Un portrait de ma grand-mère

Combien d'épingles à chignon mettait-elle dans ses longs cheveux blancs ma grand-mère? Quand elle souriait, on eût dit une petite fille heureuse, les autres jours elle avait l'air d'une bougie frêle, prête à s'éteindre, dans son grand tablier noir. Elle avait l'air digne des femmes qui ont souffert dans la vie, une beauté digne, on peut le dire. Le son de sa voix, je ne m'en souviens plus trop, ma mère la fait encore parler à travers ses mots et ses paroles, le temps n'a pas de prise sur ses souvenirs, elle a en tête tout un patrimoine familial. Les photos dans la vieille maison là-bas, c'est moi qui les ai récupérées, j'ai vu des airs de famille voyager d'un pays à l'autre, à l'autre bout de l'océan à travers mes cousins et mes cousines métis ou "blancs". Espoir d'un ailleurs un jour meilleur, le sud et sa crise a encore déplacé des êtres, de nouveaux territoires à conquérir tant qu'il y aura des hommes et des familles à nourrir. Faire sa vie ici ou là, au hasard des amis ou de l'amour, c'est encore le destin de nombreux Italiens du sud. Que de terres, de rues abandonnées! Le soleil a chassé des maisons de pierres tant de jeunes, celle de ma mère a des lézardes sur le vieux mur de la cuisine, des travaux sont à envisager avant qu'elle ne tombe comme un château de cartes. Photos, messages, vidéos voyagent via smartphones et Internet, combien d'épingles à cheveux ma grand-mère mettait-elle dans son chignon? Aujourd'hui les filles ramènent fièrement leur longue chevelure au sommet de la tête, le chignon de ma grand-mère était bien sage, était bien sage.