2:22 mn

Stéphan Mary

E come va ? Je me suis absentée quelques jours pour cause de formation courte imposée par ces connards de l'administration Bush zébulon de l'emploi. J'étais tellement énervée que je lâchais ma diatribe contre le système Bush le soir avec mes copains, autour d'un verre ou deux, d'un petit pétard tarpé et de deux. Je rentrais tard, un peu abrutie, le moral comme la bourse, en vrille mais
mais
mais !
Même lorsque j'ai croisé le désespoir assis sur un banc, j'ai hésité, le corps chancelant, en avant, en arrière, j'ai fait quelque pas pour passer devant le banc, je me suis arrêtée, je l'ai regardée, vieille, recroquevillée sur elle-même, protégée par son manteau gris. Elle ne lève même plus les yeux, trop fatiguée ou plus envie, plus de force. Elle marmonne quelque chose mais trop bas, c'est incompréhensible. J'ai fait quelques pas, me suis retournée. Et si... et si j'allais la voir, juste lui demander si ça allait, si elle n'avait pas besoin de quelque chose ou de quelqu'un ; si j'allais m'asseoir, juste 1 minute, sans rien dire, juste être là ; et si...
Mais j'ai continué. Et je t'ai croisée. On s'est fendu d'un sourire
Donc obligatoirement, tu l'as vue, la femme assise sur le banc du désespoir. Mais si ! je t'assure que tu l'as vue, au moins une fois, assise sur un banc. Tu ne peux pas la rater, elle porte un manteau gris.
Je n'ai pas regardé si tu t'arrêtais mais j'y ai pensé.
Et comme je pensais à toi, oui toi là, en face, les yeux rivés sur ton écran, m'est venue une idée, une drôle d'idée. Je te propose un petit jeu :

Règle n°1, débrouille toi pour trouver la musique de Yann Tiersen "The piano":

Règle n°2, te convaincre tout de suite que c'est inutile de critiquer le choix de la mélodie, c'est celle-ci et pas une autre. Alors écoute, regarde et lâche du lest, laisse toi aller

Règle n°3, me reprendre si je dis des conneries.

Le temps imparti est de 2 mn et 22 secondes.

J'ai 2:22 mn à te proposer en lecture
Je ne connais pas la fréquence de ton rayon X du balayage de texte

Règle n°4, assure toi de ne pas être interrompue pendant 2:22 min. Cale toi bien dans ton siège, sers toi un verre si tu veux, allume une cigarette si c'est nécessaire. Enveloppe d'un regard attentif ce qui t'entoure, les volumes, le mobilier, le décor. Perçois les bruits qui te parviennent, directs ou étouffés, familiers ou inconnus.
Règle n°5, ne pas décrocher. Appuie maintenant sur replay, pour remettre la mélodie, qu'elle monopolise la parole sur les bruits environnants. Et maintenant suis moi

Si je te dis, Paris, ses scintillements, son bientôt noël, ses plus beaux atours. Sa clique de touristes et de banlieusards qui envahiront inexorablement les avenues, les rues adjacentes, jusqu'au soir tombé avec certains soirs, les vendredis et samedis, les nocturnes. Tu marches seule au milieu de la cohorte de bonnes gens qui déjà préparent les fêtes. Mais trop de bruits, trop de monde, monde de fous.
Tu te dis que tiens, tu serais vraiment mieux chez mimine, à montmartre. Tu remontes la rue blanche, le moulin rouge, les escaliers de la butte. Tu vois l'enseigne, ça te réchauffe le coeur, tes nerfs s'apaisent. Tu vas pénétrer dans l'antre du sourire, du réconfort, de la douceur d'une mimine accueillante et réjouissante. Règle n°6 t'immerger réellement dans l'ambiance d'un vrai café montmartois, avec son bar vieillot à droite et les 6 tables en vieux bois qui lui font face. Mimine t'accueille avec son vrai sourire de mimine. Que tu commandes un café ou un petit blanc, elle s'en fout, chez elle on boit de tout de l'ouverture à la fermeture. Elle t'entreprend sur le champ au sujet de déjà les préparatifs de noël, du déjà le temps froid, des déjà à la rue, des déjà sans logements. Noël-froid-rue-SDF, elle est comme ça mimine, méthodique. Ça sent bon chez elle, ça respire la gentillesse de la patronne, de l'amie, de la mère. Elle est ce qu'on veut pourvu qu'on l'aime en retour. Alors elle donne sans discontinuer, depuis des dizaines d'années, dans son café de la butte.
Elle aime beaucoup et beaucoup l'aiment. C'est un vrai petit café planqué tout au fond d'une petite rue à Montmartre. On dit que Jean Marais et Cocteau aimaient y venir seuls et je les comprends. C'est l'endroit idéal pour les rendez-vous discrets mais également pour les dîners improvisés entre amis. Ça fragance l'émotion à l'état sincère, le serrement de mains vraiment amical, l'oeillade du voisin qui a bien écouté ta conversation ... Des bruits, des rires, tellement de noblesse.
Tu te réserves chez mimine comme ta maison secondaire de l'âme, le repos de la guerrière. Pour aller chez mimine, tu passes devant un banc. Ce soir pour la 1ère fois, tu as eu peur d'y croiser le désespoir. Et puis non, le banc était vide. Mimine t'a embrassée et la soirée a commencé.

Voilà. Nous sommes 2:22 mn plus tard. C'était le temps d'une pause café, le temps de s'en griller une, la pause petits racontars de couloir.


Enfin, règle n°7, te demander si pendant 2:22 mn tu as décroché. Si oui, c'est gagné ; si non et sinon, tant pis, c'est raté !


Alors, tu l'as déjà vue ? La vieille avec un manteau gris, ça y est, tu te souviens ?
Tiens, si on l'invitait à danser ? Peut-être que...


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