Voitures à chevaux

aile68

Le samedi soir en été mon cousin Henri allait au bal avec son ami Gégé et Pierrot qu'on appelait "le blaireau" en cachette, mais tout le monde le savait même lui. Fallait voir comme ils se préparaient, cheveux gominés, pantalons repassés avec le pli parfait, ils se retrouvaient sur la place la veste négligemment jetée sur l'épaule, l'allure volontairement flegmatique, prêt à jeter leur dévolu sur des filles, timides ou effrontées. Henri en pinçait pour Ginette, la bonne du riche propriétaire terrien, il l'avait aperçu un jour en train de laver du linge au lavoir, les bras blancs et le décolleté un peu "audacieux". Nous les petits, nous avions la permission de dix heures, le soir, parfois mon grand-père nous emmenait à la fête foraine et nous offrait des bêtises de Cambrai qui s'entrechoquaient entre nos dents gourmandes. Les flonflons des accordéons parvenaient jusqu'à nous, je me demandais si Henri avait réussi à faire tourner Ginette dans ses bras.

Le dimanche, nous nous  levions tôt, pas de messe pour nous, mon père était athée, au grand damne de Maman qui réussissait tout de même à nous faire réciter le bénédicité et la prière du soir. Il arrivait que mes parents se disputent pour des questions de religions, ma mère allait s'enfermer dans la pièce où elle cousait et mon père allait jouer à la pétanque où ces jours-là il jouait mal, tout perturbé par le bon Dieu et la trinité. Le dimanche matin, Maman elle, allait à la messe avec toutes les femmes du hameau, toutes tête haute, elles tenaient leur bible en main, d'un geste ostentatoire. J'aimais les regarder partir en groupe, quelques fois Maman me cachait parmi elles, et je découvrais un univers terrifiant où Dieu voyait tout, où à notre mort il fallait rendre compte de tout. Je comprenais pourquoi Papa était athée, mais si Dieu avait raison?

(à suivre)

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