Voisinage empoisonné

Jean Marc Kerviche

Tout commença par un mensonge éhonté...

       

         C'était en 1972 et plus précisément au cours de l'automne.  

         Nous venions de faire l'acquisition d'une maison située dans une résidence pavillonnaire de l'Est parisien au centre duquel se trouvait une piscine aux eaux bleutées.   Nous étions aux anges comme on peut l'être quand se matérialise l'accomplissement d'un souhait que nous n'osions à peine espérer un an auparavant ; d'ailleurs nous n'exprimions même pas ce désir à nos proches tant celui-ci nous paraissait impossible à réaliser Non seulement parce qu'il nous semblait peu probable qu'une telle chance nous arrivât, mais aussi par crainte de trop nous avancer. 

         Après le passage obligé chez un notaire de la région, tous les week-ends notre nouvelle maison recevait notre visite. C'est qu'il nous fallait préparer notre arrivée.

         En ces occasions nous en profitions pour explorer les bois, les forêts et la campagne alentour avant notre déménagement afin de mieux nous situer dans cette nouvelle région. Quant à la pâtisserie centrale du bourg qui allait désormais nous accueillir, elle alimentait agréablement ces après-midis.

        Et notre emménagement ne tarda pas.

         Mon épouse et moi découvrions une autre vie, non seulement celle que peut ressentir tout nouveau propriétaire mais aussi celle d'avoir accompli un rêve. Ayant jusque-là toujours vécu en appartement, nous prenions également plaisir à « monter nous coucher » au lieu « d'aller nous coucher », oui, les chambres étaient à l'étage, et nous goûtions le plaisir de la formule sans mesure.

         Nouvelle vie, nouveau départ, nouveaux voisins, nouvelles relations  

         Tout se passait donc au mieux pour nous. Dans la résidence, les rues étant sécurisées et pratiquement sans trafic, notre fils de cinq ans qui s'était fait de nouveaux copains, il y en avait du même âge dans presque toutes les maisons, passait le plus clair de son temps au dehors.

         Quant à nous, nos premiers week-ends étaient presque essentiellement réservés à l'aménagement de notre nouvel intérieur ; la décoration des murs de toutes les pièces pour ma femme, la plantation de nouveaux arbres dans le jardin pour moi, sans oublier la réfection d'une pelouse qui avait subi les dommages lors de la construction de la maison.  

         Un jour, alors que j'étais en train de retourner la terre du jardin et que je venais d'attraper une suée, je montais dans notre chambre pour revêtir une tenue plus adaptée et surtout plus légère.

         Me trouvant dans la chambre, j'en profitais pour jeter un œil par la fenêtre grande ouverte. Des enfants jouaient entre eux sur la pente d'un garage et mon attention n'aurait pas été davantage retenue si je n'avais pas vu deux d'entre eux commencer à se chamailler. Je les observais de loin, et à un moment je vis l'un des garçons pousser l'autre. La tête du gosse heurta le mur en ripant sur le crépi. Très rapidement le gosse se retrouva la tête en sang. Une jeune fille présente à cet instant, probablement sa sœur attrapa le gamin et l'emmena en le portant dans ses bras vers une maison qui se trouvait être à côté de la nôtre.

         Alertée par les cris et les gémissements du gosse une femme affolée sortit précipitamment de chez elle pour se rendre au-devant de la jeune fille qui portait l'enfant.

         J'étais à ma fenêtre, c'est-à-dire en hauteur et à une distance d'à peine 10 mètres de l'endroit où celle-ci récupéra son gosse, quand j'entendis clairement la gamine nommer le responsable de cet acte à l'adresse de sa mère.

         Voyant que la jeune fille avait correctement décrit la scène qui venait de se dérouler entre les gamins, et que, je dois bien le dire, j'étais tout de même soulagé que mon propre fils ne fut nullement incriminé, je ne me souviens d'ailleurs même plus aujourd'hui s'il jouait avec eux, je m'en retournais dans mon jardin qui se trouvait de l'autre côté de la maison et continuais mon labeur.       

