Vertigo - Chapitre 4

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Nous marchons côte à côte dans la cour et Lucas en profite pour me poser des questions. Je me crispe. Attention à ce que tu vas dire, me répète ma conscience. Je suis sur le qui-vive. 

-Alors tu viens de commencer chez Lorenzo ? 

-Oui, depuis ce matin, dis-je en hochant la tête. 

-Tu n'étais pas dans le coin avant. Tu viens d'où ?

-Je viens de Normandie, pas très loin de Caen. 

C'est assez vague comme réponse. Il y a des dizaines d'écuries de trot en Normandie donc techniquement ce n'est pas difficile à croire.

-Ah ok. T'étais chez qui ?

-Chez un petit entraîneur dans la manche... 

Je croise les doigts pour qu'il ne me pose pas plus de questions. 

-Ca fait loin. Qu'est ce qui fait que tu as voulu venir ici ?

-Besoin de changer d'air. dis-je en tirant sur mes manches.

-Il y a un mec là dessous ! 

Il sourit.

-C'est un peu plus compliqué que ça... dis-je nerveusement.

J'ai peur d'en dire trop, Lucas remarque mon malaise.

-Excuse-moi, je ne voulais pas être indiscret. 

-Non, ce n'est rien.

Je marche en regardant mes pieds.

Après quelques mètres sans parler, Lucas rompt le silence :

-Tu verras, il est sympa Lorenzo, tu pourras te faire plaisir en course, il a quelques bons chevaux.

-Je ne monte pas. En fait, je suis juste palefrenier. 

Je me redresse face à l'énorme bobard que je viens de lui dire.

-Ah ok. Désolé. Je croyais que Roxanne sous entendait que tu étais palefrenier juste pour être désagréable. C'est son passe-temps favori... D'être une peau de vache, je veux dire.

-Oui j'ai cru comprendre...

Je me demande un instant si le fait que je ne sois que palefrenière pourrait lui faire changer de comportement vis à vis de moi. 

-Ce sera quand même sympa, pour toi. Lorenzo, c'est quelqu'un qui fait beaucoup de soins à ses chevaux.

Nous arrivons à l'entrée du paddock. Le cheval qu'il doit emmener, mange paisiblement son foin. Lucas ouvre la clôture et nous entrons dans le parc. Je reste en retrait et laisse Lucas aller seul pour l'attraper. Le poulain relève vivement la tête et le regarde s'approcher. Lorsque Lucas est à moins de trois mètres de lui, il fait volte-face et part en trottant. Un autre jeune cheval est présent dans l'enclos et à deux ils décident de courir dans tous les sens. Je me dirige vers un coin du paddock en vue de les y rassembler pour mieux les approcher. Mais ils galopent autour de nous en veillant à ne pas nous approcher de trop près. Lucas essaie à plusieurs reprises de les diriger vers moi mais ils sont bien trop rapides pour que nous ayons le temps de leur barrer la route. Le sol est boueux et glissant, là où les chevaux stagnent, le sol est profond et il est difficile de nous déplacer. Mes boots sont rapidement englouties dans la boue et l'effet ventouse m'oblige à aller doucement sous peine de continuer mon chemin en chaussettes. 

Après dix minutes de galopade, les chevaux ont jeté leur trop plein d'énergie et nous décidons de nous accorder pour les diriger vers un coin du parc. Tout doucement, bras en croix pour les dissuader de partir, nous nous approchons d'eux. Heureusement le poulain à récupérer porte un licol, sinon la tâche aurait été encore plus compliquée. Je suis la plus proche de lui et décide d'essayer de l'attraper. Je parle doucement avec une voix rassurante et tends ma main vers lui. Il est essoufflé d'avoir couru et de la vapeur s'échappe par ses naseaux et son corps chaud. Il me regarde avec des yeux exorbités, il se demande ce que je vais lui faire mais ne bouge pas. Je passe ma main sous sa tête et saisis le licol en faisant tout pour ne pas l'effrayer. Il sursaute au contact de mes doigts mais reste devant moi.

