25 avril 2050

madamev

Un monde plus beau

La vieille dame est assise sur le quai de la station République, sur la ligne 9. Cette semaine, c'est Rothko qui est affiché. Elle n'a jamais tellement aimé Rothko, mais la lumière rouge qui baigne la station est agréable, et puis elle elle regarde les gens regarder, c'est divertissant.

La publicité a disparu depuis plus de vingt ans.

C'est la télévision, qui a rendu l'âme la première. Quand TF1 a été déréférencé par tous les distributeurs, personne n'est descendu dans la rue pour protester. Son propriétaire est revenu à ses activités initiales dans le bâtiment, et la cohorte des animateurs et des auteurs privés de travail ont chacun créé leur chaîne Youtube - avec plus ou moins de succès. Les autres chaînes, boudées par les annonceurs car pas assez puissantes, ont rapidement fermé leurs antennes dans l'indifférence générale.

Sous la menace des écologistes qui promettaient de poser des bombes dans leurs rédactions s'ils continuaient à tuer les forêts, les titres de presse ont abandonné le papier, et se sont limités à des éditions web. Seuls ont survécu les contenus capables de générer des abonnements payants. La publicité en ligne,  jugée laide et intrusive, fut massivement rejetée par les internautes, qui ne supportaient plus les pop up indésirables qui s'ouvraient à tous moments.

Les agences de publicité furent dévastées par les affaires : l'instauration de loi sur la vie privée, et la mise en place d'outils de surveillance révélèrent que les données personnelles de plus de 70% des français étaient utilisées par les communicants, à l'insu de tous. Parallèlement à la découverte de ce scandale, une armée de stagiaires guidés par le chef des insoumis JL Mélenchon réussit à pénétrer dans les comptes des dix plus grandes agences et révéla au Canard enchainé une succession de malversations qui représentaient plus d'un milliard d'euros cachés sur des comptes offshore. Le gouvernement de l'époque, pourtant très libéral, fut obligé de cadrer strictement la profession, à tel point qu'elle finit par s'éteindre, privée de tous revenus.

Dans l'impossibilité d'utiliser la publicité, les produits créèrent des boutiques sur Facebook, et devinrent prisonnières de l'algorithme , ce qui modifia fortement les parts de marché. Beaucoup de grands groupes mirent la clé sous la porte, et on vit fleurir quantité de commerces de proximité en ville. Dans la périphérie la distribution se réduisit à des hangars où les gens venaient chercher leurs commandes.

C'est alors que l'Etat français racheta tous les emplacements d'affichage, et en fit une gigantesque galerie d'art. On put admirer David Hockney sur les 4X3, Gustav Klimt sur les Abribus, Velasquez dans le métro.

La vieille dame est contente. Elle aime bien Rothko, finalement.

La semaine prochaine c'est le Caravage.


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