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Hervé Lénervé

Comme je ne déplace pas les foules avec mes rubriques de psycho, je vais vous conter un petit conte à rebours. Attachez vos ceintures, c’est parti.

« Treize » : il faut bien partir de quelque chose et comme je n'ai aucune inspiration ces temps-ci, je pars d'un mot, au mieux d'une phrase qui se serait imposée à ma conscience, mais là, je n'en ai même pas, je n'ai qu'un numéro, celui de cette histoire, c'est ma méthode d'écriture, ensuite ça de déplie, ça se déroule et souvent cela se fait presque tout seul, sans moi. La méthode des débutants, peut-être. « L'écriture automatique » en somme, je ne sais pas pourquoi je dis ça, je ne connais même pas le mouvement surréaliste.

Donc « treize » : cela peut être treize enfants dans un appartement trop petit pour une telle famille, la raison pour laquelle on vit plus dehors que dedans. Je ne vais pas énumérer les prénoms de mes sœurs, de mes frères, on n'en finirait pas, à savoir si je me les rappelle tous.

« Treize » : c'est aussi le temps du récit, le vendredi 13 de l'année 1975, en juin.

« Treize » : c'est mon âge, il m'en faut bien un, tout le monde en à un.

« Treize » : c'est le département, Bouche du Rhône, (pour ceux qui auraient oublié), à Marseille, sur le vieux port.

L'odeur de la Méditerranée, l'air chaud qui manque d'air et les bruits des drisses se mêlant aux cris des mouettes. Nous, deux de mes frangins et moi, sommes assis, jambes pendantes sur la jetée, on ne sait pas que faire, on regarde de petits bateaux rentrer et sortir, puis sortir et rentrer, bref on s'emmerde ferme.

-         Tè, vé ! L'autre zig ? C'est Marius qui parle, (lui, je me souviens de son nom).

L'autre qui ne dit rien, c'est Gastoun, pour Gaston. (Quelle mémoire)! Et moi c'est Ervé, (mais là, je n'ai pas de mérite, (on ne met pas le H chez nous)). On m'appelle d'ailleurs par l'abréviation de « Vé », ce qui prête souvent à confusion, car ici, des « Vé ! (regarde !) » ou des « Tè ! (tiens !) » ou encore des « Tè, vé ! »' (t'as pas une clope ?), on en met partout, alors j'ai toujours l'impression de me faire appeler de toutes parts.

Donc « té, vé ! L'autre zig », ça se rapporte à un de nos potes qui fait le couillon sur une barcasse à moitié échouée et comme il vient de nous voir, il fait de grands signes dans notre direction, mais comme on ne connait rien au langage sémaphorique, on comprend que dalle. Donc on est bien obligé de se rapprocher un peu, peu chère, j'espère que ça vaut le coup.

Et oui ! Ça vaut le coup, car le cacou, il a une fameuse idée fumante. Une planque, d'où l'on peut voir, à une heure précise, fruit d'une longue expérience empirique et non scientifique, une gonzesse à poil, ouvrir ses volets à lattes. Maintenant il faut se magner, car justement ça va être l'heure d'ouverture. Bon, je vous épargne le temps qu'il nous « phallus » pour rejoindre la planque, puisque je ne vous ai pas épargné ce mauvais jeu de mot, c'est un principe de compensation, le vase communicant de la pénibilité. Bref, nous y étions à l'heure, pile, poil, plume. Puis comme la fille était réglée comme une fille, elle ouvrit ses persiennes à l'heure convenue et nue comme prévu. Elle était magnifique cette fille, je ne la détaille pas, prenez une de vos connaissances qui vous parait magnifique et vous aurez la fille.

-         Houa ! Putain qu'elle est belle la gonzesse.

Là, c'est le cacou qui parle, pour nous vendre sa marchandise et nous faire remarquer, par la même occasion, qu'il ne nous a pas fait marcher dix minutes pour rien. Ici, dans le sud, on s'économise, c'est la chaleur qui rend nonchalant. C'est vrai que la fille est magnifique, on doit lui concéder, au moins ça, au couillon, par contre, elle est toute petite parce qu'elle est très loin et on la devine plus qu'on ne la matte. Le problème c'est que notre poste d'observation est séparé par un bras de mer et pour s'approcher davantage, il nous faudrait une barque. Or, personnellement de barque, on n'en a pas, mais ce n'est pas ça qui manque ici. Alors, on prévoit pour le lendemain de piquer, d'emprunter, veux-je dire, n'importe quelle barque, qui mouille au port et qui n'attend que cela d'aller voir ailleurs si le mouillage est plus sympa.

Je ne vais pas vous faire patientez vingt-quatre heures, donc j'avance les aiguilles et nous y sommes. Redonc encore, nous, mes deux frangins et moi, plus le couillon, montons dans n'importe quelle barque pour nous rapprocher du spectacle, le malheur voulu, que ce ne fut pas n'importe quelle barque, mais la seule qui était « fuitarde » de tous côtés et même plutôt du fond. Seulement dans notre empressement de l'emprunter, nous ne nous en sommes aperçus qu'à la moitié du chemin liquide. Une autre précision qui a son intérêt, est, que malgré que nous soyons tous natifs de la Méditerranée, aucun de nous, ne savait nager et Oui ! C'est con, mais c'est assez fréquent chez nous, on va sur des bateaux, on pêche, on barbotte, mais on ne sait pas vraiment nager. Par ailleurs, vous prenez bien l'avion, sans savoir parfaitement voler, non plus… alors !

Bon en plein milieu du bras de mer, on remarque enfin que la barcasse a autant d'eau à l'intérieur, qu'il y en a à l'extérieur. Le grand couillon qui nous a entraînés dans cette mésaventure, se met à écoper de ses deux mains comme le grand counas qu'il est. Autant dire que c'est peine perdu car l'eau rentre plus vite qu'elle ne sort et que notre sort ne tient surement pas aux gesticulations frénétiques de l'autre fada. Notre sort est entre les mains de Dieu, peut-être, mais plutôt davantage d'ailleurs, dans la ponctualité de notre sujet d'étude, qui ouvre ses persiennes à l'espagnolette à l'heure dite, pour s'apercevoir que nous sommes quatre couillons à la supplier de nous secourir plus qu'à la mater en train de faire son streap tease. Pourtant, allez savoir pourquoi, c'est la seconde hypothèse qui dut lui traverser l'esprit, car la bombasse referma précipitamment et pudiquement ses volets et nous laissa tranquillement nous noyer, mes deux frangins et moi, moins le couillon qui devait barboter mieux que nous, sans doute, car il réussit à regagner le quai. (D'ailleurs, par soucis de cohérence, j'aurais dû lui laisser la primeur de raconter cette histoire, mais il raconte vraiment trop mal.)

 

Moralité : la vertu tue.

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