1 - LA PREMIÈRE

ileen-gass

Partie 2/9

J'attendais ma mère sur le trottoir de l'hôpital psychiatrique duquel je sortais enfin. Mon sac de voyage était lourd. Je l'avais posé à mes pieds. J'étais heureuse, car enfin j'allais rentrer chez moi. Et l'idée de revoir mon père que je n'avais vu que très peu de fois à cause des jours de visites restreintes, m'enchantais à merveille.

Je crois me rappeler avoir attendu un quart d'heure avant de voir apparaître à un virage, la vieille Ford Fiesta rouge de ma mère.

Toutes vitres ouvertes, elle a stoppé son véhicule à ma hauteur et m'a dit avec un sourire gêné :

- Bonjour, Johann.

Je lui ai répondu par un regard froid et j'ai ouvert la portière côté passager.

Elle a cru que j'allais m'asseoir à côté d'elle, car elle a pris son sac à main posé sur le siège pour le mettre par terre, sur la moquette grise et sale. En réalité, je n'ai fait que poser mon sac de voyage sur le siège et prendre place à l'arrière.

Une fois attachée, j'ai croisé les bras et arboré une mine fermée exprès pour qu'elle comprenne que je n'étais pas ouverte à la discussion. Mais pourtant, elle m'a demandé :

- Comment tu vas ?

J'ai pouffé et enfoncé dans mes oreilles les écouteurs de mon lecteur MP4 rangés dans la poche avant de ma veste en jean.

Ma mère m'a alors lancé un regard plein de reproche à travers la glace de son rétroviseur intérieur.

Ce jour là, elle s'attendait à ce que je l'embrasse. Mais comment aurais-je pu le faire ? Elle m'avait fait enfermer dans un hôpital psychiatrique pendant deux ans, au lieu d'un mois comme on avait convenu. Ma réaction était proportionnée.

Ma mère a démarré la voiture et s'est mêlée à la circulation.

J'ai appuyé sur lecture.

Hayley Williams du groupe Paramore s'est alors mise à chanter Misguided Ghosts.


***


J'ai souris en voyant apparaître notre maison au loin. En deux ans, elle n'avait quasiment pas changée. Mon père avait juste repeint les volets pour les rafraîchir un peu. Je l'ai vu, parce que leur couleur était plus blanche que leur gris habituel.

Ma mère s'est garée devant la porte de notre garage.

Pressée de retrouver mon père, je n'ai pas attendu qu'elle coupe le moteur pour descendre de son véhicule.

La porte d'entrée de notre maison s'est ouverte dès l'instant où j'ai posé mes pieds par terre. Et mon père est apparu.

Il a ouvert les bras avec un grand sourire.

J'ai marché vers lui le visage fermé. J'ai fais mine d'être contrariée. De ne pas vouloir le voir.

Le sourire de mon père s'est effacé. Ses bras se sont abaissés.

J'ai gardé le silence pendant un instant en me postant devant lui, puis j'ai dressé mes yeux clairs vers les siens en penchant légèrement la tête sur la gauche. Et j'ai soufflé en souriant :

- Salut !

Mon père a sourit à nouveau. Il a rit en me prenant dans ses bras  et m'a dit en me serrant fort :

- Tu m'as tellement manqué !

Il m'a soulevé sans trop d'effort.

Mes pieds ont décollés du sol.

- Toi aussi, papa, lui ai-je répondu avant un baiser.

Il m'a reposé et m'a embrassé la joue.

— Comment tu vas ?

— Bien mieux, maintenant que je suis là.

Ma mère s'est approchée de nous.

L'entendant venir, je me suis tourné vers elle. Elle m'a tendu mon sac de voyage.

Je l'ai pris sans un regard ni un merci, puis j'ai filé en vitesse dans ma chambre, à l'étage.

- Elle ne m'a pas embrassée, j'ai entendu murmurer avec tristesse ma mère à mon père.

Je me suis arrêtée en haut des escaliers pour écouter la réponse de mon père.

Il a dit :

- Elle va le faire. Laisse lui du temps.

Je suis entrée dans ma chambre en secouant la tête.

Ma chambre n'avait absolument pas changée. Tout était à sa place. Exactement comme je l'avais laissée. Même les quelques vêtements que j'avais négligé sur le dossier d'une chaise n'avaient pas bougé.

Je m'étais assise sur mon lit pour ouvrir le tiroir de ma table de chevet.

Mon portable y était rangé, et j'avais hâte de l'allumer pour découvrir mes messages et mes appels manqués.

En attendant qu'il se mette en route, je m'étais emparée de la boîte en fer glissée sous mon lit. Je l'appellais "Ma boîte aux lettres".

Quand j'étais absente pour plusieurs jours. Chez mes grands-parents ou bien en colonie de vacances, mes parents la remplissaient du courrier que je recevais.

Il pouvait s'agir de lettres de mon lycée ou de ma banque, mais plus généralement, elle était remplit de lettres de mes amis.

Avec un grand sourire et beaucoup d'excitation, j'ai retiré le couvercle.

- 48 56 13 89 123

Mon sourire et mon exaltation se sont effacés quand s'est élevée la voix de La Première.

J'ai redressé la tête. Bien sûr, je n'ai rien vu d'autres que les meubles de ma chambre.

Cela faisait près de deux jours que je ne l'avais plus entendu, et maintenant que je rentrais chez moi, voilà qu'elle revenait.

On a toqué à ma porte.

J'ai sursauté.

C'était mon père.

— Oh, s'est-il écrié, surpris. Je t'ai fait peur. Excuse-moi.

