Une page quotidienne de l'enfance
petisaintleu
Enfant, j'ai vécu une vie formidable : j'habitais en face d'une Maison de la presse. En fait de journaux et de magazines, on y trouvait tout un capharnaüm qui faisait la joie d'un bambin à une époque où les boutiques glanaient encore tous les chalands avant qu'ils ne fussent déportés dans les bas-fonds des centres commerciaux. Les Playmobil côtoyaient les stylos billes à six couleurs – luxe bien inutile car jamais la maîtresse n'aurait accepté que l'on utilisât du violet – et de la petite maroquinerie qui n'était pas encore fabriquée en RPC, trop occupée à se remettre de la Grande Révolution culturelle prolétarienne.
Je n'avais le droit d'y entrer que trois fois l'an : en septembre pour y récupérer les fournitures scolaires, en fin d'année et pour mon anniversaire, quand ma grand-mère m'envoyait cinquante francs. Le reste du temps, les mercredis et les samedis, je tuais mes après-midis à la fenêtre du premier étage de l'appartement, après avoir regardé sur la vieille télé en noir et blanc qui avait été reléguée dans mon bureau Goldorak, Les Fous du volant ou Maya l'abeille.
Pour sa communion, ma grande sœur s'était vu offrir des jumelles. J'avais pu négocier avec elle d'en avoir l'usage entre seize et dix-huit heures, après que je l'eus surprise se faire peloter dans une ruelle en revenant de l'école. Mon silence lui évita de se faire traiter de pute par ma mère et d'être traînée par les cheveux par mon père jusqu'à la salle de bain, histoire de lui rafraîchir les idées sous une douche glacée.
J'ai donc passé ma jeunesse de reclus à scruter chaque centimètre carré des deux vitrines. J'appris par cœur les affiches d'Ici Paris, de Détective ou de VSD. Chaque semaine, les paparazzis m'informaient des amours de Mireille Mathieu et d'Yves Mourousi, de la mort de Robert Boulin ou des diamants de Bokassa. Adulte, j'aurais pu devenir visual merchandiser tant je finis par maîtriser l'art de mettre en avant la bibeloterie. Tous les mois, on refaisait les devantures. Je découvrais alors les nouveautés qui me permettaient durant deux ou trois récréations d'être le centre de toutes les attentions en m'en faisant le rapporteur. En échange d'un Malabar, d'une image Panini ou d'une bille, je détaillais dans les moindres détails toutes les trouvailles en provenance de la capitale.
Le mois dernier, je suis tombé à la cave sur un carton qui me suit depuis au moins dix déménagements. Je savais qu'un jour je l'ouvrirai et, qu'au-delà de l'odeur un peu écœurante des vieux papiers humides, ce serait les effluves de la nostalgie qui me péteraient à la gueule.
Le Super Picsou, c'est Jean-Christophe qui me l'a donné pour mes dix ans. Il était fils unique et gâté pourri. Je pense que notre amitié tenait de la compassion qu'il avait à mon égard. Je le voyais régulièrement sortir les bras chargés de Pif Gadget, de figurines militaires Atlantic ou de GI Joe. Bien que je n'aie jamais eu l'autorisation de l'inviter pour jouer, il savait où j'habitais. À chaque fois il me saluait puis baissait la tête, sans doute conscient et honteux d'être un privilégié.
Rahan, il m'a fallu 6 mois avant de pouvoir l'acheter, après avoir pris autant de risques que le fils de Crao face à un tigre aux dents de sabre. Semaine après semaine, je subtilisai des pièces de un ou deux centimes dans le porte-monnaie de ma mère. Un matin, après avoir refait les comptes au moins dix fois de la fortune que j'avais caché au fond du tiroir de mon bureau, je parvins à m'échapper cinq minutes alors que ma marâtre était pendue au téléphone. Le décompte dura une éternité lors de mon passage à la caisse et je fus à deux doigt d'être surpris en le cachant entre les livres d'histoire de France et de mathématiques.
Je n'ai pas pu continuer tant mes yeux étaient embués. C'en était trop, comme une petite mort. En quelques secondes défilèrent en creux non pas tout ce que je vécus mais tout ce que j'aurais pu vivre. C'est sans doute pour cela que j'essaie de rattraper le temps perdu. Chaque matin, c'est le même rituel. Je me presse pour passer en revue les quotidiens des fois que j'y trouve dans un entrefilet ou dans la rubrique nécrologique une réponse que mes souvenirs se refusent d'apporter.
Moi aussi j'ai la nostalgie de l'enfance et de ces objet disparus à jamais. Le martinet par exemple, avec ses lanières en cuir qui nous faisait circuler le sang. Impossible à trouver aujourd'hui. :o)).
· Il y a environ 3 ans ·Hervé Lénervé
Puisse un jour nos petits-enfants avoir la nostalgie du papier !!!
· Il y a environ 3 ans ·Christian
Je reviens sur wlw car depuis 2 semaines je reçois à nouveau des emails des personnes à qui je me suis abonné. Ce site est quand même étonnant !!
· Il y a environ 3 ans ·Christian
ach, so ! soufenir soufenir ! Gut !!!
· Il y a environ 3 ans ·Moi c'était les vielles quincailleries qui cliquettent de tous les côtés, dès la porte poussée et le carillon (pas de RPC) déclenché...Non, la nostalgie n'est pas une maladie ! On peut prendre un souvenir, le polir, le bichonner, le caresser...et puis le ranger dans un coin de sa mémoire ; cela aide beaucoup à ne pas tomber malade d'une certaine maladie dont je ne me souviens pas du nom (LOL) ! Bonne journée
Gabriel Meunier