Trois petites gouttes (extrait)

dimitrilobet

Chapitre 1 Le réveil - Première partie
C.Benevolentiae : Je voudrais d'abord préciser que le premier jet de mon roman vient d'être terminé. Ce texte est donc le fruit d'une succincte et première correction stylistique. A lire comme tel, et non comme un travail finement abouti... 


"Elle était toujours en moi, cette eau froide et destructrice qui m'avait emporté hors du bateau."
 

                        Le vide pesait dans ma mémoire. Les bips des machines qui mesuraient ma fréquence cardiaque et mon activité cérébrale alarmaient mes sens.
J'ouvris les yeux. Ils étaient secs puis douloureux, sensibles à la lumière.

— Sophie, il reprend connaissance ! Serre-moi la main, Marc tu m'entends ? C'est moi, c'est Marianne.

Marianne.     

Elle étreignait ma main et avait posé la sienne en dessous, juste dans sa paume. La chaleur contrastait avec mon corps. Sophie était à ses côtés, bouche bée. Un miracle venait de se produire sous ses yeux. Ses cheveux en bataille retombaient en boucles sur ses joues blêmes. Un marteau frappa de l'intérieur. Et si je succombais là, tout de suite .

— Comment vous sentez-vous ? 

Le médecin me posa la question en harcelant mes pupilles, armé de sa torche. Il baissa mes paupières inférieures, je devais la suivre du bout de son doigt charnu. Impossible.

— Froid. Soufflai-je avec difficulté. Plein d'eau partout.

Il me regardait à peine, j'avais la folle impression d'être un cobaye qu'on auscultait.

— Comment vous appelez-vous ?

— Marc.

— Savez-vous quel jour nous sommes ?      


           Le vide. Je ne répondis pas, le fixai dans le blanc des yeux et tentai de reprendre un souffle régulier. Le soleil tapait sur le mur. L'horloge en face de moi était difforme et tournait. J'arrivais tout de même à distinguer la grande aiguille à plat sur le côté gauche du cadran. C'était certainement le matin.

— Nous sommes vendredi, le 24 août.

— Pourquoi suis-je là ? Ma gorge rouillée se décoinçait, rouage que j'avais réussi à graisser.

— Vous êtes tombé d'un bateau. Votre collègue a essayé de vous réanimer en vous remontant, sans succès. En plus d'avoir frôlé la noyade, vous avez subi un choc assez important. Votre traumatisme est à surveiller de très près.

— Je ne me souviens de rien.

Marianne prit un air soudain très sérieux.

— Attend, comment ça ? Tu ne te rappelles absolument rien ?

Mouvement horizontal de la tête. Aucune image.

— On est où ?

Sophie me répondit qu'on se trouvait à Marseille, à la Timone. Je ne pensais pas être aussi loin de chez moi. Quel affreux nom pour un hôpital.

— À quand remonte votre dernier souvenir Marc ?

            Quand je repensais à ces instants, il y avait plein d'eau partout... Mais ce souvenir-là, on aurait dit un songe. Un événement de notre vie si lointain, on ne sait plus. Je l'ai rêvé où c'était réel ? Je ne parvenais pas à mettre un seul mot ou une seule image sur mon voyage ici. L'apparence du bateau m'était aussi inconnue. J'imaginais malgré moi un petit navire de pêche loué aux abords d'un quai.

Le froid. Plein d'eau partout. Voilà ce dont je me souvenais.

            La pendule affichait maintenant 10 h. J'arrivais à la voir correctement et percevais ce qui se passait autour de moi, en tout cas dans sa généralité            . 
Marianne, maternelle et bienveillante. Sophie qui regardait dans le vide et tortillait ses mèches d'une main, déchiquetait ses ongles de l'autre. Le médecin était rivé sur le dossier au bout du lit avec son beau stylo Mont-Blanc. Encore un de ces médecins qui voulait feindre un genre aisé.         
Il était grand et fin. Ses lunettes identiques à des loupes lui donnaient un air de mouche laide et frêle. Une gomina informe et grasse écrasait ses cheveux. Sans parler de ses joues creuses et de ses golfes dégarnis qui ne lui rendaient pas hommage.   

Heureusement que le stylo avait fière allure.

                En essayant de me lever, la gerbe me gagna. Il me plaqua au fond du lit. Mon indépendance prenait un coup. Je ne supportais pas qu'on me donne des ordres, et encore moins qu'on me force ainsi.      
La sonde me gênait énormément. On m'expliqua qu'elle mesurait ma pression cérébrale pour éviter d'autres complications. Très rassurant. Visiblement, c'était grave.

— Je veux rentrer chez moi.

— Le traumatisme qui pourrait empirer, nous vous gardons au moins quarante-huit heures en observation. Vous comprenez ?

            Cette sale mouchette souhaitait me conserver dans sa colle nauséabonde. Les odeurs de cet hôpital me répugnaient. Mort. Chlore. Soupe. Je déglutis. Les vannes de mon estomac étaient prêtes à céder.

