Une rétrospective

aile68

Ceci est une fiction.

Chambouler sa chambre, son armoire, ses vêtements pour trouver la tenue exacte dans laquelle je me présenterai à toi. Un foulard, une jupe ou un jean, l'éternel tee-shirt blanc, ou le rouge pour changer, pour trancher avec la monotonie des jours de pluie. J'ai quinze ans, je suis amoureuse, c'est personnel mais tout le monde le sait au lycée (merci Cynthia!). Un jour j'irai à la piscine avec lui, ensemble se promener en ville, boire un verre, faire les boutiques, s'il le veut bien, et puis il me le donnera ce baiser...

Chambardement dans ma chambre, mon temple privé, interdit de rentrer. Des livres sur mon lit, des cours un peu partout, je suis maintenant à l'université. Je suis malheureuse, je vais arrêter, pas pour moi l'enseignement supérieur. Je veux des choses simples, à portée de tout le monde ou presque, voir la vie en rose bonbon, je n'ai pas grandi. Je veux être fleuriste, confectionner de beaux bouquets, me trouver un stage, un job, commencer à gagner ma vie, il est temps, j'ai vingt ans, qu'ai-je fait de ces années. Tout ranger dans ma chambre, jeter mes cours, vendre mes livres chez Gibert, parler à grand-mère.

Rétrospective d'une jeune fille pas très sage, enfermée dans son boulot de caissière, ses problèmes. Pas trouvé le boulot que je voulais, je pleure à l'intérieur. Elles sont pas si loin mes années adolescentes, ma chambre reste bien rangée j'ai gagné au moins ça. Faire une formation, mais laquelle, plus de copines, que ne donnerais-je pour une Céline ou même une Cynthia. Voler de mes propres ailes j'aimerais, j'ai vingt-ans deux ans, encore à la maison, dans ma chambre éternelle. Je sors, je fais des rencontres à ma caisse, d'anciennes connaissances, d'anciennes voisines du quartier que j'aimerais quitter.

Itinéraire d'une fille pas gâtée, toujours son boulot de caissière, passer les articles, les scanner, rendre la monnaie. Quand je pense que mon truc c'était les lettres, mais je m'en sors. Je pense à Juliette, à Valérie dont j'étais jalouse et qui faisait partie de la bande. Mon café est sans saveur quand je le bois le matin, y rajouter de la cannelle pour donner du goût à mes journées, à mes papilles frustrées. Je sens que mon inspiration va me lâcher,  s'éteindre en un soupir. Me secouer, pas le moment de souffler sur la bougie toujours la maintenir allumée même si le jour s'est levé, m'en servir comme d'un guide, le témoin de ma vie.

Du désordre dans ma chambre, je reprends la plume et j'écris, mes colères, mes déceptions, mes amours, mes espoirs aussi. J'ai presque trente ans, je me sens vieille,  mon nouveau job c'est caissière dans un magasin de vêtements, je conseille aussi les clientes, des femmes qui se soucient de leur physique, qui veulent être belles et qui le sont. Brunes, blondes, quelques rouquines se précipitent vers la cabine d'essayage, trépignent d'impatience, est-ce que le pantalon sur lequel elles ont jeté leur dévolu leur ira? Mystère et boule de gomme... Elles se méfient bien de mon avis, pire elles s'en tapent même mais moi je m'en fiche, des fois c'est du pipeau, elles ont bien raison de ne m'accorder aucun crédit. J'apprends à faire la part des choses entre ma vie, le boulot et ma propre personne, au bout d'un moment l'instinct de survie est le plus fort. Et puis, j'ai rencontré quelqu'un. Pas un homme, une ancienne copine, cette Valérie dont j'étais si jalouse. On était contente de se revoir, avec les années tout devient si facile, moins compliqué. On s'est raconté nos vies, elle prépare sa fille au bac, mission passionnante en soi je trouve, et bien louable, c'est vrai qu'elle était douée pour les études, son père était prof et sa mère bien disponible, elle ne travaillait pas contrairement à ma mère qui était couturière, à l'époque j'aurais dit "qui n'était que couturière" mais à un moment de sa vie on réalise qu'il ne faut jamais renier des parents qui ont fait de leur mieux pour leur famille. Nous allons nous revoir. Mon histoire semble laborieuse et sans entrain, elle n'est que le reflet d'une vie difficile et ennuyeuse. Puis arrive le moment où on a des envies, on s'achète un maillot de bain et on va à la piscine comme à l'époque, on s'inscrit à un club de randonnée, on commence à vivre pour ses loisirs, on attend le week-end avec impatience, on resserre les liens avec sa famille, ses frères et soeur. La vie semble plus tendre ainsi, on a du baume au coeur, et on ressort les albums de photos, les anciennes lettres de classe de neige. Tous ces souvenirs qui font d'une vie apparemment monotone, une vie finalement sympa et pas si moche que ça.

