Tremblante

franekbalboa

Elle avait mauvaise mine ce jour là. Je vis immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond. J'ai eu l'habitude d'essuyer quelques larmes sur ses joues, mais celles-ci qui ne coulaient pas mais abreuvaient abondamment son âme allaient être plus dures à apaiser. Elle était amaigrie. Je ne l'avais pas vue depuis plusieurs mois, ses cernes étaient marquées et une grande inquiétude marquait son visage. 

Nous échangions quelques minutes, puis un regard terrifié, elle prit la fuite. Je ne me formalisais pas, sentant que quelque chose n'allait clairement pas. Je décidai de la laisser tranquille, estimant qu'elle avait sans doute besoin de repos et de détente. La journée passa et vint la fermeture. J'enfilais ma veste, sortit, puis pris le volant jusque chez moi. 

À mon arrivée, je mis un morceau de musique et me préparai un petit quelque chose à manger. Puis laissant le tout chauffer, je m'installais confortablement sur mon petit canapé sous une couverture. Je lus mes messages, puis remarquai que quelqu'un m'avait contacté. Je fus surpris de découvrir que c'était elle. Elle s'excusait de son côté fuyant, et m'informa simplement qu'elle avait un gros souci. 

Je la rassurais, autant que je le pouvais, je sentais que c'était plus qu'un gros souci. Elle était épuisée et amaigrie, j'avais encore en tête son regard totalement vide d'énergie, elle qui est d'habitude si pétillante et pleine de malice. Nous échangions toute la soirée. Sur beaucoup de choses, je ne sais pas pourquoi moi, mais elle avait besoin de parler à quelqu'un. Elle s'était donné du mal pour me contacter-je ne suis pas facile à trouver sur les réseaux si l'on ne connaît pas mon surnom- je voulais donc comprendre pourquoi. 

Quelques jours plus tard elle me proposa un café. J'acceptais bien volontiers. Je la retrouvais au centre commercial près de chez elle. On a bavardé longtemps. Je la sentais se détendre, puis je lui proposais d'aller au bord d'un lac situé non loin. Elle acceptais avec un sourire un peu gêné. 

Puis je finis par mettre les pieds dans le plat. J'avais remarqué qu'elle passait régulièrement la main au niveau de sa poitrine, et de ses cheveux. Elle semblait mal à l'aise avec les deux. Je lui demandai clairement pourquoi elle avait voulu qu'on se voie. Elle trembla quelques instants, silencieusement, nous étions assis sur un banc, le coin était étonnamment calme d'ailleurs, j'étais habitué à voir plus de monde. Elle finit après quelques minutes par prendre une grande inspiration. Elle m'indiqua d'une voix tremblante qu'elle souffrait d'un cancer du sein, depuis plusieurs mois. Je sentais qu'elle était terrifiée d'en parler. Je lui expliquais que ça allait être compliqué, mais qu'il fallait qu'elle croie que ce ciel empli de nuages allait finir par s'éclaircir et qu'elle s'en sortirait. 

Elle enleva alors sa perruque, me regardant, les larmes aux yeux. Elle ouvrit également sa veste très ample, en dessous de laquelle un t-shirt laissait entrevoir qu'il y avait eu ablation. Elle parla très lentement, chaque mot semblait lui coûter. Et elle finit par ces mots qui raisonnèrent à mes oreilles:

"J'ai perdu un sein, une partie de ma féminité, mes cheveux, une autre partie de ma féminité, je suis affreuse." 

Des larmes se mirent à couler sur ses joues, son visage était plus fatigué que jamais, plus sincère aussi, plus terrifié. 

Je restais muet et immobile quelques instants, la regardant droit dans les yeux. Puis je finis par l'enserrer contre moi. Caressant sa tête pendant plusieurs minutes, je la sentais renifler bruyamment et continuer de pleurer. 

