond pas au schéma corporel que je m'étais construit avec l'ancien, le petit. Et là, il y a tout à refaire, peut-on le faire à mon âge adulte ? Mystère ? Mais je sais le cerveau malléable et apte à s'adapter à l'inadaptable, alors aucune inquiétude à ce sujet. Ce qui me pose question, c'est mon visage, que je ne connais pas, car nous n'avons pas encore été présentés dans un miroir. Est-ce un visage plaisant et qui plait, aux femmes, surtout ! Car, si c'est pour plaire à ma mère, c'est trop tard ! Elle a eu la bonne idée de mourir avant qu'on ne lui change de fils.

Ah, l'esprit ! Vaste sujet ! Qui suis-je ? Puisqu'il parait que je suis encore ! En fait, c'est relativement simple, je suis exactement comme avant, le même, avec une autre écorce. Maintenant imaginez-vous, vous réveillez un matin dans le corps d'un autre, c'est perturbant, quand même, moins que de se réveiller dans celui d'une poule, d'un cochon ou d'un ver de terre, mais perturbant, quand même ! Par contre, que pourrait faire un psychisme humain dans un corps tuyau de ver de terre, je vous le demande ? Mais je ne me le demande pas, moi-même, car je n'ai aucune affinité particulière avec les vers de terre ou même, de mer ou encore de ciel ! Mon mari ver de terre !

Aujourd'hui le chirurgien est venu me voir, il est embarrassé, car il ne sait pas de quel nom m'appeler, celui du corps ou celui du cerveau ? D'ailleurs pour l'administration quelle sera mon identité ? Dans quelle famille devrais-je aller vivre ? J'ai une épouse que j'aime, voudras-t-elle me reprendre et l'autre si cela se trouve il a mégère pour femme et des obligations pour maîtresses ? Que de questions ?

-         Bonjour docteur !

-         Bonjour monsieur… comment vous sentez-vous ?

-         Ma foi, bien, physiquement, bien ! Mais j'ai de petites incertitudes identitaires.

-         C'est normal ! Il faudra du temps. Quel est votre nom ?

-         Vous plaisantez ?

-         Je voudrais être sûr !

-         A votre avis ?

-         Je n'en ai pas, c'est une première.

-         Pour moi, je ne me connais que sous le patronyme d'Hervé Lénervé.

-         Moi, j'ai un autre nom sur l'étiquette du cerveau que l'on m'a donné.

-         Normal, j'utilise un pseudo sur WLW !

-         Ok, alors donnez-moi votre véritable nom.

-         Je n'ai pas le droit, c'est une question de respect de ma vie privée.

-         Bien sûr, Moi, même, vous pensez bien que je ne m'appelle pas Cétoubon, voyons ! dites-le-moi à l'oreille et je vous dirai la recette de la pâte de coin.

-         Ok ! vous ne connaitriez pas plutôt celle de la tarte tatin ?

-         Désolé, non !

-         Dans ce cas, vous ne saurez rien de moi !

-         J'ai les moyens de vous faire parler !

-         Vous n'auriez pas fait votre médecine à la fac d'Auschwitz, des fois ?

-         Si, pourquoi ?

-         Pour rien, juste comme ça ! Allez, approchez, je vais vous souffler mon haleine identitaire aux oreilles.

***

A suivre… si le cœur m'en dit ? Le cerveau obéira, peut-être ?