Les saisons dans la littérature japonaise
TweeterCe chemin — seule la pénombre d'automne l'emprunte encore
Bashô Matsuo
Le cycle naturel des saisons est un sujet de prédilection pour de nombreux artistes qui par la plume ou la toile le mettent à l’honneur. Le Japon peut à juste titre s’enorgueillir de la richesse de ce thème dans l’œuvre de nombre de ses écrivains. Le Zen, le bouddhisme et le shintoïsme sont trois philosophies de vie qui ont grandement contribué à éveiller chez les Japonais un respect et une admiration de la Nature dans son ensemble et en particulier pour les saisons, qui symbolisent l’impermanence des choses, l’éternel renouvellement de la vie, sous toutes ses formes. Très présent dans leur imaginaire, l’Homme se fond dans cet éternel changement, qui touche tant l’infiniment petit que l’incroyablement grand. Au-delà de ces courants spirituels, c’est avec force célébrations , ainsi que par des rites culturels et sociaux qu’aujourd’hui encore, le passage d’une saison à l’autre est associé à des fêtes et des événements. Hanami, littéralement « aller voir les fleurs » est l’une des plus célèbres : elle a lieu au printemps, lorsque tous les Japonais se ruent dans les parcs pour observer les cerisiers en fleurs et ses infinis pétales roses. Les saisons constituent donc un socle commun de culture au pays du Soleil Levant. Et c’est dans sa littérature qu’on peut en mesurer l’ampleur.
Que ce soit dans des poèmes, des romans ou bien encore dans des essais, la présence des saisons est constante et s’intègre naturellement dans la pensée et l’écriture des auteurs japonais. Elles permettent de déguster le temps qui s’écoule, les narines chatouillées par les fleurs du printemps ou les yeux éblouis par le flamboiement des momiji (feuilles d’automne).
Sous la forme succincte et noble du haïku, poème très court qui met à l’honneur la Nature, et notre lien avec elle, ont ainsi été cristallisés des émotions et des instants de vie en quelques sons, qui lui rendent un hommage modeste mais profond. Bashō est l’un des plus célèbres poètes japonais, ayant vécu au XVIIè siècle, et aussi l'un des quatre maîtres classiques du haïku japonais (avec Buson, Issa et Shiki). Un art si amplement travaillé que de nombreux ouvrages rassemblent les plus beaux d’entre eux, en mêlant la dextérité du pinceau d’artiste à la fluidité d’une plume d’écrivain. Haïkus des quatre saisons, Estampes d’Hokusai, édité au Seuil en est un exemple parfait. Ce petit bijou littéraire vous convaincra en délicatesse de l’interaction innée établie entre les Japonais et leurs saisons.
Mais revenons encore plus en arrière. Murasaki Shikibu, dame de la cour du milieu de l'époque de Heian (IXè-Xiè siècles), est aussi une auteure extrêmement connue pour son ouvrage Le dit du Genji, rédigé au XIè siècle. Dans ce livre, considéré comme le premier roman japonais, Murasaki Shikibu entremêle prose et poésie pour mettre sur papier la vie de la cour de son temps et raconter les amours du prince Genji. Mais elle met aussi énormément les saisons à l’honneur pour symboliser l’impermanence, la fragilité des choses (c’est un ouvrage colossal, vous trouverez de nombreux extraits en ligne pour les plus curieux). Sei Shōnagon, autre femme de lettres née vers 965, dame de compagnie de l’Impératrice à la cour de Kyoto, décrit avec détail dans ses poèmes le changement des lieux et des gens qu’elle observe en s’appuyant sur celui des saisons qui s’imbriquent avec subtilité et raffinement dans ses réflexions. Son œuvre la plus connue ? Notes de chevet, qu’elle écrivait en cachette dans sa chambre !
Les Japonais ont en effet toujours fait des saisons l’occasion de s’interroger inlassablement sur la beauté du monde, pour célébrer son caractère évanescent et intemporel à la fois. Les Contes d’Ise, d’auteur inconnu, et datant du Xe siècle, illustre l’historique de cette pensée :
Parce qu'elles disparaissent dans la brise
Nous aimons
Les fleurs de cerisiers.
Dans ce monde évanescent,
Qu'existe-t-il qui ne soit éphémère?
Allez, faisons un grand bond dans le temps, direction le XXè siècle.
Quand Sôseki écrit ses Petits contes de printemps en 1909, pages de journal intime, il s’ancre dans la temporalité de la saison et l’observe attentivement, figée dans la glace puis dans le brouillard. Printemps, la glace ? Et oui, selon l’ancien calendrier japonais – lunaire – le printemps commence le 3 ou 4 février et dure jusqu’en mai. A cette occasion a lieu une fête : Setsubun, où l’on jette des graines de soja grillées en répétant à tue-tête “Oni wa soto! Fuku wa uchi!” (ce qui veut à peu près dire « Dehors les démons ! Le bonheur dans la maison ! ») afin de purifier la maison et de s’attirer la bonne fortune ! Bien plus qu’un accessoire pour combler le décor et la trame, les saisons organisent, régissent le cours des vies et tels de vieux amis viennent nous rendre visite, et sont un prétexte pour la sociabilité.
Je me suis un peu éloignée : tout ça pour vous dire, Petits contes de printemps de Natsume Sôseki, à lire ! Un petit ouvrage superbe.
C’est déjà l’heure de vous quitter… Je pourrais vous parler de piles entières d’ouvrages classiques, anciens et contemporains, mettant en valeur les quatre saisons tout en restant frustrée car on ne résume pas ce sujet en un article mais davantage en un mémoire. Chaque œuvre de la littérature japonaise est imprégnée d’une fragrance célébrant la ou les saisons où l’histoire se déroule. La Nature est le plus beau miroir de nos âmes, la plus belle composition métaphorique des cycles de la vie. Les écrivains japonais l’ont bien compris et s’en servent intuitivement. A votre tour de partir à la chasse aux saisons dans leurs textes !
Pour les plus curieux, le Musée Cernuschi propose une exposition pour "montrer les liens affectifs et profonds qui unissent les Japonais à la Nature" : Le Japon au fil des saisons, jusqu'au 11 janvier 2015
Musée Cernuschi, 7 avenue Vélasquez, 75008 Paris. Tél :01 53 96 21 50 Ouvert du mardi au dimanche inclus de 10h à 18h.