Une femme

J'ai connu une femme forte et fière, la détermination d'un bélier dans le regard. J'ai appris d'une femme droite et honnête, prête à dévouer sa vie pour ton aide. J'ai grandi auprès d'une femme douce et généreuse qui m'a donné son savoir pour affronter le lendemain. Cette grande femme m'a dit un jour "je veux guérir mon coeur, et allah mon coeur guérit. Je tiens à sa blancheur, je tiens au paradis".

Ayant vécu sept ans à l'île de la Réunion, elle avait travaillé dans un grand restaurant local à la Plaine des Palmistes, petit village perdu dans les hauteurs de l'île. On y faisait 4 services chaque midi, parfois jusqu'à dix lors d'événements exceptionnels. Les deux gérants, Jean-Marc un indien musulman, et Agit, indienne elle aussi mais tamoul, s'occupaient de l'établissement avec une rationalité digne de ceux qui ne s'encombrent pas de l'inutile. Plus clairement: le service était un fouillis incroyable, et pour autant parfaitement organisé et efficace. Le personnel était une grande famille, certains étaient payés en étant hébergés et nourris, simplement, pour satisfaire chacun. Elle faisait partie de ceux-là. Chaque jour, elle a appris dans une diversité folle la valeur réelle de la vie, l'attachement à la réalité des choses, la conscience du futile dans lequel tombent des millions de personnes. Un mode de vie rudimentaire, c'est la seule tâche que certains auraient pu trouver à sa situation, mais elle savait que c'était ce qui avait le moins d'importance: le confort. C'est dans ce restaurant, auprès d'Agit, femme forte qui exhibait sa générosité sur ses joues rondes, et esquissait un sourire permanent, qu'elle a appris à surmonter chaque épreuve de la vie. A travers ce chant doux et serein "je veux guérir mon coeur, et allah mon coeur guérit. Je tiens à sa blancheur, je tiens au paradis."

Cette phrase a été transmise de femme en femme, jusqu'à moi aujourd'hui. Celle-ci pourrait vouloir dire qu'Allah guérit ton coeur pour ton bien, ou alors elle pourrait aussi dire que le paradis ne s'acquiert que par rédemption. Mais avec cette phrase, j'ai aussi appris à écouter ce que les femmes ne disent pas. Lorsque l'on dépasse le premier message, on entend une mère aimante vous dire que la force tient à ne pas voir que la douleur, et que la douleur n'a pas à avoir de pouvoir sur la bonté.