Une Aventure Militaire Ch. 2 TABDT

loulourna

Une Aventure militaire Chapitre 2-TABDT

TABDT : Derrière ce sigle abscons se cache la hantise de chaque jeune appelé. L’infirmier vous enfonce dans le dos, une aiguille proche de l’aiguille à tricoter pour vous vacciner contre la fièvre typhoïde, le tétanos, la diphtérie et autre chose encore. Les réactions sont plus ou moins intenses, variables chez chacun, mais ce qui est sûr c’est que c’est intolérable, handicapant et douloureux. La cerise sur le gâteau : Vous êtes souvent cloué au lit par une forte fièvre. Pour cette raison, vous êtes consigné pendant 48 heures. À mon incorporation, après ma première piqûre, je m’étais juré qu’on ne m’aurait plus. En France, je parvins, en bluffant, à éviter les deux injections suivantes. J’étais sauvé, mais pour un temps seulement. Lorsque ma mutation pour m’arriva au bout d’un

an pour l’Algérie, ma première pensée ne fut pas de me dire ; ça y est j’y suis, je vais me retrouver sur un piton parmi d’autres dysentériques à surveiller les déplacements éventuels de fellagha dans un désert de roches et de terre inculte dans lequel se dresseraient quelques buissons lépreux et pétrifiés en bouffant le contenu de boîtes de conserves. C’était l’idée exacte que je me faisais de ce qui m’attendait en Algérie. Et bien non, ma principale préoccupation c’était la certitude que je ne couperais pas aux deux TABDT que j’avais intelligemment évités en France. Étant de nature optimiste, j’ai pensé que je trouverai bien un moyen. Et vous pouvez me croire cela a été beaucoup plus facile que je le pensais. Ma destination finale fut une caserne dans un gros bourg de moyenne montagne. Je vous le donne en mille ; mon nouveau job ? Secrétaire à l'infirmerie. Le matin de ma prise de fonction, comme secrétaire permanent, mon premier boulot fut de sortir mon carnet médical, D'y inscrire mes deux piqûres manquantes et pour faire bon poids je complétai avec le rappel. J’appelle permanents, les soldats, qui comme moi gardaient leur poste jusqu'à la quille. Nous étions un centre d'instruction et la plus grande partie des effectifs venaient directement de France, restaient chez nous trois mois pour faire leurs classes puis étaient ventilés dans différents postes de la région.

Un matin, Supiot entra en trombe dans l'infirmerie. Depuis l’histoire du BMC il avait été baptisé Mamelle de 1e classe. — Godès, l'adjudant de semaine t'a donné un tour de patrouille par punition. Depuis que j’avais menacé de l’inscrire pour son rappel TABDT, il ne faisait plus de calembours sur mon nom. Dès mon arrivée, Supiot m’avait regardé d’un air ironique, même graveleux pour m’envoyer, — Tu t’appelles Gode ? Ton prénom c’est Michel ?

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— Mon nom c’est Godès, en insistant bien sur le ès. Et non ! mon prénom c’est Lucien. On n’imagine pas l’humour à la française qui circule

parmi les gars du contingent. J’en ai appris des trucs inutiles mais marrants. Certains me sont restés en mémoire. Vous racontez une histoire à un gars. Lorsque vous avez fini, il vous regarde attentivement et vous pose la question : tu sais combien d’habitants il y a en France ? Vous ne savez pas où il veut en venir. — Environ 50 millions.

