1 - LA PREMIÈRE

ileen-gass

Partie 9/9

— J'appelle la police, m'a-t-elle annoncé en s'éloignant loin de la vue - et de l'odeur pestilentielle - du cadavre de La Première.

Me retrouvant seule, je me suis tournée vers elle. Puis doucement, je me suis approchée.

Elle m'a regardée.

— Tu voulais que je retrouve ton corps, c'est ça ? comprenais-je enfin.

Elle ne m'a pas répondue. Elle m'a fixée d'une manière étrange. Comme si elle avait pitié de ce qu'il m'arrivait, puis elle s'est évaporée vers le ciel, en particule de poussières.

J'ai eu de la peine. Comme un trou dans mon cœur, car j'ai su en cet instant que je ne la reverrais plus jamais.

— J'ai eu la police. Ils arrivent bientôt.

Je me suis tourné vers ma mère. Elle avait les larmes aux yeux. Elle était bouleversée. Bouleversée et sous le choc. Elle tremblait comme une feuille.

— Maman..., lui ai-je soufflée en lui ouvrant les bras.

Elle m'a enlacée en me demandant ce qu'il se passait, et je n'ai pas été capable de lui répondre.

Non pas parce que mes sanglots m'en empêchaient, mais parce que je n'en avais pas la moindre idée.

***

Il y avait une poignée de policiers rassemblés autour du cadavre de La Première. Nous avons été écartée de ce qu'ils appelaient "la scène de crime", forcée de respecter le périmètre de sécurité. Le corps de La Première avait été mis dans un sac mortuaire et transporté ensuite jusqu'à une ambulance. Nous avons suivi tout le déroulement, jusqu'à ce qu'un commandant de police s'approche de nous pour nous interroger.

Il n'était pas très impressionnant, car petit de taille. Il avait les cheveux poivre et sel. Et sous sa tenue de civil, se cachait un corps mince et velu. La seule chose qui intimidait chez lui, c'était ses yeux gris et perçants. Rien que d'un seul regard, il vous donnait l'impression de vous avoir percé à jour.

— Ça va aller ? nous a-t-il demandé faussement inquiet.

Ma mère a acquiescé brièvement en essuyant son nez avec un mouchoir qu'une ambulancière lui avait donnée.

Le commandant a regardé l'ambulance dans lequel le corps de La Première avait été transporté, puis il a reporté son regard vers nous et nous a dit :

— D'après l'état du cadavre de la jeune femme que vous avez trouvée, il semblerait qu'elle soit restée sous ces branches pendant plusieurs années.

Ma mère s'est mouchée puis a demandée :

— Vous pensez qu'elle est l'une des douze victimes de William Russell ?

— Pour l'instant, on ne peut pas trop se prononcer, mais c'est une probabilité, oui.

— Oh mon Dieu, a recommencé à pleurer ma mère.

Le commandant a croisé les bras, puis nous a demandé avec son regard perçant :

— Je ne veux pas paraître indiscret, mais pouvez-vous me dire ce que vous faisiez ici ?

Ma mère s'est ressaisie.

— On se promenait, a-t-elle rapidement répondue.

Le commandant a levé un sourcil.

— À cette heure? Il fait presque nuit. Plus personne se balade près du lac, à cette heure...

Il m'a soudain regardé.

— Tu ne devrais pas être en train de faire tes devoirs ?

Je me suis raclée la gorge avant de répondre :

— Si.

Le commandant a jeté à ma mère un regard moralisateur. Je crois qu'elle n'a pas bien appréciée, car ensuite elle lui a demandé un peu froidement :

— Vous avez fini ? On peut rentrer chez nous ?

— J'ai encore une question, a grogné le flic. D'après ce que vous nous avez dit au téléphone, votre fille a découvert la jeune femme sous un tas de branches.

Il m'a regardé.

— Peux-tu me dire comment, en te promenant près du lac, tu as découvert son cadavre ?

J'ai regardé ma mère pour qu'elle réponde à ma place.

Le commandant a poursuivit :

— Elle était cachée. Tu n'avais aucun moyen de la voir. À moins, que tu savais déjà qu'elle était là...

Son regard gris et perçant me criait coupable. Ma mère s'en est rendu compte. Elle s'est énervée.

— Qu'est-ce que vous insinuez ?Que ma fille aurait tuée cette jeune femme, cachée son corps sous ce tas de branche, et par remord, m'aurait fait venir ici pour me montrer ce qu'elle avait fait ?

— Non, madame. Comme je vous l'ai dis, le cadavre que votre fille a trouvé, est à première vue, resté là pendant plusieurs années. Je ne fais que demander à votre fille si elle savait d'avance que le corps de la jeune femme se trouvait là.

Ma mère a pouffée.

— Et comment l'aurait-elle su ? Par le Saint Esprit, peut-être ?

Ta phrase était ironique, maman.

J'ai esquissé un discret sourire en coin.

Le commandant a regardé ma mère de haut, puis il a marmonné entre ses dents :

— Non, bien sûr.

Puis plus fort :

— Peut-être que votre fille est venu ici, plus tôt, avec quelques amis, et qu'ensemble, en s'amusant près du tas de branches, ils ont trouvé le cadavre.

Le visage de ma mère a viré au cramoisie. Pour éviter qu'elle explose de colère devant tout le monde, j'ai dis :

— J'ai perdu mon portable.

Ma mère et le commandant m'ont regardés.

— En me promenant près du lac, avec ma mère, j'ai perdu mon portable. C'est en revenant sur nos pas et en fouillant un peu partout que je suis tombée sur elle.

Pourvu que le flic croit à mon mensonge.

Il m'a regardé en plissant les yeux.

Était-ce le soleil couchant qui le gênait ou était-ce une manière comme une autre de me faire comprendre qu'il avait du mal à me croire ?

— Très bien, a-t-il dit en sortant une paire de lunette de soleil, de la poche avant de sa vieille veste en cuir.

Il les a glissé sur son nez.

Soudain, devant nous, nous n'avions plus un commandant de police, mais un semblant d'aviateur.

Mon téléphone a tinté.

— Tu l'as retrouvé, à ce que je vois...

J'ai souris avec gêne en le sortant de la poche arrière de mon pantalon.

— Je vais vous demander de rester à la disposition de la police. Nous allons certainement avoir d'autre questions à vous poser.

Il nous a planté là pour rejoindre son équipe.

Le regard en peine, je me suis alors tourné vers ma mère et j'ai dis :

— Maman, je suis vraiment désolée.

— Désolée pourquoi, ma chérie ?

— De te causer des ennuis.

Elle a regardé l'ambulance transporter le corps de La Première et elle m'a affirmée avec le regard sombre :

— Oh, crois moi, y a plus grave, ma chérie...

Voilà comment tout s'est passé pour La Première. Alors que ma mère et moi rejoignons sa voiture, je pensais que tout était terminé. Que plus jamais je n'allais revoir de fantôme. Mais un nouveau est apparu le soir même. Il est sortit du tréfond des Enfers expressément pour me rencontrer. Et il n'était pas du tout content parce que j'avais déterré son précieux trésor.

Ma mère m'avait dit qu'il y avait plus grave. Je pensais qu'elle parlait du flic qui allait nous causer des ennuis ou du directeur de mon lycée qui allait trop en dire. Mais le plus grave, c'était ça.


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