Sentir la chaleur du foyer, du gâteau qui dore dans le four, on a ressorti les jeux d'antan, on joue avec les neveux et nièces, j'ai toujours pas d'homme dans ma vie mais je n'en souffre pas. J'ai atteint un cap, pas le cap Horn, le cap de la cinquantaine. Un demi-siècle de vie, une existence où les choses me semblent plus agréables, comme vues à travers un filtre qui embellit tout, où les enfants vous invite dans leur pays de manière naturelle, où les dimanches ressemblent à un soleil qui joue avec les nuages. On parle, beaucoup, des gamins, des prochaines vacances, de la conjoncture sociale, du temps qu'il fera. Tous ces liens qu'on tisse ensemble nous soude, la famille s'agrandit, on dépense plus d'argent pour les cadeaux de Noël, les anniversaires, tout cela nous maintient en équilibre, ce qui nous semblait prioritaire, le boulot, l'insatisfaction, le mal de vivre quoi, passe derrière les coulisses, j'ai trouvé ou plutôt retrouvé le bonheur en famille. Pour ce qui est de ma personne, je suis un maillon d'une chaîne indéfectible, j'ai quitté mon quartier pour mieux y revenir le temps d'une visite à maman. Je l'emmène voir Papa au cimetière, une cousine, une voisine de cinquante ans devenue une amie chère et fidèle.

Mon récit ne peut se terminer ainsi. Il existe encore une faille par laquelle s'infiltre un fiel insidieux et sournois, pourquoi la nuit et certains matins avant d'aller au travail, mon sourire intérieur s'éteint, moi qui m'étais jurée de ne jamais souffler sur ma bougie, cette dernière meurt en un soupir qui toujours semble le dernier. Recoudre, raccommoder cette faille, éviter qu'elle ne s'ouvre davantage, la colmater avec ce qui fait ma douceur quand dans ma chambre d'adulte je regarde la madone à l'enfant. Je n'aurai jamais d'enfants et je n'en ai jamais voulu. Aucun regret à ce sujet. Mon écriture est la continuation de moi-même, je la partage avec qui veut bien, un jour l'ordinateur sur lequel j'écris et me confie ira ma soeur. Elle fait partie des gens qui tiennent la route, elle n'aimera pas tous mes textes, ceux parlant de notre famille, je sais qu'elle n'arrivera pas à tous les lire. Y a des choses sur lesquelles vaut mieux passer dessus, des bonnes comme des mauvaises, elles font partie d'une époque, pas si révolue que ça. Il suffit d'une larme pour les raviver, les maintenir éveillées comme ma bougie qui ne s'éteindra jamais tant que je serai en vie.

  • C'est beau cette manière de jeter les mots sur le papier ! Le bonheur personnel après cinquante ans, c'est de ne plus s’énerver, enrager, pour des choses qui nous auraient tué à l'adolescence. C'est certainement ce que l'on appelle la sagesse. Cela n'arrange rien, mais ça fait du bien à l'âme et au raisonnement que nous faisons murir tant bien que mal tout au long de notre vie. Soyons heureux car certains n'y survivent pas ;o)

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • C'est bon parfois de jeter sa vie sur le papier...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci d'avoir apprécié cette fiction qui a des points communs avec ma vie.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Coucou plage 300

      aile68

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