Tumeur, bonheur, chassez l'intrus...
Jean Claude Blanc
Tumeur, bonheur, chassez l'intrus…
Ces derniers jours, ça me coupe la chique
N'est plus question de politique
Y'a une nouvelle plus tragique
Un de mes proches de mon âge
Les pinces du crabe le ravage
Comme les éclairs avant l'orage
60 piges, jeune retraité
Bien qu'il gueuletonne sans faire d'excès
L'autre crustacé lui fait la guerre
N'ose pas le nommer, sinistre cancer
A ses marottes, réfractaire
Traitre, vicelarde cette maladie
Qu'on sent pas venir, plein d'énergie
L'a envahi sans aucun bruit
Le mine lentement et le détruit
Depuis des mois qu'il se plaignait
De ses migraines à dégueuler
Enfin consulte son médecin
Et après nombres d'examens
Lui a déballé sans se dérober
Que c'était le début de sa fin
Peut-être pour le consoler
Sans garantie, lui a prêché
Qu'il fallait quand même essayer
Le protocole, l'engager
Avec la chance, sait-on jamais
En réchapper quelques années
Manquait que ça pour ses angoisses
Etant poursuivi par la poisse
Savait d'avance ce qui l'attendait
Pourquoi souffrir, se lamenter
Qu'un pion en moins sur l'échiquier
Par principe s'est conformé
Aux instructions de l'Homme de Sciences
(Conseil de l'Ordre, dont on se dispense
Prendre son mal en patience…)
Pour éviter les conséquences
Pourtant conscient qu'en vérité
Que pour lui les dés étaient jetés
Cela confié avec pudeur
Par le toubib, bonimenteur
Pianotant sur l'ordinateur
Une ordonnance à faire peur
Luis cachant pas tous ses malheurs
Franchise toujours de rigueur
Pour Hippocrate sermonneur
Ne s'agit pas verser des pleurs
Ni de commettre des erreurs
Partie de plaisir, chimio, rayons…
Pour quelques temps la rémission
S'en suivra une opération
Après, à voir faire selon
Le cœur vaillant ou moribond
Amer rituel, chaque semaine
A l'hôpital faire la chaine
Potion magique dans les veines
Mais cela en vaut-il la peine
Presque macchabée, la soixantaine
Malgré tant de soins, c'est pas la gloire
Perd ses cheveux, le teint blafard
Trouve plus le goût à ce qu'il bouffe
Même d'avaler déjà s'étouffe
Essaye quand même donner le change
De son calvaire s'en arrange
Même s'en moque, fin d'esprit
Plus que ça à faire complètement cuit
Face à sa dure réalité
C'est sans détour qu'il m'a confié
Qu'un de ces jours va y passer
Sent bien venir le couperet
Même qu'en sursis, va profiter
Du temps qui reste, ça de gagné
Plus qu'un frère, 2ème moi-même
Entre nous 2, pas de chichis
Pour se comprendre, aucun problème
Depuis tout petit, de ce pays
Alors pour lui faire plaisir
Je la lui joue, pince sans rire
Complaisamment, s'y prête sensible
A lui faire croire l'impossible
Que sera chouette son avenir
A beau ce cancer, l'envoyer chier
Je le vois bien, plus le feu sacré
Ne fait que semblant de déguster
Nos âneries de cancres écoliers
Par-dessus tout, drôle de têtu
Sa dignité, force le respect
La principale de ses vertus
N'évoque jamais ce qui le menace
Cette saleté, la regarde en face
Le consoler, m'y risque pas
Tellement déteste le cinéma
Lâche peut-être ou consterné
Tant j'ai la trouille d'être infecté
En tous les cas, pote de ma classe
Le laisserai jamais tomber
Prompt à me mettre à sa place
Rien inventé, la vie pas belle
Nombres d'éclopés luttent contre ce mal
Que pour la forme, tellement mortel
Que d'en crever, leur est égal
D'une piquouze magique létale
Toujours debout, quel mystère
Dans cet espace sanitaire
Je lui devais ces quelques vers
Heureusement, santé de fer
Plus de métastases en colère
Font des progrès, enfin j'espère
Nos mandarins pas payés cher
Mais qui méritent qu'on les salue
D'humanité, si solidaires
Au-delà du monde des m'as-tu vu
Hommes de pouvoir, vraiment précaires
Pas mécontents sauver leur chair
Pourtant fustigent la sécu
Comme parlementaires, ne manquent pas d'air
De trous de mémoire, en sont pourvus
Leur cancer c'est Elzeimer
Une leucémie inguérissable
Les en convaincre, peu probable
Assurément inébranlables
Dans leurs fauteuils confortables
Ce soir étant à son chevet
De mon copain bien abimé
Ainsi ça tombe à point nommé
« L'hôpital se fout de la charité »
Bonne occasion le faire marrer
Avant qu'il sombre sans regrets
Etant encore sur le qui vive
Capable de philosopher
« La réussite est relative
Faut-il souvent un peu l'aider »
Autrement dit, tiens bon mon gars
Même si ton sort n'est pas extra
De toute façon, t'as pas le choix
Etant soumis à cette loi :
Soit la mort douce, euthanasié
(Que l'on hésite, à adopter)
Soit être martyr d'expériences
Pour que progressent nos connaissances
Ni l'une ni l'autre, ma solution
Car ne dépense que mon pognon
A m'agonir de canons
Quitte à chuter dans le caniveau
A en gerber tripes et boyaux
Enfin plonger dans le néant
Le découvrir sans voile d'encens
Me fendre le cœur chemin faisant
Pour qu'il s'arrête subitement
Devant mon pote qui m'attend
Même plus la gueule d'enterrement
Vite le rejoindre sereinement
Pour échapper à ce crabe pourri
Mutualiser nos tracasseries
Ne plus en faire une maladie
De cette épreuve qu'est la vie
Pas tous égaux, la foi tant pis
Sûr d'atteindre le paradis
Le corps parfait, pas transpercé
D'aiguilles fines aiguisées
Quant à mon âme, envolée
Je ne sais où, mais libérée
De ses soucis de batailler
Sur cette Terre avariée
Cherchons la cause, non les effets
De ce cancer qui nous tue
Pas difficile de constater
C'est l'atmosphère qui nous pollue
On en recueille les séquelles
De cette nature plus qu'une poubelle
Allergies monstres à la pelle
Pour Pierre Desproges, cette litanie
D'humour grinçant, quel génie
Mais disparu à l'horizon
De ce mollusque avorton
Comme qui dirait : « Etonnant non ? » JC Blanc juillet 2017 (conjuration ou affliction…)