Un portrait au poil

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On ne peut pas nier que la canonisation est un parcours du combattant réservé à des êtres d'exception. Par exemple, me concernant, je dois concéder que je ne suis pas en odeur de sainteté. Les auréoles sous mes aisselles n'y pourront rien changer, bien que l'on détecte mes effluves sudoripares des kilomètres à la ronde.

Jamais je ne pourrai intercéder pour faire des miracles. D'ailleurs, mon épouse me le rappelle au moins cinq fois par semaine, quand elle se désespère de récurer le lavabo pour éliminer les poils que j'y ai laissés suite à mon rasage.

Jusqu'à il y a peu, je priais sainte Barbe tous les soirs pour que, par l'opération du Saint Esprit, ma pilosité disparaisse de l'évier. Tous les matins, c'était le même constat : ils attendaient que madame arrivât pour trouver un prétexte à me maudire. Il faut croire que sainte Barbe n'appréciait pas l'humour de caserne qui accompagnait mes supplications.

Je pense que j'en ai compris la raison. Au détour d'une lecture, j'ai découvert que, contrairement à ce que je pensais, elle n'est pas la patronne des coiffeurs ou des perruquiers. On pourrait se dire que c'est le toupet et que les voies du Seigneur sont impénétrables. Que nenni, il y a une explication logique que je vais vous détailler.

Levons tout de suite le voile sur les textes apocryphes qui laisseraient à penser que Barbe était une consœur de Marie-Madeleine. Il n'en est rien. On sait désormais que c'est lié au travail de sape de saint Pothin. On peut le dire sans détour, et vous excuserez ma trivialité : saint Pothin était une sacrée langue de pute. Il était toujours prompt à diffuser de fausses informations pour dénigrer ses vénérables collègues. Il n'était jamais le dernier pour jouer au fayot, quitte à pomper des informations auprès de ces satanés trolls. Bref, battons en brèche cette idée que sainte Barbe avait le diable à ses trousses. C'est en cela, n'en déplaise aux philosophes, qu'elle n'est pas la patronne des péripatéticiennes.

Alors, pourquoi est-elle la patronne des soldats du feu ? Barbe avait une passion, la peinture. Après son baccalauréat, elle intégra l'École des beaux-arts. Elle fut très vite repérée pour son style qui se caractérisait par son académisme. À cette époque, les élèves de l'institution avaient, pour dénigrer David, inventé une chanson pour se moquer des guerriers dénudés qui avaient pour seul accoutrement leur casque antique : Un casque est une coiffure qui sied à leur figure. Un casque de pompier, ça fait presque un guerrier.

Ainsi, elle vécut le martyr durant ses études. Les quat' zarts n'eurent de cesse de critiquer son conformisme, eux qui ne juraient que par Seurat, Cézanne et le Salon des indépendants. Quand elle descendait dans l'arène de l'amphithéâtre pour présenter ses travaux devant l'assemblée, elle vivait un véritable chemin de croix. On la suppliciait, lui jetant de la gouache au visage ou en crayonnant une caricature peu avenante. Ce fut toute une palette de moqueries qu'on lui offrit quand elle présenta son Martyre de saint Sébastien ou son Salomé recevant la tête de saint Jean-Baptiste. On lui demanda de dégager ses chevalets du fiel. Elle comprit qu'elle ne ferait jamais parti des huiles.

Dès lors, elle, de nature si pudique, n'eut d'autre choix pour survivre que d'offrir son corps comme modèle à des artistes spécialisés dans le nu. C'était d'autant plus dur que sa pilosité était le fruit de tous les sarcasmes. La pauvrette se consumait de l'intérieur, tant elle craignait que la foudre de l'anathème ne s'abattît sur elle.

Elle dut son salut aux bals du 14 juillet. Alors que les pompiers de la capitale étaient occupés à guincher et à allumer les danseuses, un incendie se déclencha au Louvre. Elle eut une illumination : elle pria pour demander l'intervention divine. Tout ce que les départements des sculptures, des arts graphiques et des peintures comptaient de saints se matérialisèrent.  Ils se relayèrent toute la nuit pour faire la chaîne depuis la Seine, se passer des seaux d'eau et éteindre le brasier.

Les pompiers lui doivent une fière chandelle.

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