Portrait d'auteur #22 : Découvrez Selen ITOKA

Partie fine l copy

Salut, ça va ? Ça va et toi ?

Tu fais quoi dans la vie ? Répondre à des questionnaires, mais pas uniquement. J’écris, tente le dessin, bref, l’expression sous beaucoup de formes. J’ajoute que l’expression de soi peut se trouver ailleurs que dans l’art à proprement parlé.

Dans quel contexte as-tu commencé à écrire ? J’ai commencé assez jeune, et c’était il y a (déjà) assez longtemps pour que ce soit sur une machine à écrire ! Je me souviens encore du bruit des touches qui frappent le ruban d’encre, c’était quelque chose ! Puis est venu l’ordinateur. Curieusement, l’approche « papier stylo » est venu après… peut être car plus personnelle.

Quel type d'auteur es-tu ? / Quel est ton profil ? J’essaye de rester honnête dans ce que j’écris et de ne pas trop parler de moi. Mon souhait est de raconter des histoires, sincères, bien sûr, cela impose une distanciation par rapport à moi-même. Partie Fine est révélateur d’une telle ambition : dix narrateurs qui se passent la parole. Au-delà de l’intérêt romanesque, je voulais m’amuser à créer dix personnalités différentes, cherchant l’inspiration en moi, bien sûr, mais surtout ailleurs. Partie Fine et ses dix narrateurs démontrent aussi l’envie d’explorer un thème, ici l’érotisme. Dix personnages, donc dix manières différentes d’appréhender le sexe et les sentiments, en fonction de leur genre, leur passé, leurs envies, leurs désirs. « Découvrir » mes personnages était passionnant (le mot « découvrir » prend d’ailleurs tout son sens dans une histoire érotique).

Si tu avais le choix, tu vivrais de ton écriture ou tu préfèrerais garder ça en hobby ? Excellente question, longtemps posée, rarement résolue. Je dirai aujourd’hui que je souhaites vivre de mon écriture ET de mes autres hobbies (écrire 12 heures par jour ne me convient pas, j’ai également besoin d’aller voir ailleurs si j’y suis). Prendre de la distance par rapport à l’écriture est le meilleur moyen d’y revenir.

Comme le veut la tradition, il nous faut ton Topwords : 5 mots de ton choix et pourquoi. Erotisme Ce mot se distingue de la pornographie ou du « fleur bleu ». Il est extrêmement présent dans notre monde, et pourtant régulièrement associé à l’un ou l’autre des termes précédemment cités. L’érotisme est primordial. Il s’agit, dans la littérature, d’utiliser le sexe comme un moteur narratif. S’il est omis, on vire dans le « fleur bleu ». S’il devient une fin en soit, phagocytant l’histoire, c’est de la pornographie. L’érotisme est l’acceptation de la sexualité comme élément de la réalité.

Construction Terme un peu « concret » mais qui me semble important. J’aime construire des histoires (et les architectes sont également des artistes). Construire une histoire, donc, élaborer des personnages, une intrigue, des retournements de situation. Cette vision de l’écriture peut sembler étrange pour certains (et elle n’est bien évidemment pas la seule), mais je la considère essentielle. D’ailleurs, la quasi enquête policière qui apparaît dans Partie Fine démontrer ce plaisir de construire, laisser des indices, prendre le lecteur à partie. Je le met au défi de résoudre l’enquête avant la fin de l’histoire…

Modestie Le simple fait de parler de modestie semble être la preuve qu’on en manque, donc il est toujours gênant d’en parler !. Mais de mon expérience dans l’écriture, la modestie est nécessaire. Reconnaître lorsque quelque chose est franchement mauvais. Accepter les critiques. Accepter de recommencer. Savoir s’effacer pour laisser place à une histoire.

Japon ITOKA ne trompe pas, j’aime le Japon (d’ailleurs, ITOKA veut en partie dire fleur… fleur bleue ? Je ne sais pas). Ses ambivalences, son incroyable richesse culturelle, sa douceur, sa gastronomie délicieuse. La relation entre la France et le Japon est par ailleurs assez incroyable. Les japonais sont littéralement fan de la culture et gastronomie française. Quant à nous, notre passion pour les sushis et les mangas n’est plus à démontrer. Cela dit, ce pays gagne à être connu au-delà de ces quelques éléments.

A suivre… Je sais, ce sont deux mots ! Mais importants. La vie est imprévisible, et garder en tête cette impermanence me semble essentiel pour avancer sereinement.

Tu as un lien particulier à la poésie, mais aussi au monde de l'entreprise. Les deux sont-ils pour toi conciliables ? Lier les deux est indispensable. Pour retourner au Japon, le lien entre les citoyens et les entreprises est très fort (moins présent aujourd’hui, la crise est passée par là). Le toyotisme, par exemple, demande, à l’opposition du fordisme, une implication de l’employé sur toutes les étapes de la création de la voiture. Ce dernier peut ainsi chercher à produire un résultat parfait ce qui, dans un sens, ressemble au travail du poète. Mettre de l’humanité dans l’entreprise est un ressort essentiel pour notre société actuelle. Il faut reconsidérer le travail. Il faut aussi amener l’art à l’entreprise. Le théâtre d’entreprise est une première étape. La poésie en est une autre.

Y a-t-il des formes d'écritures qui selon toi ne sont pas assez exploitées encore dans le monde de l'entreprise ? Beaucoup d’entreprises américaines ont l’intelligence de chercher à faire développer les qualités personnelles de l’employé (via le sport, l’expression). Double avantage : l’employé aura plus envie de s’investir au sein de l’entreprise et il y mettra une contribution plus personnelle, donc enrichissante. L’écriture, actuellement, est bloquée dans l’entreprise dans un carcan assez « administratif, email, bilan, rapport, ‘’cordialement’’ », rien que l’écriture de ces mots est anxiogène ! Une « libéralisation » de l’écriture permettrait d’arrondir les bords tout en gardant les points sur les « i ». Au-delà des simples impératifs professionnels, les idées ne manquent pas pour que l’écriture aide l’employé à s’exprimer. Pourquoi ne pas se mettre en scène, lui et ses collègues, dans une pièce de théâtre dont il écrirait les lignes ? Ce processus de distanciation (l’une des essences de l’art) serait un excellent moyen d’apaiser des tensions et de rire ensemble.

Pour toi, quel est le futur du texte ? Le texte n’a pas de support. Il est l’essence même de la civilisation. D’ailleurs, pour les historiens, l’histoire commence à l’utilisation de l’écriture.

Le texte est pluriel. Il se retrouve dans les livres, bien sûr, mais un texto est également un texte. Pour le futur, je pense que le livre va persister. Non pas car ça m’arrange, mais par un besoin de retour à la lenteur dans un monde de plus en plus rapide. Le texte en général va aussi se personnaliser, pour le meilleur et pour le pire. Via la collecte de nos données, les grandes entreprises du web sauront exactement ce que nous voudrons lire, et nous le présenteront devant l’écran. Problème : nous ne sortirons pas de notre zone de confort, rassurés de lire ce que nous savons déjà. Une nouvelle fois, le livre, par son côté « archaïque » et déconnecté, pourra présenter une porte de sortie. Ne s’adressant à personne spécifiquement, il peut intéresser tout le monde.

Ainsi, l’avenir du texte est un miroir du nôtre. A la fois inquiétant et porteur d’espoir.

Vous pouvez lire Selen ici : http://welovewords.com/selen-itoka