13 ans jupe

Olivier Verdy

Charlotte aime Tifanie son amie. Qui aime sa maman. Qui aime Georgio son chéri. Qui aime Charlotte ?

Un matin, Tifanie le sait, un matin, elle sera enfin libre. Libre de se lever à l'heure qu'elle veut, libre de dormir encore un peu, libre de ne pas avoir à aller à l'école ou pire, à rester à la maison pour accomplir un ensemble de tâches ménagères. Un matin, elle le sera, mais pas ce matin. Ce matin, elle a un travail à réaliser. Et Georgio, son beau-père va l'aider. Car depuis quelques mois déjà, Georgio est très présent dans la vie de Tifanie.

Il est arrivé petit à petit. La première fois qu'ils se sont rencontrés, c'était un week-end. La maman de Tifanie l'avait prévenue.

-          Ma chérie, tu sais que j'ai un ami, que je vois quand tu es chez ton père, et là, ça fait quelques temps que ça devient sérieux alors on s‘est dit que ce serait bien que je te le présente.

-          Mouais si ça peut te faire plaisir !

-          C'est à toi que j'ai envie de faire plaisir !

-          Ce n'est pas papa. Alors je m'en fous.

Difficile et cruelle réalité. Tifanie était toujours en manque de son père. Pourquoi et comment ses parent s'étaient séparés restait un grand mystère pour elle. Elle avait droit à différents explications : son père n'aimait plus sa mère, sa mère avait un amant, son père les avait abandonnées, il avait essayé de recoller les morceaux, elle ne voulait plus de lui, ils se détestaient, elle l'avait surpris avec une autre. Bref. Une longue et affligeante litanie de mensonges que ses géniteurs lui racontaient suivant leur humeur. Elle en avait même oublié la vraie raison. Et d'ailleurs, elle s'en moquait un peu. Ce qu'elle savait c'est que son père vivait seul à une cinquantaine de kilomètres et qu'elle le voyait parfois à la sortie du collège, souvent le weekend et que sa mère était là tous les autres jours. Et que sa mère se sentait seule. A se demander si elle était capable de vivre autrement qu'en couple.

Et donc, le soir venu, il était arrivé, jean délavé, chemise blanche, mocassins, un bouquet de fleurs pour maman et une boite de chocolats noirs pour Tifanie. Chocolats noirs, ses préférés ! Comment avait-il-su ? Ah oui, maman bien sûr.

C'était déjà la troisième fois que maman présentait un ami à Tifanie. Ça commençait à être lourd. Mais bon, à chaque fois, elle avait dû y croire, croire qu'un homme serait prêt à partager sa vie avec une femme et une fille. Une fille certes très cool mais une femme super chiante et qui voulait tout régenter dans la vie de tout le monde. Mais elle était super mignonne. Et Tifanie en était trop fière, vu qu'elle ressemblait à sa mère en plus jeune et donc en plus belle, évidemment.

Au début sur la défensive, Tifanie s'était un peu détendue au fur et à mesure de la soirée. De plus, Georgio, à la différence des autres amis qu'elle avait rencontré, s'intéressait à elle, lui posait des questions sur sa scolarité, ses goûts musicaux, son avenir potentiel. Enfin un homme pas trop mal.

 

Tifanie enfile ses chaussures montantes. Jambes nues. Concentrée. Elle s'apprête enfin à franchir le pas.

-          Georgio ? tu pourrais m'emmener retrouver ma copine Charlotte ?

-          Euh, attends, ouais, elle habite ou ?

-          Ah pas chez elle ! Elle est au boulot de son père, c'est tout près en voiture. Je la retrouve et après on ira en ville, si tu peux nous déposer bien sûr !

-          Bon. A quelle heure ?

-          Ben là, bientôt, je finis de me maquiller et on y va ?

-          D'accord. Je prends ma veste.

Et il est revenu. Style un mois plus tard. Encore un repas. Pas de chocolats cette fois–ci mais des fleurs. Un joli bouquet assemblé de différentes couleurs. Ravissant. Sauf que Tifanie ne savait pas quoi en faire. A 13 ans, on n'a pas forcément un vase dans sa chambre. Mais maman l'avait aidé.

Et il est revenu. Style 15 jours plus tard. Sans fleurs. Désolé je n'ai pas eu le temps.

Et il est revenu. Style la semaine suivante et là, ils sont allés se promener tous les trois. Une balade en ville, une promenade au parc, quelques courses et retour à la maison. Et Georgio boit un verre de trop. Et il dort sur place.

Et il est revenu. Style le lendemain. Et il n'est plus reparti. Ou presque jamais. A croire qu'il a rendu son logement tellement il est devenu présent tous les jours. Et toutes les nuits.

 

-          Chacha ? oui c'est moi, ça y est, on va partir dans deux minutes. C'est bon de ton côté ?

-          ….

-          Ok, bises

 

Tifanie raccroche et prend son manteau. Encore un cadeau de Georgio.

