Zineb El Rhazoui
Jean Claude Blanc
Zineb El Rhazoui :
« L'État n'a pas à s'adapter à l'islam »
REVUE DES DEUX MONDES par Valérie Toranian Oct 25, 2019
Zineb El Rhazoui, journaliste et chroniqueuse, ancienne de Charlie Hebdo, est aujourd'hui l'une des personnalités les plus protégées de France en raison des menaces de mort et diverses fatwas délivrées à son encontre par les islamistes. L'auteure de Détruire le fascisme islamique (Ring) pense que la République ne doit pas cautionner de projet politico-religieux. Surtout quand nombre des représentants autoproclamés de cet islam français se révèlent être proches de la mouvance des Frères musulmans.
Revue des Deux Mondes – Sur votre compte Twitter figure une vidéo appelant à interpeller les élus locaux sur la gravité de la situation concernant le projet de restructuration de l'islam de France. La situation est-elle si grave ?
Zineb El Rhazoui Il faut prendre conscience de ce que signifie ce projet : une violation de l'article 2 de la loi de 1905, qui dit que le culte est libre de pratique et ne nécessite l'intervention de l'État que lorsqu'il constitue un trouble à l'ordre public. Avec l'organisation de l'islam, l'État va bel et bien se mêler d'affaires religieuses. Le contre-argument que l'on entend souvent est le suivant : il y a bien un consistoire pour les juifs, pourquoi pas l'équivalent pour les musulmans ?
« En démocratie, les seuls représentants légitimes sont élus »
Mais le consistoire, mis en place par Napoléon, avait pour objectif de faire de tous les juifs des Français ; or, aujourd'hui, avec ce projet que l'exécutif nous prépare, c'est l'inverse : on est en train de transformer des Français en musulmans. Comme si les musulmans de France avaient besoin d'une « représentation » de plus que leurs concitoyens ; en démocratie, les seuls représentants légitimes du peuple sont les élus ; avec ce projet, on nous sort d'un chapeau des musulmans non élus et on leur confère une sorte de légitimité républicaine en disant qu'ils « représentent » le culte musulman en France.
« Il est hors de question qu'il y ait des intermédiaires
communautaires non élus entre le citoyen et l'Etat »
S'il s'agit d'une association qui se réunit pour parler de chapelets, d'ablutions et de génuflexions, je ne vois pas ce que l'État a à voir là-dedans ; si c'est une association qui va représenter les Français de confession musulmane, alors il faut souligner le caractère anticonstitutionnel, antidémocratique d'une telle structure, puisqu'il est hors de question qu'il y ait des intermédiaires communautaires non élus entre le citoyen et l'État. C'est une violation de la démocratie.
Revue des Deux Mondes – Il existe des interlocuteurs pour les chrétiens, les juifs et les protestants. Un groupe religieux n'a-t-il pas le droit de se constituer en interlocuteur auprès des pouvoirs publics ? Car, comme disait Christophe Castaner, « avec 2 500 mosquées, j'aimerais bien n'avoir qu'un interlocuteur » …
Zineb El Rhazoui Les musulmans, comme tous les autres, ont le droit de se constituer en associations pour discuter des affaires qui les intéressent. Là n'est pas la question : ce qui est inquiétant, ce sont les développements économiques, sociaux et politiques sous-jacents à ce projet. S'il s'agit de mettre en place une représentation particulière et privilégiée pour les Français de confession musulmane, on peut se poser la question de ce que l'État demande en contrepartie à ceux qui déposent ces projets. Se sont-ils prononcés par exemple sur certaines questions fondamentales comme l'apostasie ? Les Français ayant renoncé à la confession musulmane, c'est mon cas, sont une communauté aujourd'hui très vulnérable dont les membres militants vivent sous la menace et en semi-clandestinité. Je bénéficie d'ailleurs d'une protection policière. Est-il possible pour l'État d'accepter que cet « islam de France » condamne toujours les apostats à la peine de mort ?
Revue des Deux Mondes – Quelles sont, en somme, les garanties que l'État serait en droit d'exiger auprès de ces associations si elles demandent à se constituer dans un cadre républicain ?
Zineb El Rhazoui Il me semble que, pour l'instant, pas grand-chose n'est demandé en contrepartie. C'est vraiment dommage, car ces notables du culte musulman, notamment ceux du Conseil français du culte musulman (CFCM), se livrent aujourd'hui à une compétition et c'était l'occasion pour l'État d'obtenir des avancées. On nous parle d'islam de France, ce qui m'horripile, car c'est le premier culte à être qualifié comme tel, puisqu'il n'y a ni christianisme, ni judaïsme « de France ».
L'islam « de France », un concept militant
Pour moi, il y a un islam en France, mais il n'y a, en aucun cas, un islam « de France », et s'il devait y avoir un islam « de France », tous ceux qui en sont potentiellement les interlocuteurs dans le projet actuel de l'exécutif en sont indignes car aucun d'entre eux ne s'est prononcé sur des questions comme l'homosexualité, l'égalité hommes-femmes, l'antisémitisme, la tolérance, le salut en islam, autant de questions auxquelles le dogme n'a jamais répondu. Le concept d'islam « de France » est un concept militant, qui a pour objectif de statuer sur l'exception d'un islam en France qui serait républicain et constitutionnel. Or, je continue à dire que l'islam tel qu'il est prêché et propagé aujourd'hui en France, et partout ailleurs, continue à être incompatible avec la démocratie et les droits de l'homme.
Revue des Deux Mondes – Vous dites que l'Association musulmane pour l'islam de France (Amif), dont le projet semble avoir les faveurs de l'exécutif, est liée aux Frères musulmans. Pourquoi ?
Zineb El Rhazoui On y retrouve par exemple Tareq Oubrou, qui a servi l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), branche française des Frères musulmans, pendant plus de trente ans et ne les a quittés que sur le plan formel en mai 2018, probablement pour se préparer à briguer ses nouvelles responsabilités au sein de l'Amif (entretemps, l'UOIF s'est rebaptisée Musulmans de France…). D'ailleurs, il n'a jamais désavoué publiquement les Frères musulmans.
Revue des Deux Mondes – Tareq Oubrou dit pourtant avoir évolué. Dans son dernier livre, Appel à la réconciliation, il exhorte les musulmans à s'intégrer aux mœurs républicaines…
Zineb El Rhazoui Tareq Oubrou n'a jamais été autre chose qu'un frère musulman. Je dirais même qu'il en est le produit le plus sophistiqué. Ce vernis, ce discours républicain, peut duper les politiques mais ne me dupe pas, et ne dupe pas ceux qui connaissent l'histoire de la confrérie.
Une structure d'inspiration fasciste
Les Frères musulmans n'ont pas la même temporalité politique que nos élus qui ne regardent pas plus loin que la prochaine échéance électorale : en Égypte, ils ont travaillé la société en profondeur et fait profil bas lorsqu'il l'a fallu. Tareq Oubrou s'est réclamé de la pensée de Hassan Al-Banna, qui a fondé les Frères musulmans à la fin des années vingt ; Hassan Al-Banna était un grand admirateur de Hitler, et la structure politique et sociale qu'il a imaginée est de type fasciste : elle s'infiltre dans les moindres recoins de la société et du quotidien, et ne laisse aucun espace sécularisé
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