Voitures à chevaux (3)

aile68

J'avais dix ans, j'étais une petite fille un peu sage, très rieuse, avec des nattes brunes et des tabliers blancs sur des robes à volants. Un peu sage, enfin faut vite le dire, quand ça me prenait parfois je n'étais pas la dernière à embêter le "blaireau", à lui envoyer des cailloux de mon balcon en forgé, mais ça c'est quand j'étais entraînée par la méduse, une cousine qu'on appelait comme ça parce qu'elle savait vous insuffler son poison. Oui, c'était un vrai poison, je rigolais pas toujours avec elle. Un jour à cause d'elle, je me suis pris la gifle de ma vie, je lui en ai voulu jusqu'à la fin des vacances même que je suis restée deux jours enfermée dans ma chambre pour ne pas la voir. Elle avait deux ans de plus que moi, à dix ans on est toujours plus inférieure en comparaison, je n'aimais pas ça, je ne savais que faire pour lui prouver que je pouvais faire mieux qu'elle. Elle savait faire les nattes mieux que moi, elle savait lire mieux que moi, connaissait plus de choses par la force des choses, je la détestais. Y a une chose que je savais faire mieux qu'elle à mon âge: monter sur l'âne gris de mon père. Je pouvais le diriger comme je voulais, j'avais un secret en fait, la tendresse. Il aimait quand je lui parlais doucement et quand je tapotais sa crinière comme pour le réconforter. C'était ma grande fierté! A l'heure de la sieste je me faufilais dans l'écurie et je lui murmurais des mots gentils à l'oreille, je brossais son poil jusqu'à ce qu'il devienne doux comme les cheveux d'un petit garçon. Puis je remontais dans ma chambre pour faire semblant de dormir, je faisais ma sage, mais dans ma tête plein de pensées s'emmêlaient entre elles.

(à suivre)

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