Vieille Dame digne
Jean Claude Blanc
Vieille Dame digne
Vieille Dame digne délurée
Passe pas son temps à ruminer
Ses peines, ses deuils du passé
Le sien un jour l'a quittée
Avant son heure, jeune retraité
Bien obligée s'y résigner
Pour se distraire refait l'histoire
Des bons moments où joyeux drilles
S'y restaurait sa sainte famille
Autour de la table plus de fêtards
Qu'habitent pourtant en sa mémoire
Ce qu'elle peut les regretter
Ses gosses partis qui la délaissent
Comme témoignage de tendresse
Photos portraits sur le buffet
85 ans toute sa tête
Ne voulant plus se désoler
Pour ces malheurs qu'on lui répète
Déjà servie, ras le bol, assez
Dans sa cambuse sur le coteau
Où ne la visitent que les corbeaux
Reste penchée à ses carreaux
Au moindre bruit lève le rideau
Quelques voitures sur la route
De par ici sans aucun doute
Lorsque l'automne est de retour
Peut les compter, 2, 3 par jour
Toujours en forme, organisée
A pris ses petites habitudes
Ne s'agit pas la déranger
S'en vante pas, en a vu de rudes
Sachant qu'elle ne perd pas le nord
Elle aménage son cher confort
Peut voir venir ce sale hiver
Se tient au chaud en sa tanière
De cette fuite des saisons
Elle s'en est fait une raison
Consciente, alerte n'ignore pas
Qu'elle s'approche du trépas
Aller rejoindre son mari
Plus rien attendre de cette vie
Tient le coup son crâne, le principal
Discrètement endure son mal
Ne s'en plaint pas, qu'une rigolade
Pas besoin de cachets ni de pommades
De calancher, la laisse froide
Pas mécontente de son sort
En oublie même son pauvre corps
Pas sa nature les faux semblants
Se préoccupe essentiellement
De la santé de ses enfants
Et de leurs mômes attendrissants
Pour sortir de sa nostalgie
Reçoit son petit-fils chéri
D'être sa mamie, comblée, ravie
Etant sa planche de survie
Reconnaissance méritée
Après sa triste existence
De paysanne condamnée
Au cul des vaches dès son enfance
Ayant fait son chemin de croix
Ça durera, ce que ça durera
De se réjouir des exploits
De sa descendance prenant la relève
Fait son devoir, sans faire d'extras
Peut disparaitre, s'exaucent ses rêves
Se débrouille seule, pas du genre bête
Pas s'aviser la seriner
Qu'elle serait mieux en maison de retraite
La preuve pianote sur internet
Trouve les astuces des mots croisés
Ne rate pas une occasion
Pour concocter somptueux gueuleton
Fidèle à son calendrier
Anniversaires y sont notés
Faut surtout bien s'en rappeler
Sinon jugé païen, distrait
Comme possédé par le démon
Hélas bavarde comme une pie
Car par la langue, elle est punie
Bouche cousue sans ses amis
Pour lui tenir compagnie
Va se réfugier tôt dans son lit
Pour cogiter toute la nuit
Pourtant encore l'ouïe fine
En a appris de ses combines
Ne se fie plus aux fourbes copines
Passe des coups de fil qu'aux plus intimes
Ça dure des plombes au téléphone
Même pour la joindre difficile
Si par hasard, on la sermonne
Elle s'en dédouane de façon habile
Nous reprochant qu'elle voit personne
Tourne en bourrique, plus qu'un fossile
Avec une proche, du même âge
Presque sa sœur, quel avantage
Pour pas sombrer dans la déprime
Ensemble déroulent leur catéchisme
Mais l'air de rien que de succès
Tellement ça plait son verbe châtié
Claque à chacun sa vérité
« L'envoie pas dire », et autres formules
« Franc comme un âne qui recule »
Ne craignant pas le ridicule
Autoritaire sans scrupule
Afin qu'on pige qu'on est nuls
En vérité rusée tenace
Qui savamment nous voile la face
Pour nous soustraire à ses angoisses
Tellement en a plein sa besace
De ses tourments, de ses peurs qui glacent
Souhaiterait bien céder sa place
Plus très solide sa carcasse
Pour supporter ce qui menace
Sombre avenir, de jeunes voraces
Quelle chance pour nous, Maman lucide
De s'en moquer serait stupide
Franchement loin d'être candide
Nous seuls naïfs, couverts de rides
Se faire de la bile, pour notre bide
Sans jérémiades, sans remords
On se la garde, tant on l'adore
Pour son sincère cœur trésor
Un authentique qui nous honore
Tandis qu'on manque de ressort
Nous encourage, s'aimer plus fort
Pourvu qu'elle ne croque pas la mort
A cette ancienne du pays
Où l'on ne voit pas tout en gris
Bien au contraire que d'énergie
Qui me suscite cette poésie
Pas un hommage, pas d'enterrement
Pour cette gaillarde d'auvergnate
Verser des larmes en cataractes
Lui plairait pas ces boniments
Heureux et fier qu'elle soit ma mère
Méprise flatteries, raide caractère
Aucunement sens de l'épate
Ne faisant pas dans la dentelle
En a encore dans la cervelle
Se joue de vous, amère, cruelle
Que d'artifices pour gagner le ciel
Danse la bourrée au son de la vielle
Sans se gaver, intestin grêle…JC Blanc sept 2017 (pour une vieille payse)