         Un bon quart d'heure passa, je recommençais à suer sous l'effort et j'avais presque oublié l'incident, quand j'entendis la voisine me héler de son jardin. Je levais la tête et la voyais elle avec son gamin dans les bras, la tête enrubanné de gaze. Elle se tenait contre sa clôture et visiblement cherchait à me parler.

         Je me demandais bien ce qu'elle pouvait avoir à me dire. Je laissais donc ma bêche et me rapprochais d'elle. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi elle avait besoin de moi, cependant étant presque toujours en empathie avec tout ce qui souffre, je préparais déjà les mots pour compatir à ce qui venait d'advenir à son gamin. J'arrivais près du grillage.

         Nous étions séparés par des troènes ne mesurant qu'un mètre de haut.

         Elle me présenta le pauvre gamin et sans ambages me lança :

- Vous vous rendez compte ce que votre fils a fait à mon fils !

         Je restais un instant interdit sous le coup de la surprise comme on avale une couleuvre et la regardais hébété. J'étais en effet loin de m'attendre de la part de cette femme que je ne connaissais que de nom à une telle bassesse. Le temps de me reprendre, je lui répondis tout de go :

- Ecoutez madame …… , je ne comprends pas, j'ai personnellement assisté de la fenêtre de ma chambre qui se trouve de l'autre côté à l'empoignade entre votre fils et un autre enfant. Oui, j'ai vu de mes yeux, vu, ce qui s'est réellement passé entre votre fils et cet autre enfant et je peux aussi vous dire que je vous ai également vue, et tout entendu du haut de ma fenêtre ouverte quand votre fille vous a nommément désigné le responsable de ce qui est arrivé à votre fils… et vous venez maintenant me dire que c'est mon fils qui a rendu votre fils dans cet état !

         Elle blêmît. Je ressentis son malaise. Puis elle recouvrit une posture plus amène et se lança dans de vaines explications pour tenter de redresser ce qu'il ne pouvait plus l'être, mais il était trop tard pour revenir en arrière. Le mal était fait.

         Elle se recula de quelques pas entourant toujours son fils de ses bras et je m'en retournais à mes occupations.

         Je n'avais jamais eu le moindre contact avec cette personne avant ce premier échange et je ne pouvais plus rien faire pour modifier quoi que ce fût. 

         Dès lors, tous les rapports que nous avons eus avec cette famille découlèrent de cette première rencontre…

  • Des voisins ordinaires qui, au moindre problème, révèlent leur nature véritable. La narration est superbe.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Black

    le-droit-dhauteur

  • J'aime beaucoup les histoires vraies, alors j'ai vraiment apprécié celle-ci. Comme beaucoup de gens, votre voisine s'étant sentie coupable de vous avoir attaqué injustement, n'a malheureusement pas la capacité à faire amende honorable, s'excuser...et continue à retourner le parfum de honte qu'elle ressent contre vous. C'est tellement plus facile! Elle ne doit pas être bien heureuse cette femme...

    · Il y a presque 8 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

    • Elle n'avait effectivement de rapports qu'avec et au sein de sa propre famille.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

  • Une anecdote intéressante. Pourquoi cette femme ne s'est-elle pas adressée aux parents de l'enfant responsable ?

    · Il y a presque 8 ans ·
    Image

    Ana Lisa Sorano

    • Parce que ses intentions devaient être ailleurs.
      Se faire plaindre et se faire passer pour une victime aux yeux de son voisin et peut-être espérer une compensation quelconque. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que j'avais assisté non seulement à la rixe entre les enfants, mais aussi que j'avais entendu le témoignage de sa propre fille dédouanant mon fils.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

  • Oui, le premier contact définit souvent la suite d'une relation. Les enseignants savent ça, qui le jour de la rentrée prennent vraiment garde à tout ce qu'ils disent et font

    · Il y a presque 8 ans ·
    Tete alpaga

    campaspe

    • Se faire passer pour une victime alors qu'il n'en est rien est terrible et difficile à vivre, car l'image que vous vous faites de vous-même est un désastre.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

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