Vieux pathos d'après-guerre(33)

Alain Balussou

pièce 33 de La fin de l'autarcie

            Vieux pathos d'après-guerre


Nous, les enfants d'après la guerre heureusement,
sous le regard jaloux de nos jeunes parents
qui n'avaient, eux, dansé qu'avec les Allemands
(comme dansé, avec les mêmes, leurs parents)
mais nous laissaient partir dans le soir commençant
au milieu des années soixante, ou juste avant,
petite troupe mélangée, vers la musique
de villages petits et pas trop éloignés,
leur fête agonisante et prétechnologique,
nous en allions sur des routes mal goudronnées.
Un monde finissait, nous ne le savions pas
et personne après nous n'a plus connu cela,
et ignorions ce qui s'était passé en France
depuis mille neuf cent (nous étions des enfants) ;
sans pouvoir la nommer, sous les frênes bruissants
qu'elle reste nôtre longtemps, l'insouciance,
qu'il dure, s'il vous plaît, le temps d'aller à pied
dans les hameaux délicieusement étrangers,
où quelques ampoules en guirlandes changeaient
en poudre d'or la poussière de nos souliers.
Au retour, on osait se prendre par la main
lorsque, à l'heure, on rentrait par le même chemin,
Antoinette, Wanda, mademoiselle George...
Mais, terminé. Rideau. Fermé, le cinéma ;
l'épice a disparu, de l'air et du climat,
qui nous soûlait un peu et nous serrait la gorge.

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