Une bonne soirée ?

nat28

Projet Bradbury - Semaine 35

     Il y a une femme dans mon lit. En me réveillant, ce matin (mais est-ce encore le matin ?) avec un mal de crâne carabiné, j'ai entendu un bruit de respiration derrière moi. Un souffle lent et régulier, un peu marqué sur les expirations. Le bruit n'était pas désagréable, mais il ne venait pas de moi, alors autant dire que j'ai eu un peu peur sur le coup. Je me suis retourné le plus lentement possible pour voir qui partageait ma couche, sans pour autant sortir cette autre personne qui habituellement ne dormait pas sur mon matelas. On ne sait jamais sur qui on peut tomber. 

     Enfin... Façon de parler. En règle générale, on sait avec qui on dort ! C'est juste qu'aujourd'hui, j'avais... un trou de mémoire, on va dire ça. 

     L'être humain allongé à mes côtés possédant une paire de seins, j'en ai déduit que c'était une femme. Et comme elle était nue et dans mon lit, j'en suis arrivé à la conclusion que nous avions dû passer la nuit ensemble. Peut-être pas toute la nuit, mais au moins une partie.

     Mais est-ce que c'est bien mon lit, au fait ?

     Draps bleus en coton, couvre-lit en patchwork (oeuvre de ma grand-mère), table de nuit Ikéa et lampe de chevet fêlée conservée en souvenir de mes années étudiantes... C'est confirmé, je suis bien chez moi, dans ma chambre, et dans mon lit. Cela veut donc dire que j'ai ramené la femme qui dort encore à mes côtés dans mon appartement. Et qu'elle m'a suivi de son plein gré. C'est plutôt bon signe.

     L'idéal serait que je me souvienne de l'identité de cette femme. Si mes plans pour la soirée d'hier n'ont pas été modifié en cours de route, j'ai dû la rencontrer au pub, où je fêtais l'anniversaire d'un de mes amis hier. Je séduis rarement dans le métro, en rentrant, trop alcoolisé, d'une soirée entre amis. Le pub, j'y vais souvent, sa tête, elle ne me dit rien, ce ne doit pas être une habituée. Une nouvelle venue dans le quartier ? Une étudiante ? Une touriste ? Je me redresse tout doucement pour m'asseoir dans le lit, ce qui me donne un aperçu de ses vêtements, éparpillés sur le sol : un jean, un T-shirt blanc, et des sous-vêtements très classiques. Aucun indice quand à la provenance de la jeune femme... Mais bon, il est assez rare de tomber sur une Bigouden ou sur une Eskimaude en habit traditionnel quand on va boire un verre un samedi soir.

     Quand je dis "boire un verre"... Je ne vais pas me mentir à moi-même, j'en ai descendu, des bières, hier soir. Quelques shots de Téquila aussi. Les tournées se sont enchaînées, on avait un anniversaire à fêter aussi ! Loin de moi l'idée de mettre mon amnésie partielle sur le compte de l'alcool, de toutes façons, j'ai déjà tenté ce genre d'excuse, et ça s'est très mal terminé.

     Je me glisse hors du lit et je constate que je suis nu comme un vers. Je récupère mon caleçon, qui a volé dans un coin, et j'enfile mon peignoir qui traîne sur une chaise. L'inconnue dort toujours paisiblement. Je prends une minute pour l'observer, histoire d'essayer de me souvenir de son prénom, mais aussi pour profiter de la plastique de ma belle endormie. Pas mal. Pas mal du tout. Un visage harmonieux, une poitrine généreuse, des fesses sublimes... Le destin m'a mis sur la route de cette magnifique créature, et je suis incapable de me rappeler où, quand, comment, et pourquoi elle a finit dans mon lit !

     Je quitte la chambre sur la pointe des pieds pour aller me faire un café. Mon mal de crâne se rappelle à mon bon souvenir, j'ai un besoin urgent de m'hydrater. J'aperçois le sac à main de ma conquête (où suis-je la sienne ? Comment savoir ?) dans l'entrée, et je me retiens de fouiller dans le dit sac pour (re)découvrir son prénom. Elle se rendrait compte que quelqu'un a mis le nez dans ses affaires, et je ne veux même pas imaginer la crise que cela pourrait déclencher. Déjà que je ne me souviens de rien... Pas très classe après avoir passé la nuit avec un autre humain.

