Portrait d'auteur #14 : découvrez Jennifer Murzeau

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Bonjour à tous.

Jennifer Murzeau est romancière, journaliste et rédactrice. Son premier roman, est paru chez Léo Scheer en 2012. Le second, Il bouge encore, est paru chez Robert Laffont dans le cadre de la rentrée littéraire 2014. Elle a travaillé en tant que journaliste pour France 2, Direct 8 et France Culture. Puis a décidé, voilà quatre ans, d’embrasser une carrière de journaliste/ rédactrice freelance afin de pouvoir dégager du temps pour l’écriture de ses romans. Elle collabore aux pages société des magazines Stylist, Glamour, Néon et Vanity Fair.

Membre de WeLoveWords, elle s’entretient aujourd’hui avec nous au sujet de ses romans et de la littérature.

Comment as-tu découvert WeLoveWords?

J’ai une amie qui a remporté un concours sur la plateforme avec un court texte, devenu roman depuis.

Que représente pour toi une communauté d'auteurs en ligne?

Selon moi We love words répond à un besoin impérieux chez toute personne qui écrit : celui d’être lu. Un auteur désire (le plus souvent) partager ses textes, les confronter au réel, à l’accueil d’un public. De cette façon il s’aguerrit. Et recevoir en retour des avis, des critiques, des encouragements est extrêmement stimulant. Une communauté d’auteurs en ligne est donc particulièrement cohérente.

Quelle place a l'écriture dans ta vie?

Une place tout à fait centrale puisqu’elle est mon travail (mon gagne-pain) et ma passion. Après avoir été journaliste dans l’audiovisuel, j’ai quitté le salariat afin de dégager du temps pour pouvoir écrire mes romans, et je gagne ma vie en tant que journaliste de presse écrite et rédactrice pour diverses missions. Ce sont des façons différentes d’exercer sa plume, mais j’y trouve à chaque fois, le plaisir de manier les mots. Bien entendu, ce plaisir est très singulier pour l’écriture d’un roman, qui s’élabore en dehors de toute contrainte, dans une liberté absolue, à la fois grisante, vertigineuse, parfois inquiétante lorsqu’on craint de ne pas être à la hauteur de ce qu’on voudrait produire, lorsqu’on craint de ne pas arriver au bout. Mais je ne me lasse pas de cet effort, il est celui qui pour moi a le plus de sens.

Tu as publié deux romans, comment s’est passé pour chacun d’eux le travail d’écriture?

J’ai été beaucoup plus assidue, rigoureuse pour le second parce que je savais qu’il était possible d’arriver au bout d’un récit, puisque je l’avais déjà fait pour le premier. Pour moi l’écriture romanesque est une question de foi et de pugnacité. Il faut y croire, ne pas lâcher, s’assoir et travailler, même lorsqu’on a l’impression d’être au pied d’une montagne franchement intimidante. Donc j’ai écrit le second plus rapidement parce que je ne lâchais jamais le manuscrit plus de quelques jours. Pour le premier, j’écrivais dans les interstices, je procrastinais beaucoup, je connaissais pas mal de phases de découragement et laissais parfois tomber le manuscrit pendant des mois. Et puis pour le second, j’ai également fait l’expérience d’un sentiment de professionnalisation, non seulement dans la rigueur mais aussi dans l’écriture elle-même. Je me regardais moins écrire, je pensais moins à mon lecteur, ma plume était plus désinhibée, mon style plus affirmé. J’avais progressé. Ce qui est très banal. Plus on pratique une activité, quelle qu’elle soit, plus on progresse.

Trouver un éditeur a t-il été facile?

Non ça n’est pas simple. Et il faut être patient. C’est assez difficile de rester serein dans l’attente des réponses aux manuscrits qu’on a déposés avec amour à l’accueil de quelques maisons. Ça dure de longs mois. Et ils en reçoivent tellement, qu’il devient compliqué d’être lu.

Ton dernier livre, « Il bouge encore » est sorti à l’occasion de la rentrée littéraire. En quoi cela est-il différent d’une sortie classique?

C’est différent parce qu’à cette période, les yeux se tournent davantage vers la littérature. C’est une espèce de grand messe qui entretient mythes et fantasmes. Il est assez naturel lorsqu’on sort un livre à cette période d’espérer être « découvert », reconnu, en jouissant d’une couverture médiatique qui sort de l’anonymat ou de la confidentialité. Seulement, avec 800 parutions simultanées, les chances que cela arrive restent minces. D’autant que les médias s’intéressent surtout aux grands noms, aux auteurs déjà connus. Donc sortir à cette période est à double tranchant, il est courant d’être noyé dans la masse. C’est particulier également parce que la rentrée littéraire est ponctuée de salons, ce qui est très chouette. Quand on participe à des salons, on sort de la solitude inhérente au travail de l’écrivain pour rencontrer les autres auteurs, pour échanger avec des lecteurs. Et boire des coups !