Après une étreinte dont j'espérais qu'elle ressente mon affection, je lui murmurais:

"La féminité ne se résume pas aux cheveux ou aux seins, vous n'avez rien perdu, si ce n'est quelques cheveux, et un bout de poitrine. Je n'ai pas la prétention de dire que je sais ce que ça fait, mais je ne pense pas que vous êtes affreuse, ces deux cicatrices là montrent que vous avez gagné votre combat. Vous êtes forte. Vous êtes bien plus belle que vous ne le croyez. Même avec un seul sein, même sans cheveux, vous restez une femme. Seulement vous faites partie de celles qui se seront battues et qui auront gagné. Je ne dirai qu'une chose, c'est votre âme qui est belle. Et c'est ce qui fait que vous restez belle malgré tout."

Elle avait subi l'étreinte dans un premier temps, mais alors que mon pseudo-discours maladroit fut fini, elle passa ses bras autour de mon torse et serra très fort, elle continua de pleurer de longues minutes, me remerciant plusieurs fois. Elle arrêta de m'étreindre, puis s'essuya les yeux et se moucha. Elle sourit alors. Ce n'était pas le sourire crispé et gêné que j'avais vu quelque jours plus tôt. Elle souriait sincèrement. Ses yeux bleus et humides semblaient lavés de quelque chose, je n'y décelais plus la moindre once de peur, il y avait du soulagement. 

On a continué d'échanger, de parler, elle garda sa perruque à la main. Je la raccompagnais en fin d'après-midi chez elle, et alors que je la déposais, elle m'embrassa la joue, rosissant légèrement, puis elle me murmura:

"Merci pour tout, je suis soulagée... Je... On peut se revoir ? 

-Avec plaisir !" 

Elle sourit encore plus, empruntant l'allée, je repartis chez moi, un peu rassuré de la voir avec ce sourire là. 

Sur la route, j'entendis mon téléphone sonner deux fois. Je n'en tins pas compte, puis arrivé chez moi, deux messages. 

" Merci, je voulais pas que ça s'arrête. Désolée si le début a été pénible."

Et le second, quelques minutes après. 

"Vous m'avez faite trembler. Vous avez une voix tellement rassurante. J'étais terrifiée, vous avez su m'apaiser, je me suis même senti belle... Merci encore. A bientôt" 

Nous nous reverrons, c'est certain. Cette idée me plaît énormément. 

  • Les gens sont beaux au delà des apparences. Vous avez réussi à lui dire, et elle vous a entendue. Vous avez appaise un coeur. Vous aussi avez une belle âme. Merci pour votre générosité.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    00

    gone

    • Merci pour ce compliment, mais suis je réellement généreux ? Je n'en sais rien...

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Djinn

      franekbalboa

    • Pour donner ce que vous avez donné... Ou vous êtes un psychopathe qui se régale du malheur des autres, et qui joue la comédie avec brio... Ce que je trouverais pathétique et dommage.
      Ou vous êtes une personne très généreuse. Pour donner de vous sans condition, sans hésiter, pour insufler le bonheur, cette once de paix qui manquait à cette femme... Oui. Nous vivons dans un monde si individualiste... être généreux est une valeur en voix de disparition. donner de soi... oui. je pense.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      00

      gone

    • Après... vous vous connaissez mieux que moi... je viens de lire un texte. J'ai partagé mon ressenti. :)

      · Il y a plus de 5 ans ·
      00

      gone

  • En tant qu'ex-cancéreuse du sein récidiviste et mastectomisée, je comprends très bien ce témoignage. Pour autant je me bats depuis des années contre cette idée consistant à dire que perdre un sein consiste à perdre une partie de sa féminité. C'est perdre de la symétrie physique, des sensations, c'est s'emmerder pour s'habiller surtout l'été et dans l'intimité, c'est cher d'acheter de la lingerie moche adaptée, mais heureusement, la féminité est surtout bien ailleurs enfin selon moi.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

    • Je peux pas comprendre.. Mais je peux imaginer. Après l'hypersexualisation ambiante n'aide pas. Mais bon, je suis content qu'elle se sente un peu mieux

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Djinn

      franekbalboa

    • Oui bien sûr. Je vous invite à lire un texte que je viens d'écrire sur ce sujet.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • Texte sensible qui a su éviter le pathos ! :o))

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

Signaler ce texte