Alors, comme tout le monde aurait cru bon, je comptais. Nous étions vendredi, je rentrerais donc dimanche après-midi au plus tard, s'il n'y avait aucune complication. C'était beaucoup trop long à mon goût. Mon impatience me torturait.

Marianne me fit signe de garder mon sang-froid. Elle articulait ses mains de haut en bas, comme pour se préserver de l'attaque d'un animal sauvage. Je vous égorgerai. 
Je pris sur moi, détournai le regard et devins de marbre.

            Le médecin parti, Marianne et Sophie ne purent s'empêcher de me poser mille questions sur ce que je ressentais.

— Tu es bien sûr de n'avoir aucun souvenir ? m'interrogea Marianne, inquiète.

Mouvement horizontal de la tête, deuxième édition.

Je tentai de m'endormir tandis qu'elles discutaient, se rassuraient mutuellement. Leurs voix eurent le don de me bercer.            
            Les couleurs de la chambre m'obligeaient presque à plisser les yeux. Les murs étaient peints d'un vert pomme, la rambarde de sécurité : violette et rose. Enfin, les lits se voulaient modernes, mais peu confortables. Je réglai la hauteur et l'inclinaison comme un enfant apprenait à mettre les carrés dans les trous concordants.  
J'entendais le personnel infirmier passer dans le couloir, des bruits sourds de machines, un éternuement, ou une télévision lointaine. Et puis, cette odeur. Mort. Chlore. Soupe.
L'hôpital n'allait pas tarder à venir m'apporter le repas. La pancarte sur le chevet affichait les horaires de distribution. 12 h 30 pour le déjeuner, 19 h pour le dîner. Les visites étaient autorisées entre 11 h et 18 h 30.

            Mon téléphone traînait sur la table en face de moi avec des vêtements, ma montre, et ma chaîne en argent. Je me levai avec difficulté, tins mon pied à perfusion et me glissai jusqu'à elle. Je pris mon portable, retournai dans le lit et essayai de l'allumer. Aucune réaction. Non, mais je n'ai vraiment pas de pot, moi. Probablement plus de batterie.

Aucun chargeur ne traînait. Attendre pour pouvoir rallumer ce téléphone et découvrir les indices qu'il renfermait, c'était impensable.

            Je me sentais crade, collant. Elle était forcément souillée, cette eau. Et elle m'avait suivi jusqu'ici, se faufilait sous la peau. 


*


                        Les rayons du soleil traversèrent le store entre-ouvert de la chambre. Cela me réveilla. J'adorais regarder les reflets lumineux contre le mur lorsqu'un volet était partiellement fermé. Nous avions les mêmes chez mes parents. La nostalgie.

Je voulais absolument m'infiltrer par les petits trous, voir ce qui se passait là, dehors. Je fis donc pivoter mon corps et me mis assis pour que mes jambes flottent au-dessus du sol. Tel un enfant en bas âge, j'avais peur de poser mes panards sur le lino, de perdre l'équilibre et de tomber. Ce matin, je me sentais étrangement plus faible que la veille.

            Le sol était gelé quand mon pied gauche s'y posa. En poussant de toutes mes forces sur mes bras encore tremblants, j'appuyai sur mon pied droit et me levai enfin.

Je m'avançai à la fenêtre et penchai la tête. Il faisait beau, les palmiers ornaient la ville de Marseille ensoleillée. Au loin, sur une colline à droite de l'hôpital, se dressait Notre-Dame-de-la-Garde. Majestueuse Marie connue de tous qui protégeait les marins et surplombait le paysage. J'apercevais aussi le littoral, la mer s'étendait à l'infini. Plein d'eau partout. 
La nausée m'envahit et je détournai le regard sur le bâtiment et sur les longues avenues rouge et ocre qui se trouvaient au centre de ma vue.         
On entendait les mouettes piailler, les voitures klaxonner et les poissonnières gueuler. Aucun doute, c'était bien le sud de la France. Rien à voir avec ma Lorraine froide et germanique.

— Monsieur Dellot, allongez-vous, vous êtes encore faible !

— Je voulais juste observer dehors, on est à l'étroit ici.

L'infirmière était une belle jeune fille qui répondait au prénom de Clara à en juger par son badge. Modérée et rassurante, elle était tout le contraire de son médecin.

— Le docteur Da Silva viendra vous voir bientôt. Bon, je dois prendre votre tension et vos constantes. 
Elle amena un meuble à roulette plein d'appareils de mesures. « Da Silva », la mouche collante avait enfin un nom.

            Pendant que Clara serrait le tensiomètre autour de mon bras, j'observais le tuyau de la perfusion, je voyais du sang couler à l'intérieur et se mélanger au médicament qui gouttait dans la poche au-dessus de moi. Je rêvais de me l'arracher d'un coup sec, comme un pansement. Et cette sensation d'aiguille plantée dans les veines me glaçait le sang.

— Bon, il faut prendre des forces maintenant. dit-elle en posant le plateau-repas devant moi.