Toujours souriant, toujours poli, pas un mot plus haut que l'autre. Adorable avec sa mère.  Attentionné. Câlin. Et si maman avait trouvé quelqu'un de bien qui s'occuperait d'elle? Bon pas aussi bien que papa, mais pas mal quand même. Tellement en confiance que sa maman lui a donné une clé. Et qu'il est donc venu quand il voulait. Même quand maman n'était pas là.

Voilà. Tifanie aurait dû s'en douter. Une fois, elle est sortie de la douche, il était là. En peignoir. Elle a rougit. Il a eu l'air gêné. Il a demandé pardon, bredouillé que c'était involontaire. Qu'il ne fallait pas qu'elle en parle à sa mère parce qu'elle ne comprendrait pas et qu'il avait trop peur de la perdre. Alors Tifanie s'est tu. Même si cela a été difficile, surtout le premier soir, de ne rien dire, de faire comme si tout était normal alors que lui, Georgio, elle en était sûr, n‘avait pas été là par erreur et l'avait délibérément regardée peut être même quand elle se douchait.

 

-          Georgio, on y va ? Je suis prête.

-          Ok Fanie. Après vous avoir déposé, j'irai faire quelques courses. Tu aimerais manger quoi ce soir ?

-          Euh je ne sais pas, je vais réfléchir, raclette ?

-          Pff, il fait 20 degrés dehors, tu es sure ?

-          Ah? Alors je ne sais pas. Ou alors, des frites !

-          Bon je verrai, tu ne m'aides pas beaucoup!

 

Tifanie en a parlé avec Charlotte, sa meilleure amie. Et les deux ont commencé à chercher des recoupements dans leurs têtes. Et là, quand il t'a regardé tu crois qu'il bandait ? Et, je me souviens une fois, il matait tes fesses quand tu allais à la cuisine, tu ne te rappelles pas ? Oui aussi, il parle toujours de ses petites nièces mais je ne les ai jamais vues. J'hallucine tu crois que c‘en est un? Comment on pourrait savoir ?

Charlotte et Tifanie ont alors passé du temps sur Google à analyser des indices bien maigres tels que il a bien appuyé en me faisant la bise ou il a mis la main sur mes épaules dans le salon. Des indices maigres mais des indices aux yeux adolescents des deux jeunes filles, jusqu'à ce que, un jour…

Jusqu'à ce que, un jour, Georgio laisse son ordinateur portable sur une table sans verrouillage, comme un acte manqué. Et que Charlotte, dégourdie, regarde quelques photos dans la galerie. Le choc. Des enfants, des adolescents. Nus. Ou presque. Seuls. Ou pas. En tout cas sans aucune ambiguïté. Charlotte vomit. Puis s'enferme avec Tifanie et les deux pleurent longtemps puis elles décident d‘agir. Mais que faire quand on a treize ans. Et contre la parole d'un adulte qui aurait tout effacé. Etablir un plan. Machiavélique. Pour des filles de treize ans.

 

-          Vraiment trop bien ta voiture, mets la musique plus fort, j'adore c'est le dernier Orelsan.

-          Si ça te plait, moi j'ai du mal. Le père de Charlotte, il bosse au commissariat, il est flic ?

-          Non pas du tout, il répare des chauffages ou un tuc comme ça et il est chez les flics aujourd'hui.

 

Un après-midi, elle est arrivée en jupe, un peu maquillée, un peu provocante mais pas trop. Elles avaient d'ailleurs fait des essais quelques jours avant avec le grand frère de Charlotte pour ne pas paraitre ni trop âgée ni trop aguicheuse. Et ça marchait. Elles ont commencé à jouer, à se chamailler, et, incidemment, on pouvait deviner la culotte blanche quand la jupe remontait. Georgio, agacé mais toujours très poli les prévint qu'il les laissait un peu tranquille et allait se reposer ne se sentant pas très bien. Tifanie s'éclipsa juste le temps que Charlotte n'attrape Georgio par l'épaule et ne le soutienne. Ils montèrent vers la chambre. Et Georgio s'étendit non sans laisser sa main trainer sur la jupe de Charlotte qui fit mine de ne rien remarquer. Elle se pencha sur son front pour vérifier s'il avait de la fièvre tandis qu'il accentuait sa caresse, sous la jupe cette fois. Charlotte se détourna rapidement, comme choquée et s'enfuit. Tifanie la rejoignit quelques instants plus tard son téléphone à la main. C'est bon ? C'est bon. Il me dégoute. Moi aussi.

 

-          Viens, on va la chercher. Ils ne vont pas vouloir que je rentre si je suis seule.

-          Ok mais deux minutes pas plus.

-          Je t'appelle, attends-moi là.

 

Une fois dans le commissariat, Tifanie entre dans un petit bureau. Charlotte est là. Assise. Au bureau, un inspecteur est installé derrière son écran. Il regarde une vidéo filmée avec un portable. Son collègue est debout, vers la porte. Tifanie passe la tête vers l'entrée.

-          Georgio, tu peux venir s'il te plait ?

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