Vie

franekbalboa

On est partis. On s'est baladés. Et puis on est passés devant une plaque: voyance et tout le tralala. L'amie avec qui j'étais avait envie de rire, je me suis dit que ça vaudrait le coup de se marrer en effet. 

La femme qui nous reçoit est charmante, elle nous offre un thé, puis demande ce que nous voulons savoir. Mon amie demande ce qui lui arrivera les mois qui viennent en terme d'amour. Réponse assez classique, l'inattendu, mais la belle histoire, un homme qui surgira de moins loin qu'on ne le pense... Et d'autres foutaises. 

Mon esprit était ailleurs, je regardais l'arbre en fleur dans le jardin en contrebas, des oiseaux allaient et venaient joyeusement dans ce carré de verdure au milieu du gris. 

Après de longues minutes, la voyante m'appelle, je l'informe poliment qu'on ne venait que pour l'amie qui avait été vue auparavant, elle insiste en me disant que l'amie a offert la consultation. Je la regarde amusé, elle était assise à une place différente, à côté de sa position initiale, j'avais tellement été absorbé par l'arbre en bas que je ne l'avais même pas remarqué. 

Je m'installe, la lumière change légèrement, un peu comme chez le dentiste me murmure mon esprit. Je souris à la femme qui est en face de moi, et tend mes deux mains, je n'ai aucune idée de comment ça se passe.

La dame saisit ma main droite, et analyse scrupuleusement les lignes qui y sont dessinées. Elle semble fascinée, j'ai l'impression que ça lui prend une éternité, je regarde mon amie en souriant, elle me regarde l'air surprise. Je hoche les épaules et me tourne de nouveau vers la femme. Elle est totalement stupéfaite. Ses yeux verts vont de ma main à mon visage, grands ouverts. 

Je ne demande rien alors qu'elle saisit mon autre main, et qu'elle analyse de nouveau les lignes. Son air stupéfait s'intensifie, je vois quelques gouttes de sueur perler sur son front et sa tempe. Après de longues minutes, elle s'arrête et tombe sur sa chaise, son souffle est rapide, comme si elle avait couru une longue distance. 

Elle me demande en murmurant si je peux attendre quelques instants, j'acquiesce. Elle nous ressert un thé et sort de la pièce. Mon amie me regarde légèrement mal à l'aise:
"Tu crois qu'elle a vu un truc sale qui t'arrivera?
-Je pense qu'elle a vu des trucs qui me sont arrivés et qui m'arriveront, enfin, je présume. T'as vu la tête qu'elle a tiré?
-Grave... Je sais pas trop quoi penser.
-Bah, on verra, j'y crois pas, mais j'aurai cru qu'elle t'aurait fait le même numéro.
-Non."
J'éclatais alors de rire, au même moment, la porte s'ouvrit et la dame entra accompagnée d'une autre personne. La seconde s'assit et me demanda mes mains. Je les lui tendis avec un grand sourire. La réaction fut similaire. Tout ça m'amusait, je ne saurais dire pourquoi. Après de longues minutes d'analyses de mes mains, elles échangèrent quelques mots avant de me parler.

"Je n'ai pas de très bonnes nouvelles Monsieur.
-Sur mon passé ou mon avenir?
-C'est assez surprenant, et vous n'allez sans doute pas nous croire, mais il s'agit des deux.
-J'écoute."

Je posais mon dos le long de la chaise et croisait mes doigts en fixant les deux femmes. Elles frissonnèrent puis se lancèrent ensemble:
"Vous êtes mort.
-Mais encore?
-Vous n'avez pas l'air de comprendre.
-J'ai compris oui, et je suis certain que vous avez vu que je suis mort plusieurs fois et que je vais de nouveau mourir. Je me trompe?"

Leur air sidéré me montra que j'avais vu juste, toujours souriant, je leur demandais ce qu'elles avaient lu de mon passé et qu'elle avaient vu de mon avenir.

"C'est très confus, mais pour faire simple, vous êtes déjà mort plusieurs fois, même si c'est incroyable de dire ça à quelqu'un...
-Ensuite?
-Vous êtes de nouveau en train de mourir.
-Tiens donc.
-Je ne fais que dire ce que nous avons toutes deux lues. J'imagine que vous pensez que ce sont des sornettes, mais vous ne devriez pas.
-En fait pas vraiment, je suis mort plusieurs fois. Mais pas au sens physiologique du terme, disons que j'ai senti plusieurs fois quelque chose qui mourrait en moi, mais chaque fois, quelque chose de nouveau est né au même moment, voyez-moi comme un phénix en quelques sortes."

Ce que je venais de leur dire leur coupa les jambes, celle qui était restée debout se laissa tomber sur un siège proche. L'autre reprit:

"Donc le fait de vous annoncer votre mort prochaine ne vous fait pas peur?
-Peur de perdre encore une partie de moi-même? Non, j'ai l'habitude. On s'habitue à vivre, à survivre, mais comme disait un vieux sage, la mort n'est qu'un autre chemin.
-Je... Je ne sais pas quoi penser.
-Vous n'avez qu'à penser que je suis fou, ça devrait régler la question je présume.
-En fait vous ne l'êtes pas du tout, rares sont ceux qui constatent qu'ils meurent. Même si ce n'est qu'une partie d'eux. Je dois dire que je suis admirative de voir une force pareille d'un esprit qui a tant souffert."

Je sentis le regard de mon amie me fixer, et je rétorquais:

"Certaines épreuves nous font grandir, d'autres nous font devenir plus petit, plus malin, plus sage, plus fou. Chacune d'elles est une mort.
-Chez vous, cela semble très marqué.
-Possible.
-Je dois dire que je serai curieuse d'analyser plus en profondeur tout ceci.
-Je dois dire que pas moi."

Je leur souris poliment, la discussion m'amusait, enfin, la partie en moi qui jonglait avec le sens des mots s'amusait comme une folle. 

"Vous savez, je ne veux pas savoir la suite, le livre s'écrit, peu importe ce qui s'y trouvera. Je suis mort plusieurs fois et je mourrai encore bien des fois, mon caractère me pousse à me surpasser chaque fois, peu importe quelles seront les épreuves, je me relèverai, même si ça doit mettre des semaines avant que je ne puisse faire qu'un simple pas."

Les trois personnes étaient tournées vers moi, l'encens commençait à me donner la migraine, je leur souris en me levant, leur serra la main à toutes les deux, et pris congé. Mon amie me rejoint quelques minutes plus tard.

"T'y crois à tout ça?
-En quelques sortes.
-Tu sais que t'es en train de mourir alors?
-On s'en rend compte que quand c'est fini généralement, on sent qu'on a perdu quelque chose, il y a un vide.
-C'est flippant quand même.
-Boh, c'est qu'une épreuve de plus! Je passerai au dessus comme d'habitude!"

Elle me regarda un peu inquiète, puis dut finalement se dire que je n'avais pas tord. On repartit en ville faire les boutiques de vêtements pour qu'elle puisse trouver une robe pour un mariage auquel elle était conviée, sans y repenser. L'après-midi fut très agréable.

Signaler ce texte