12 years a slave
amaury-deville
Monsieur Mac Queen,
Merde, que vous est-il arrivé? Comment avez-vous pu me faire cela?
Je venais voir votre film, par curiosité. J'en ressors, plein de morosité.
Comment avez-vous pu ? Je ne suis pas fait pour les remises en questions, les interrogations, les jugements de l'histoire.
Le mot est un mot que les maux de l'histoire n'égratignent pas dans mon vocabulaire quotidien. Il est ici par utilité, là pour l'art de la formule. Il s'émet dans l'expression d'une idée, d'un échange avec mon partenaire.
Mais ai-je déjà pensé au sens des mots que j'emploie ? Leur utilisation dans l'histoire récente ou lointaine ? Si peu.
Je suis de ceux qui emploient le mot « nègre » régulièrement en appelant mes potes black. Sourire en coin, car forcer le trait fait de moi un mec qui rit de tout. Je suis de ceux pour qui la survie tient dans sa capacité à se goinfrer de pop-corn quand je vais au ciné. Sinon c'est péché.
Mais qu'est ce qui t'a pris Steve ? Comment tu t'y est pris pour me faire avaler ce mot « NEGRE » dans la bouche, le faire remuer dans mon estomac libre et naïf, le torturer consciemment et me le faire vomir jusqu'à la bile.
J'ai des relents de dégout à écouter le son de ce mot qui a sonné en écho le temps d'une séance. J'en ai trop entendu, sorti de ces impressionnants personnages rebutants. J'en ai trop vu, de l'indifférence radicale, perverse et terrifiante de ces hommes pour qui le nègre n'est, au mieux un chimpanzé baisable, au pis un objet consommable.
Jamais le mot survivre ne m'était venu ainsi. Dans cet état brutalement psychologique. Dans cet esprit si cassant marqué du rapport entre l'espoir et le désespoir, entre la vie et l'envie d'en finir quand ton avis n'est que mépris.
2 heures de souffrance marquante, qui me voit sortir tremblant, suant, hypnotisé par ton propos cinématographique. Tu as mis du relief à ton idée, de l'empreinte à mes sentiments, et de l'indélébile à mon attention aux mots. Cette chute sociale m'a marqué. J'ai descendu 20 étages de mon bâtiment de la petite connaissance, mais tu m'as donné la plus belle terrasse, au sommet de la prise de conscience.
Merci Steve