Mort, Chlore, Soupe ! Respire Marc…

            Le petit déjeuner était composé d'un verre de jus de fruits, d'un morceau de pain avec du beurre, de la confiture et d'un yaourt nature sans sucre. Aucune soupe réchauffée à l'horizon, amen.
Je commençais à manger quand l'insecte Da Silva vint vrombir à mes oreilles. Cette envie instinctive et animale de lui arracher la trachée avec mes incisives envahissait nombre de mes fantasmes. À la place, je déchiquetai un morceau de pain. Je devais l'écouter dégueuler son jargon.
Bon, il commence à me courir, lui.           
— La seule chose que je veux savoir, c'est quand je pourrai rentrer chez moi et quand mes souvenirs reviendront.

Il s'arrêta net, les yeux grands ouverts. La mouche devint hibou.

— Euh, ça dépend des cas. Vous passerez quelques tests et vous bénéficierez d'un suivi médical et psychologique. Mais, en attendant, vous devez vous reposer. Finissez de manger et vous pourrez partir demain si aucune complication ne se présente.

Il partit et ferma la porte. J'aurais dû lui clouer le bec plutôt.


*


                        Un jour passa, je me sentais comme un oiseau en cage complètement affolé, battant des ailes et braillant pour sortir. Marianne et Sophie rentrèrent dans la chambre.

— Alors, comment il va mon chou ce matin ? Bon, je t'ai acheté des bonbons.

Marianne me tendit le paquet en le secouant devant moi comme on promettait un cadeau à un enfant. Je ne pus m'empêcher de sourire, gêné. Toujours très fantasque dans son style vestimentaire, dans ses mouvements. Elle était un vrai rayon de soleil pour son entourage. Tout l'inverse de moi qui aimais être très classique. Le genre « chemise blanche, pantalon noir ».

Aujourd'hui, évidemment, seul mon pyjama d'hôpital vert anis me servait de vêtement.

— Le médecin est venu te voir, alors ? Il faudrait qu'on en sache plus, quand même. dit Sophie, inquiète.

— Hier. Mais depuis, il n'est pas revenu. Il passera sûrement dans la journée pour me dire si je peux partir ou pas.

            J'espérais vraiment qu'il me laisserait partir. Je ne supportais plus cet hôpital, j'avais cette nostalgie qui battait en moi. Oublier cet endroit, retrouver mes souvenirs, mes repères. Mort. Chlore. Soupe.

            Je devrai éplucher toutes les solutions pour recouvrer la mémoire. Pour savoir si mes recherches avaient donné quelque chose, si j'avais trouvé ce que je tentais de découvrir. Une espèce marine, peut-être. Étant biologiste spécialisé dans ce domaine, je ne voyais que cette hypothèse. Si c'était le cas, personne ne me l'avait encore dit.

— Dis Marianne, qu'est-ce qu'on observait sur ce bateau ? Pourquoi on était en mer ?

— Hein ? dit-elle, remettant sa robe correctement.

— On cherchait quoi, ici ? La question paraissait claire.

— Une algue. Mais, on n'a rien trouvé. Elle avala trois bonbons, d'un coup.

Le docteur Da Silva entra sans toquer, une tension envahit la chambre.

— Bonjour, monsieur Dellot. Alors, je vais prendre votre tension, faire quelques contrôles de routines et vous pourrez partir. Si vous voulez bien nous laisser deux minutes.

Marianne et Sophie sortirent en marmonnant. Je les imaginais l'oreille collée contre la porte.

Le hibou m'entoura le bras, il me compressait si fort que mes muscles allaient céder.

— 12,8. bon, c'est plus que correct. Vous avez eu des souvenirs depuis votre réveil ? Des images, des sons, des odeurs ?

Je secouai la tête.

            Après m'avoir souhaité un bon rétablissement, Marianne et Sophie rentrèrent dans la chambre. Je devais absolument retirer mon bracelet et le jeter. Heureusement, Marianne avait un ciseau et coupa le bracelet d'un coup net. Nous pouvions faire mes affaires et partir.

— Mon téléphone, il ne s'allume pas. L'une de vous aurait un chargeur ? Marianne me regarda avec de gros yeux.

— Oui ?

— Écoute, je suis désolée, mon chou. Il est tombé du bateau avec toi. Je l'ai plongé dans du riz, je l'ai séché, et j'ai même essayé de le recharger avec le chargeur d'une dame très gentille à l'accueil, mais rien n'y fait. Je pense qu'il est mort.

— Ah. Bon, c'est gentil d'avoir essayé.

            Sophie me rassura en faisant référence au cloud, ce n'était qu'un téléphone. Ça se rachetait, après tout. J'acquiesçai en me disant que j'avais sûrement un très mauvais karma. 
Une fois sortis de l'hôpital. Sophie partit s'occuper de l'hôtel où elles étaient. Marianne et moi allions nous promener près du littoral. 

            Peut-être, restaient-ils quelques réponses ou quelques lieux familiers à découvrir avant de partir de la ville. 

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