J'ai souris rapidement pour lui faire comprendre que ce n'était rien.

— Je peux entrer ? m'a-t-il timidement demandé.

Je lui ai fais signe que oui.

Il s'est avancé dans ma chambre en la caressant du regard.

— On a rien touché, ta mère et moi, pendant ton absence, m'avait-il appris. Elle a pensé que tu aimerais qu'on laisse tout comme c'était.

— Elle a eu raison, j'ai soufflé.

Mon père a sourit. Puis voyant la pâleur sur mon visage, ses sourcils bruns et broussailleux se sont froncés.

— Tu vas bien ? m'avait-il demandé, inquiet.

Je savais ce qu'il sous-entendait.

Est-ce que tu vois et entend toujours les mortsJo ?

— Oui, ça va, j'avais mentis pour le rassurer. Ça va beaucoup mieux. Maman a eu raison de me faire interner dans cet hôpital.

Mais mon mensonge était trop gros. J'aurai dû, ce jour-là, me contenter de répondre : oui, ça va. Et ne rien dire d'autre...

Mon père a gardé le silence un court instant, puis il est venu s'asseoir à côté de moi, sur le bord de mon lit.

— Si elle a eu raison de le faire, m'a-t-il demandé tendrement, alors pourquoi tu lui en veux ?

J'ai baissé le regard pour observer mes mains qui tremblaient un peu. Puis j'ai amèrement répondu :

— Parce que je devais ne rester qu'un mois, et non pas deux ans. Elle m'a mentit.

Mon père a alors fait quelque chose qui m'a étonné. Il a caressé mes longs cheveux châtains qui me tombaient jusqu'au milieu du dos, puis il m'a dit :

— Elle ne t'as pas mentit, Jo. Ta mère pensait réellement que tu n'y resterais qu'un mois. Elle l'espérait. C'est ton médecin, Marco Oliveri qui a décidé de rallonger ton séjour. Parce qu'un mois ce n'était pas assez pour te soigner de ce dont tu souffrais.

Étonnée, je lui ai demandé :

— Pourquoi elle ne m'a rien dit ? Pourquoi elle m'a laissé croire que c'était elle qui avait tout fait pour que je reste si longtemps ?

- Elle avait peur que tu en veuille à Marco. Comme tu le sais, c'est l'ami d'enfance de ta mère. C'est pratiquement lui qui t'a mise au monde ! Elle ne voulait pas qu'il y ait des tensions entre lui et toi. Il t'adore, tu sais ?

J'ai senti des larmes de rage me monter aux yeux.

S'il m'adorait comme il le prétendait, alors pourquoi avait-il rallongé mon séjour chez les fous ? Il aurait pu me faire sortir beaucoup plus tôt. Je me serais reposée chez moi, et mes parents se seraient occupés de moi. Peut-être même que je n'aurais plus vu les morts...

- Elle m'a dit que j'avais eu de la chance de n'être restée enfermée que deux ans, à l'hôpital de Formen. Certaines personnes qui souffrent des mêmes problèmes que moi, restent dix ans. C'est vrai ?

Mon père a acquiescé en ma caressant la joue.

J'ai baissé la tête. Mes larmes de rage ont coulées sur mes joues.

- Ne lui en veut pas, m'a presque supplié mon père. Ni à Marco.

J'ai fermé les yeux et soufflé :

- J'ai besoin de temps.

Il y a eu un léger silence.

J'ai essuyé mes joues du revers de ma main et j'ai vu mon père regarder ma "boîte aux lettres".

- On a reçu aucune lettre de Julia.

Je me suis alors mise en colère.

- Pourquoi elle ne m'a pas écrit ? Je suis sa meilleure amie ! Elle... Elle m'envoie des lettres à chaque fois que je m'absente plusieurs jours !

— Je ne sais pas... Peut-être qu'elle préfère te voir plutôt que de t'écrire.

J'ai secoué la tête.

- Tu as regardé ton portable ?

Je l'ai pris là où je l'avais posée, mais je n'avais rien. Ni messages, ni appels manqués venant de sa part. Juste des offres commerciales et des SMS de ma banque.

— Alors, peut-être qu'elle aussi a besoin de temps...

Mon père m'a attiré contre lui. J'ai posé ma tête sur son épaule en pleurant doucement.

- Ce n'est pas facile d'apprendre que quelqu'un qu'on aime est dans un hôpital psychiatrique, m'a-t-il chuchoté. J'en sais quelque chose...

J'ai de nouveau fermé les yeux et me suis rappelé le jour où ma mère lui avait apprit que j'allais séjourné à l'hôpital de Formen, suites à mes troubles mentaux. Mon père s'était mis dans une colère noire. Il avait mit beaucoup de temps avant d'accepter la décision de ma mère.

— Julia ne t'a pas oublié.

Il m'a embrassé sur le sommet du crâne.

Au même moment, j'ai eu très froid. Discrètement, de la fumée blanche s'est échappée d'entre mes lèvre. En face de nous, devant mon bureau recouvert de feuilles, de livres et de cahiers de cours, La Première est apparue. Toujours de dos.

— Ni ta mère, a repris mon père qui ne pouvait la voir. Elle a pensé à toi chaque minutes de la journée.

J'ai serré mon père contre moi pour me rassurer. Même si je voyais La Première depuis deux ans, j'en avais encore très peur.

- Personne ne peut t'oublier, a terminé mon père.

La Première s'est tournée doucement vers moi, pour sans doute, me montrer son visage.

J'ai encore fermé les yeux.

Très fort. Plus fort.

Et elle a dit :

48 56 13 89 123. Trouve moi.


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