Un mot, des maux

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Certains utilisent plus de mots que d’autres, tandis que les monomoniaques (ce mot n’existe pas, je confirme, inutile de déranger Robert pour si peu) privilégient certaines catégories. Pourquoi pas…

Peu importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse. D’accord, on la connaît celle-là. On sait aussi, étude à l’appui, que tant que les première et dernière lettres du mot sont à leur place, les autres peuvent bien faire une partie de chaises musicales si ça les branche, ça ne nous empêchera pas de lire et de comprendre. Formidable ! Reste que ça ne coûte pas plus cher d’utiliser le bon mot, si ?

La manière dont nous nous exprimons ne nous résume heureusement pas. On ne naît pas avec le Petit Robert intégré, et aucune règle n’impose de s’exprimer exclusivement en pangrammes pour éviter qu’une lettre ne reste seule au fond de l’alphabet (un peu comme le dernier petit pois au fond de la boîte). Oui mais voilà… Comme on chope le virus de la grippe, on incube les mots de ceux qui nous causent, on conjugue à la mode de son temps, et au lieu de 26 lettres, on se retrouve à 26 mots dans le dico. Un peu pauvre, non ?

Prenez les parents de jeunes enfants. On pense à tort que s’ils se limitent à n’utiliser qu’un mot, un nom le plus souvent, c’est pour se mettre à la portée de leur marmaille encore balbutiante. C’est prendre les marmots pour des cons. Ils manquent peut-être effectivement de vocabulaire, mais pas de capacité à aligner deux mots ou plus. En modèles tout puissants, papa et maman seraient bien inspirés de leur montrer l’exemple en liant sujet, verbe et complément(s). Et de se méfier de ces longues phrases qu’ils lâchent par dessus leurs petites têtes en pensant qu’ils n’impriment rien. Ca éviterait des sorties gênantes au parc, à entendre bambino marmonner dans le dos d’un autre, entre « ballon » et « boggan » : « Cet enfant m’exaspère ! C’est bien son père ! »

Les botellos (contraction de « bobo » et d’« intello ») ont eux une prédilection pour les adverbes grandiloquents en -ment et les battles de soliloques. Postez-vous à la sortie d’une séance de ciné, disons « Ana Arabia » de Gitaï, mais à vrai dire ce serait « Les Gardiens de la galaxie » de Gunn que ça ne ferait pas grande différence. « Oh vraiment, c’était absolument… Tellement… - Oui, totalement... Et divinement… avec un côté résolument… J’adhère. - Définitivement. » Les adjectifs en revanche, ils n’adhèrent pas.

Les journalistes, ces soldats de l’info, sont pour leur part tellement au garde à vous qu’ils parlent tous exactement la même langue : l’AFP. A tout bout de flash ou de chronique, on retrouve ces formules toutes faites, toujours les mêmes, pour tous, applicables à n’importe quel sujet, et qui n’empêchent aucun perroquet de coller son nom à la fin. « Drame en marge d’un meeting à Hollandeville. Une militante pro-Montebourg aurait mordu son homologue vallsienne. Tout serait parti d’un désaccord concernant le sens d’accrochage d’une affiche. D’après une source proche de l’enquête, le pronostic vital ne serait pas engagé. Ouvrons une page sport à présent, avec ce véritable séisme dans le monde du ballon rond : Ribéry raccroche les crampons. Le milieu du Bayern, dont l’équipe de France avait dû se passer lors de la dernière coupe du monde, a annoncé qu’il prenait sa retraite internationale. Les Bleus sont déjà sur les bancs pour remplacer le joueur, aussi réputé pour ses exploits sur le terrain que sur Zahia… »

Et puis il y a ceux qui font des efforts et s’essaient, avec plus ou moins de succès, au français upgradé. Si l’intention est louable, le résultat est, disons, intéressant… Le périmètre est circoncis. Les voitures se dégarent. Pierre qui roule ne masse pas mousse, tandis que ces deux-là s’entendent comme lardons en foire.

De grasse ! Ne jetez plus bébé aux orties ni mamie avec l’eau du bain ! Un bon mot est une preuve d’esprit, pas une obligation. Employer les bons mots, dans le bon ordre et à bon escient, ça, c’est tout simplement pratique. De grâce ! Ne faites pas de mal aux mots.

Par Lisa Azorin, journaliste/correctrice

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