De la finance à l'écriture : comment j'ai désobéi

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Quand j’étais petite fille, je voulais écrire des livres.

Je le voulais si fort que j’ai commencé en dictant des histoires – j’étais à la maternelle. On ne s’en étonnait guère. Je suis d’une famille où les livres sont là, en nombre, dès le départ et pour toujours ; où l’on enseigne, même, la littérature ; le mot bibliothèque a d’abord signifié pour moi une pièce de la maison avant que je ne découvre qu’il désignait aussi un meuble et un établissement à part entière.

On ne s’en étonnait guère alors on ne prenait pas cela très au sérieux. Le sérieux, on m’en réclamait dans mon travail scolaire puis dans mes études. J’ai obéi, été souvent première de classe, fait sept ans d’études après mon bac, intégré avant même d’être diplômée une grande et solide entreprise. Du monde de la finance – fait-on plus sérieux ?

L’écriture m’a accompagnée jusqu’à ce que j’entre dans le monde du travail. Exutoire, échappatoire, je ne sais vraiment – mais pas un jour sans une ligne. Et puis j’ai signé un CDI et les soucis du quotidien professionnel ont remplacé les phrases dans ma tête. Plus de place pour créer, plus de force pour écrire : les dossiers, les rapports humains, les soucis envahissaient tout, mobilisaient toutes mes capacités intellectuelles. J’aimais mon travail, pourtant. Et les résultats étaient là, sanctionnés par plus d’augmentations qu’il n’est permis d’en cumuler en si peu de temps. Un début de carrière prometteur, répétait-on.

Mais je sentais que l’équilibre ne viendrait jamais si je continuais à faire du travail le centre de mon existence. Il me fallait un autre axe. Le cerveau humain a une capacité de négation incroyable. Il m’a fallu des mois avant que je ne constate que l’écriture avait disparu de ma vie et qu’elle me manquait cruellement ; avant que je me souvienne que j’avais voulu, un jour, devenir écrivain. J’ai rouvert les dossiers refermés à la fin de mes études et décidé d’achever un roman entamé. La perspective de ces heures d’écriture du soir me permettait de tenir debout toute la journée. Les phrases qui remplissaient mon fichier Word chassaient la fatigue et désintégraient les tracas liés au bureau. L’écriture était revenue et elle était en train de me sauver.

J’ai osé commencer d’autres textes. J’ai publié un premier livre, on m’en a commandé un deuxième. Je me suis dit que c’était ma vie. Que je pouvais en faire ma vie si j’osais désobéir. Désobéir, c’est donner sa démission (une trahison, pour ma supérieure hiérarchique), ne pas suivre les conseils des proches, n’écouter que soi en priant fort pour que son discernement ne soit pas faussé. C’est décider de gagner beaucoup moins d’argent quand tout le monde rêve d’en gagner plus.

Ce n’est pas facile. Les gens jugent. Jalousent. S’éloignent. Cela impose de s’affranchir du regard des autres et de croire en soi. Ce qui se fait plus ou moins bien selon les jours. A 28 ans, j’ai sauté le pas et découvert combien la liberté pouvait être vertigineuse. Comment faire quand plus personne n’impose de contraintes ? Qu’écrire, quand tout est possible, le temps infini, et qu’on n’est attendu nulle part ? Par où démarrer ? Pourquoi démarrer ?

Et puis les choses se mettent en place. J’ai choisi d’accepter des commandes d’ouvrages, des piges, des animations autour de l’écriture pour ne pas que ma vie matérielle dépende exclusivement de mes propres projets de livres. J’ai évolué pendant cinq ans dans un univers de luxe qui a failli me déconnecter totalement des réalités financières. Mon nouveau luxe, c’est le temps et la possibilité que je me laisse de dire oui ou non à chaque proposition que je reçois. Désobéir m’a permis de commencer à vivre ma propre vie. Pas celle que les autres attendaient que je vive. Désormais, je milite en faveur de la désobéissance.

Et j’écris des livres.

Sophie Adriansen est écrivain (éditions Nathan, Max Milo, Premium...) et tient depuis 2009 le blog Sophielit. Elle a publié une douzaine d’ouvrages depuis 2010.

Janvier 2014 : Grace Kelly - D'Hollywood à Monaco, le roman d'une légende (Editions Premium) Avril 2014 : Drôles de familles ! (Editions Nathan)

Février 2015 : Max et les poissons (Editions Nathan)

www.sophieadriansen.fr

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