Un pied dehors un pied dedans

aile68

Un pied dehors un pied dedans, on va nulle part, alors je saute à pieds joints dans le tourbillon de la vie. Une dame se retourne sur moi, elle a un amant, je ne savais pas. Stupeur et tremblement elle n'a pas le droit, mais c'est sa vie alors je passe mon chemin impassible (ou impossible je ne sais pas). Je laisse les pierres sur les vieilles marelles, dans mes oreilles le poète murmure une chanson oubliée. Dans la petite boîte carrée il a la tête endolorie de ceux qui n'ont pas dormi et les ongles noirs de ceux qui écrivent à la plume.

Moi mes ongles et ma langue ont le goût des myrtilles sauvages là-haut sur la colline, j'en cueille à pleines poignées avec mon ami Cri-cri. Il est méchant avec les chats mais moi je l'aime bien. Il m'emmène le soir à la périphérie de la ville et on crayonne les tours et les immeubles des grands quartiers sur des cahiers froissés. Moi je lui donnerai bien un baiser mais je ne suis qu'une fille. Alors je rentre avant la nuit,  je rejoins ma soupe et la famille. Rentrer tard ce n'est pas  permis,  mais on mange tard chez nous. ça n'a  pas d'importance. Aux beaux jours, ils me laissent sortir après le repas. Ma journée n'est pas finie.  J'enfourcherai mon vélo et je le retrouverai.

Un pied dehors un pied dedans je suis en porte-à-faut. Mes poches sentent le caramel et le malabar rose. Demain jour de lessive, je sentirai le propre et la javel. Je serai bien sage à l'école mais dans ma tête je brûle mon enfance par les deux bouts. Avec Cri-Cri, je chalouperai encore sur les toits pour de vrai comme les chats la nuit. Je lui donnerai ce baiser qu'il espère tant.

 Sur le chemin de la maison des fois je vois ma mère sous la gouttière. La voisine me regarde par la fenêtre, l'oeil noir. Je devrais être rentrée depuis longtemps. Mon père est devant le téléviseur.

A l'heure où mes copines s'endorment sur leur portable moi je file dans ma chambre sans un baiser. ça se passe comme ça chez nous. Je n'ai que les rêves pour m'endormir. Je suis l'amie des sages et des polis, des apaches et des mauvais cow-boys.

Un pied dehors un pied dedans, le temps est mi-figue mi-raisin. A la périphérie de la ville je n'ai pas de parapluie mais j'ai un ami qui a mis son bras sur mes épaules. Va-t-il me donner un baiser? Sur la joue j'aimerais bien. Sur la bouche ça me mettrait en porte-à-faut. Je ne suis qu'une fille, je n'ai pas quinze ans. A treize ans on a un pied dehors un pied dedans, entre l'enfance et l'adolescence j'ai laissé des pierres sur des marelles toutes effacées.


  • Un très joli texte qui représente le reflet d'une époque, il me semble, où la légèreté était de mise... un registre qui te va bien !

    · Il y a environ 7 ans ·
    W

    marielesmots

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