Peux-tu nous en dire plus sur ton livre?

Il bouge encore raconte comment Antoine, cadre dynamique, trentenaire content de lui, reconsidère son existence entière à la faveur d’un licenciement qu’il n’avait pas vu venir. Ce coup du sort qui le laisse d’abord hébété et pris de vertige face ce qu’il perçoit comme un soudain néant, va en réalité lui permettre d’amorcer une forme de renaissance, délesté de ses habitudes d’être aliéné qui avait jusqu’alors trop fait l’économie de la pensée.

Tu décris la dérive d’un homme qui s’était laissé dévorer par sa situation sociale, son travail. Pourquoi ce sujet ?

Le thème de l’aliénation m’inspire beaucoup. Je trouve que l’époque y est très propice. Il me semble qu’aujourd’hui, prendre le temps de réfléchir à qui on est, à ce qu’on fait, au monde dans lequel on vit et à la place qu’on souhaite y occuper, relève de la résistance. Les sociétés occidentales incitent leurs membres à téter sans modération deux mamelles : le travail et la consommation. Il se trouve que le monde du travail s’est en outre bien durci ces derniers temps. Dans ces conditions on a vite fait de perdre le contrôle de son existence si on n’est pas vigilant, et exigeant ! C’est ce qui était arrivé à Antoine. Cet état de fait permettait de traiter d’autres thèmes que je trouve très riches. Par exemple, celui de la désocialisation (subie puis voulue dans le cas d’Antoine). J’ai voulu élaborer une histoire qui révèle ce qui se passe quand on ne joue plus le jeu, quand on applique plus les codes. Enfin un troisième aspect très central de ce roman, qui lui aussi découle des dérives de l’époque, est l’autopsie d’un couple, celui qu’Antoine forme finalement sans conviction avec Mélanie. Il était assez amusant de décrire leur déliquescence. J’ai voulu que le lecteur soit aux premières loges de leur enlisement. Et pour que le lecteur apprécie le plus intimement ce naufrage, je lui ai donné accès à l’intériorité de ces deux personnages. Il a accès aux pensées d’Antoine comme à celles de Mélanie. Du coup, on connaît les réactions non-verbalisées, non-assumées des personnages l’un vis-à-vis de l’autre, ce qui s’avère volontiers être un ressort comique.

Le langage froid, abstrait de l’entreprise est très présent dans ton livre. Comment l’as-tu intégré à ton propre style? Mis à distance ?

En effet, il y a plusieurs registres de langue dans le livre, d’autant qu’on a accès à l’intériorité des personnages, qui s’expriment dans une certaine forme d’oralité. Je me suis attachée à rendre compte du quotidien dans toute sa trivialité, son ridicule parfois, avec réalisme. La notion de réalisme était cruciale pour ce récit. Et je me suis amusée à tourner en dérision le jargon de l’entreprise pour faire ressortir la vacuité qui y occupe une place non négligeable de nos jours. Je l’ai intégré assez naturellement à vrai dire. Ça m’a plu de jongler avec les anglicismes de la boss de Mélanie et les angoisses de cette dernière dans la scène de la réunion. Je ne mets pas vraiment le langage de l’entreprise à distance. Il fait partie de l’époque, il avait sa place dans ce récit du coup.

As-tu déjà vécu le supplice de la page blanche ?

Pas encore. J’espère ne jamais le connaître, il m’angoisserait atrocement. Quand enfin je m’attèle à mon texte, les mots viennent. Cependant, et ça n’est pas très différent, je suis très familière avec la procrastination, qui n’est autre dans ce cas précis, que la crainte de se mettre à écrire, par peur de se décevoir.

*Quels conseils aurais-tu à donner à nos auteurs qui veulent se lancer? *

D’y croire. Et de bosser. Comme je le disais plus haut, je pense que l’écriture est une affaire de foi et de pugnacité. Et cette foi est souvent soumise à rude épreuve, parce que c’est impressionnant de s’atteler à une tâche de cette ampleur, quand de surcroit personne ne vous l’a demandé et personne ne vous attend. C’est beaucoup, beaucoup de travail. Donc relever ses manches et se cogner à son document word, sans remettre à demain.

Pour toi, quel est le futur du texte?

Ah ça… Je ne sais pas, je ne suis pas sûre. J’ai lu que les gens lisent de plus en plus, contrairement à ce qu’on pourrait penser, puisqu’ils lisent des articles, des mots à longueur de journée sur le net. Mais je dois reconnaître que je suis un peu inquiète du sort de la littérature, l’édition dans ce domaine connaît de telles difficultés ! Cela dit, il me semble impensable qu’elle disparaisse. L’humanité a toujours eu besoin de se raconter des histoires.

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Retrouvez son dernier roman aux Éditions Robert Laffond ici

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