Lucas vient lentement à mes côtés et me donne sa longe sans faire de gestes brusques. Je l'attache délicatement à l'anneau du licol. Nous agissons comme si nous manipulions une bombe.

-Tu as fait ça toute ta vie on dirait.

Je souris, il ne croit pas si bien dire. Nous nous mettons en marche vers la sortie du paddock.

-Il n'a pas l'air bien mécha...

Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase, que le poulain me double au galop en me bousculant de tout son corps. Je suis propulsée et tombe en avant, les genoux et les deux mains dans la boue. Lucas se précipite pour m'aider à me relever.

-Ca va ? 

-Wah ! dis-je en regardant mes mains cachées l'épaisse gadoue marron. Ca va aller, oui.

Il m'aide à me relever et je ne peux m'empêcher de rire face au ridicule de la situation.

Lucas n'ose pas rire, ses yeux sont grand ouverts. Il attend de voir si je ne me suis pas fait mal pour rire aussi. Lorsque je suis debout, il me tient contre lui. Il me dévisage en souriant et je m'arrête de rire. 

Son visage est fin, ses cheveux blond foncés sont courts et un peu décoiffés. Ma conscience reprend ses esprits et me rappelle que la dernière chose dont j'ai besoin, c'est d'histoires de cœur, de relations ambiguës ou de drames.

Je racle ma gorge et secoue mes mains boueuses que je maintiens en l'air pour ne pas nous salir un peu plus. Lucas me libère et je m'écarte de lui, un peu gênée. Je regarde mon pantalon et mes boots pleins de boue. 

-Attends, reste là, je vais le chercher, me dit-il doucement en s'éloignant.

Le poulain, de retour à son râtelier de foin, relève la tête et, lorsque la présence de Lucas à ses côtés est trop inconfortable pour lui, amorce un demi tour pour s'en aller. Lucas attrape vite la longe qui traine au sol et le poulain s'immobilise aussitôt, coupé dans son élan. 

Je les suis en dehors du paddock. Sur le parking, un camion est garé, prêt pour transporter le poulain. Après avoir reniflé le pont du camion, il y monte sans trop d'hésitation. Lucas referme les portes, je frotte mes mains sur de l'herbe mouillée pour enlever l'excédent de boue.

-Voilà, c'est dans la boite. Dit-il en entrant dans la cabine côté passager. 

Quand il en sort, il s'approche de moi en frottant nerveusement ses mains sur son pantalon.

-Tu l'emmènes où ? 

-Chez Benoit Jacquet. On vous le ramènera dans un mois à peu près, quand on l'aura débourré.

-Ok.

Je souris et mordille mes lèvres ne sachant plus quoi dire. 

Le camion est secoué par les mouvements du poulain à l'intérieur. Ses pas sur le plancher émettent des bruits forts qui résonnent.

-Bon. Je vais y aller.

-Oui, ne le fais pas attendre trop longtemps. 

-Je te laisse ça. Il brandit un petit morceau de papier. Si tu veux faire quelque chose un soir, tu peux m'appeler.

-Oh...

Il voit qu'avec mes mains sales je ne peux pas prendre le papier. Je lui fais signe de me le glisser dans ma poche de veste, ce qu'il fait rapidement. 

Lucas s'approche doucement de moi pour me dire au revoir. Lorsqu'il lève la main vers mon visage je recule inconsciemment d'un pas. 

-Désolé. Tu... as de la boue sur le visage.

Il pointe du doigt en direction de ma joue. 

-Ah. Je m'en suis vraiment mis partout. Dis-je mal à l'aise.

Il sourit et je n'ai peur que d'une chose : qu'il s'approche à nouveau trop près de moi. 

Il monte dans la cabine du camion et me fait un signe de la main. Je reste plantée là, n'osant plus bouger mes mains sales, ne sachant pas bien ce qu'il vient de se passer. 

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