     D'ailleurs, jusqu'où a été notre rencontre ? Câlins, baisers passionnés, caresses enfiévrées, pénétration ? Où nous sommes-nous arrêtés au juste ? Une angoisse me saisit soudain : si sexe il y a eut, nous sommes-nous protégés ? Ma partenaire d'un soir était-elle plus lucide que moi au moment fatal ? Et assez responsable pour partir en quête d'un préservatif ?

     Un seul moyen de le savoir : retrouver le fameux morceau de latex. Vu mon état hier soir, j'ai dû le balancer sous le lit... Je retourne dans la chambre et je m'aplatis au sol pour scruter la moquette sous mon lit. Rien... Nous n'avons rien fait ou nous ne nous sommes pas protégés ? Qu'est-on censé dire à son enfant dans ce cas là ? "Papa et maman ne connaissaient pas leurs prénoms respectifs et ils avaient tellement bu que, miracle ! Neuf mois plus tard, tu es arrivé, et nous t'aimons très fort !" L'horreur !

     Elle bouge ! Je me relève et je lui souris, un peu gêné. Elle me sourit aussi, et elle est encore plus belle éveillée qu'endormie. Elle s'enroule maladroitement dans le drap et elle sort du lit, sans un mot, pour récupérer ses vêtements. Je lance un timide "bonjour" puis je m'éclipse dans le salon pour lui laisser un peu d'intimité pendant qu'elle se rhabille. Et pour me m'accorder un temps de réflexion plus que nécessaire.

     Que dit-on exactement à une femme que l'on a retrouvée nue dans son lit mais dont on n'a aucun souvenir ? Est-ce que Google a une réponse à ce genre de question ? Est-ce qu'un jour Siri sera assez évoluée pour traiter de goujats tous ceux qui oseront lui soumettre cette requête ?

     Ce n'est pas que je sois contre l'idée d'avoir une jolie fille entre mes draps, je suis plutôt pour, même, mais c'est la première fois que je passe de "seul" à "accompagné" sans savoir comment j'ai obtenu ce résultat ! Il est plutôt rare que je me réveille à côté de quelqu'un, en fait. Ce serait bête de tout gâcher à cause d'une bête surdose d'éthanol ! Je vais lui faire un café et une tartine, à défaut de lui faire la conversation, il serait de bon ton de l'alimenter un peu.

     Elle sort de la chambre, encore plus éblouissante vêtue que nue. Elle est encore un peu décoiffée et ses yeux sont légèrement bouffis, et, étrangement, cela la rend encore plus belle. Je lui tends la tasse de café sans un mot, attendant qu'elle prenne la parole en premier. "Merci !" s'exclame-t-elle en s'asseyant dans le canapé.

     Elle parle ma langue, sans accent, exit l'hypothèse de l'amante exotique en voyage.

     "Quelle nuit !" réponds-je avant d'avaler une gorgée de café, histoire de lancer le sujet. Elle rit et croque dans sa tartine. Un silence étrange, à peine troublé par ses bruits de mastication, s'installe dans mon salon. Ne va-t-elle pas me répondre ? Refuse-t-elle de me donner le moindre indice ? Essaye-t-elle de me tester ? Je reprends une gorgée de café. 

     Elle se relève, toujours sans un mot, et elle dépose sa tasse sur le comptoir de la cuisine. Je tente un rapprochement en passant ma main autour de sa taille pour l'embrasser, mais elle me repousse gentiment. 

     "Ecoute, c'est un peu gênant, mais... j'avais vachement bu avec mes copines hier soir, et... Bon, je me souviens pas de ton prénom, c'est un peu la honte. En fait, je suis rentrée avec toi parce que j'avais pas envie de prendre le bus de nuit en fait... Et t'inquiète, on s'est retrouvé à poil parce qu'on avait chaud, on n'a pas... OK, on s'est un peu tripoté, mais rien de plus ! Voilà... Désolée, c'est pas classe. Je vais y aller, hein, c'est mieux".

     Elle m'embrasse furtivement sur la joue, elle récupère son sac et ses chaussures, et elle sort de mon appartement sans se retourner. Dommage. J'aurais pu tomber amoureux.      

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