— Et tu tombes sur moi pour raconter ta connerie. J’avais un copain qui rigolait comme un fou de ses propres blagues. Il en racontait une en particulier. Il prenait un accent allemand pour balancer : vous serez fusillés tous les matins à l’aube pendant 15 jours, ça vous apprendra à vivre. Il pouvait la raconter plusieurs fois par jour. Il rigolait à chaque fois. Un mec sympa. Maintenant que ces histoires me reviennent en mémoire pour vous les raconter, je les trouve un peu débiles, mais à l’époque, ça nous amusait beaucoup. Quand vous êtes isolé au milieu de nulle part, tous les prétextes à rire sont le bienvenu. L’autre bon côté de l’armée, c’est que vous rencontrez parmi les appelés des jeunes Français de toutes les régions de France, qui pour la plupart son généreux et sympathiques, sensibles et braves ; toujours prêt à vous rendre service. Il y quelques petits cons, bien sûr, mais ça confirme la règle générale. Je ne vais pas faire l’apologie de l’armée, mais dans cet univers assez clos et débilitant, des amitiés, qui en d’autres circonstances n’auraient aucune chance de se développer s’épanouissaient facilement. Mon expérience personnelle m’a appris que ces amitiés qui semblent solides durant votre temps de service se volatilisaient une fois revenue à la vie civile. À part ça l’armée on y glande. Une autre plaisanterie qui pouvait souvent se vérifier : Pour un mec qui bosse, il y en à trois qui regardent. Les plaisanteries sur mon nom ont bien circulé pendant 1 bon mois. j’en ai entendu des endroits ou je pouvais me mettre un godemiché. Jusqu’au jour où j’ai découvert que sans le savoir, j’avais l’arme absolue : 4 lettres fatales : TABDT. Familiarisé avec les carnets médicaux, J’avais rapidement remarqué que sur aucun des livrets médicaux les rappels du vaccin n’étaient inscrits. J’avais le pouvoir de provoquer une convocation pour n’importe qui. Je dis bien provoquer, je n’avais aucun pouvoir de décision. Je pouvais soumettre le nom du gars qui avait besoin d’un rappel au capitaine médecin. Celui-ci lançait une note de service et au rapport l’adjudant de semaine annonçait — Untel, consigné samedi prochain pour son rappel TABDT. Je ne me suis jamais servi de cette menace sur un copain, la brandir avait été suffisante. Je reviens à mon histoire. Etonné, je regarde Supiot. — Fait pas chier Supiot, je n’ai aucune raison d’être puni. En plus l’adjudant m'a à la bonne. — Si c'est ça que tu appelles à la bonne, qu'est ce que ça serait s'il t'en voulait. Je posai mon stylo et me levai. — Si j'y vais pour rien je t’envoie chez l’exécuteur des hautes œuvres pour tu sais quoi.

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Vérification faite, j’avais un tour de patrouille par punition. Le fin mot de l’histoire le voilà. Dans la chambrée, les chaussures devaient être placées à droite au pied du lit. La veille, au rapport (je n’y allais jamais) l’adjudant avait décrété que les chaussures devaient être placées à gauche au pied du lit. Personne ne saura jamais pourquoi ce changement, mais c’est comme ça. N’étant pas au courant, et pour cause, mes chaussures sont restées à droite.

L’adjudant Albertini m’avait baisé. La raison me semblait tellement futile que la rage me tenaillait le ventre en revenant vers l’infirmerie. Eux, bien sûr ils riaient comme des baleines. C’est comme le jour où une jeune recrue est allée porter plainte chez l’adjudant pour le vol de son portefeuille.

— Il était ou, votre portefeuille. — Sur mon lit, mon adjudant. — Vous me ferez une semaine de corvée de cuisine pour avoir induit un de vos camarades en tentation. Toute la chambrée c’est bien marré. Je vous l’ai dit, tous les prétextes étaient bons pour s’amuser. Il n’y a qu’à l’armée où on peut penser qu’on est dans son bon droit, alors qu’on est en faute. Pendant 2 jours je gambergeais une vengeance possible. Une semaine plus tard, Rochais trouva la solution. — Toi qui fous la trouille à tout le monde avec ta TABDT, voilà une bonne occasion de mettre ta menace à exécution. — J’y avais déjà pensé, figure-toi. Je ne peux pas le faire convoquer, il saurait immédiatement qui était le responsable, même si je laisse passer du temps. — Tu es vraiment con, convoques-en plusieurs. — Rochais, tu es un génie. Merci mon pote, j’aurais pu y penser plus tôt. Stratégie nouvelle ; J’ai regardé plusieurs livrets médicaux appartenant aux sous-offs ; sur une bonne vingtaine, aucun n’était à jour. Je me frottais les mains. — Corse pour Corse, Adjudant Albertini, je tiens ma vendetta. Je transmis 15 carnets au capitaine. Celui-ci pondit une note de service qui fit trembler l’infirmerie. Les sous-officiers en groupe ou isolément envahirent l’infirmerie pour avoir une explication. Albertini, me chopa dans l’allée qui mène au mess. — Que se passe-t-il Godès ? — Je n’en sais rien mon adjudant. Les ordres viennent d’en haut. Le capitaine a décidé de mettre les carnets médicaux à jour. Jamais la vérité ne fut connue, sinon je ne serais probablement pas là pour vous en parler. Presque un demi-siècle plus tard il y a prescription. De toute façon, ce fut encore une bonne raison de rigoler.

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