Une histoire de fantoche

petisaintleu

Soudainement, il disparut. Remarquez, il était déjà transparent. Seule la noirceur qui coloriait son cœur lui avait permis jusqu'à ce jour de ne pas se laisser griser par la blancheur factice des colombes. C'est en prenant conscience de sa relativité qu'il se gomma. Ce fut d'abord par les signes les plus tangibles qu'il s'attaqua à effacer sa réputation. Il retira son profil de tous les réseaux sociaux et, pour s'éviter toute tentation, se désabonna de son prestataire d'accès à internet. Quand il voulut se faire encore plus discret, il s'attaqua à des montagnes. L'administration se refusait de l'effacer de ses bases de données. Il se rêvait apatride, on lui signifia qu'il était toujours le 16904935640024 72 au regard de la Sécurité sociale. Quand le service des impôts le somma de régler ce qu'il devait à la collectivité, il se contenta de solder ses comptes bancaires et d'envoyer un chèque quintuplant ce qu'il lui devait pour solde des années à venir.

Il réalisa que, pour échapper à tout étau imposé par le diktat étatique, il ne pourrait jamais se satisfaire de vivre ne serait-ce que d'une modeste existence de rentier, ne quémandant rien, se contentant de vivre en ermite reclus. Il rendit visite au prêtre de sa paroisse. Il lui fallut plusieurs semaines pour lui faire comprendre qu'il désirait désormais vivre dénué de toute matérialité et se rapprocher du message christique qui prône la pauvreté. Il n'eut guère le choix que de replonger dans les arcanes de la paperasserie bureaucratique pour, qu'enfin, il se délestât de son vivant des biens accumulés, quand il était encore un quidam reconnu socialement, où simplement respirer, manger et dormir étaient bien insuffisant.

À vrai dire, il ne sentait pas encore prêt à vivre une vie d'intouchable. Il s'était gardé une poire pour la soif. En se projetant de subsister encore une quarantaine d'années, en tenant compte de l'inflation, il estima qu'il lui faudrait garder sous le coude plus de deux-cent-mille euros. Oui, il réalisa combien il coûtait de se prétendre humble et démuni, tout en se préservant de toute aide extérieure. Seule la prière ignacienne l'aidait à ne pas sombrer dans un puits de mélancolie. Il alla s'équiper Au Vieux campeur et, dernière exigence avant le grand saut, il s'équipa de tout le matériel qui lui garantissait de résister au froid, au chaud, à la dysenterie d'une eau croupie et à sa dignité d'homme.

C'est en février qu'il décida de s'attaquer au chemin de Compostelle. Il eut honte de se l'avouer, mais il craignait de ne pas pouvoir supporter la solitude. C'est la raison pour laquelle il proposa à un chien galeux, rencontré au hasard d'une décharge sauvage, de l'accompagner. Après des semaines de pérégrination, il en croisa des caractères dans les landes et les bruyères. Il dut se rendre à l'évidence que l'humanité, une fois débarrassée de son fardeau, quand elle était rencontrée en rase campagne, était encore emprunte de belles choses, porteuse d'espoirs, bien plus urbaine que l'homme des métropoles. Il n'était pas dupe. Il ne fantasmait pas sur un homme rural qui avait disparu depuis des lustres sous les engrais chimiques et les contrats de culture. Mais, loin des tours d'habitation, à peine quelque silos à grains venaient troubler la ligne d'horizon. On savait donc encore ce que voulait dire avoir les pieds dans la glaise, englué malgré tout dans la peur du changement. C'est en cela qu'il se retrouva parmi eux, heureux depuis des lustres de vivre de leur invisibilité, assumée derrière des tables en chêne et des comtoises, marqueuses d'un temps où on ne voyait guère plus loin que les limites du canton.

Arrivé dans une vallée encaissée du Pays basque annonciatrice des sommets enneigés des Pyrénées, il réalisa qu'il serait inutile de fuir. Il opta plutôt pour la dilution. Il avait bien songé à la fuite en avant, vers des sous-continents qui auraient soulagé sa conscience. C'est pourtant là qu'il décida de se poser. Il était désormais trop engagé vers le dénuement pour louer ne serait-ce que la plus modeste masure. Il opta pour une caravane comme il s'en trouve des milliers au fond des près, sans doute oubliées par des citadins qui s'embourgeoisèrent et préférèrent le confort d'une villa avec piscine sur la Riviera.

Quand il descend au village affublé d'un drap blanc, même les bambins ne le remarquent plus. Ils sont bien plus effrayés de ne pas finir leur soupe. Des fois que ne soit mise à exécution la menace de l'ours de l'Ossau, venus pour les dévorer. 

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