3 - ANIEL, La Mort est une Fin

Doris Dumabin

1er chapitre du 3ème tome de la trilogie des Ryax Roman Science-Fiction et Aventure www.facebook.com/dorisdumabin


Doit-on se sentir triste de mourir ?

Quel sens doit prendre notre vie ?

Devient-elle plus précieuse dès lors que nous savons qu'elle mène à une fin ? Connaître l'issue inévitable de ce chemin nous permet-il de donner de l'importance aux choses ?

Comment serions-nous si nous n'avions pas de fin ? Dans l'éventualité que les personnes que nous aimons et que nous détestons demeurent pour toujours à nos côtés ? Depuis l'aube des temps, l'humain cherche le secret de la vie éternelle, alors que de nos jours, nos sociétés de consommation nous poussent vers les changements à courte échéance.

Mort et renouveau vont de pair, tout comme l'éternel est souvent artificiel.

 

Notre espèce existe sur Terre depuis quatre millions d'années alors que d'autres s'éteignent naturellement tous les jours… certaines disparaissent surtout à cause de nous… 

 

 

 

 


 

Ariane

Une révolution de vingt-quatre heures, un mois de trente jours, dix mois, soit trois cents jours pour une année arienne. Sur la planète Ariane, à douze heures de jour suivaient douze heures de nuit. Douze heures réservées à l'emploi et douze autres, acquises au repos, lorsque la situation financière de l'habitant lui permettait de suivre ces cycles de vie. À la dernière heure de la nuit les arians se réveillaient et se préparaient à commencer la première heure du jour, de même qu'à la dernière heure réservée à la journée, ils savaient que viendrait la première heure de la nuit. Le début de la période de jour ne marquait nul changement significatif de la luminosité car la planète Ariane restait la seule de son système placée entre les étoiles Aïos et Liélos. Sur Ariane les peuples subissaient donc une luminosité faible mais constante ainsi qu'une température moyenne de 22°C, mais le sol aride ne permettait la croissance que de peu de végétation et ceci sur un seul continent séparé en deux : au sud un désert nommé Plogshin, et au nord une partie habitable qui constituait la cité de Kira.

 

 

 

LiélosAïos

 

 


O        Aïos, étoile principale

 

o          Ariane

 

O        Liélos, étoile centrale

 

o          Toge                                        

 

o          Gayalin'Ourar Katalirque

 

o          P-248

 

o          Nétadia

 

o          Smirée

 

 

 

 

Galaxie de l'Étoile blanche, 

schéma du système LiélosAïos, tel que nous le connaissons aujourd'hui.

 

 

 

 

NB / Innovation de lecture :

> : lors des dialogues, indique que le personnage précédent reprend la parole…

 

À savoir >

 

 

Les ryax.

Un guerrier ryax appartient à une classe supérieure à celle d'un soldat. Son influence ainsi que son pouvoir de décision supplantent celle d'un chef d'État. Il dépend du centre Yalt qui est totalement indépendant de celui de l'armée de la planète Ariane. Yalt est implanté à partir du niveau 203 de la tour présidentielle du secteur 1. Ce seul centre intergalactique forme les élèves ryax sélectionnés sur toutes les planètes du monde connu. En passant les tests d'entrée, chaque guerrier intègre d'abord le niveau 1 sauf s'il est évalué à un niveau supérieur. Après une formation à la fois pratique et théorique de six ans correspondant aux niveaux d'apprentissages, le ryax doit conserver l'échelon N6 durant dix années sans rétrogradation, avant de passer à nouveau des tests de gradation afin de prétendre à la fonction suprême de maître djin. Lors de leur cérémonie de gradation, les ryaxdjin reçoivent leur affectation afin de poursuivre différentes missions. Ces guerriers de classe djin sont les garants des libertés universelles selon les règles des Internations et de l'Union des Systèmes Solaires Associés.

 


 


1*Les jeux sont faits !

 

- Aniel tu ne peux pas y aller. La dernière saison de combats ultimes auxquels tu as participé, les djins n'ont guère apprécié. 

Padi eut la nette impression qu'il venait de parler dans le vide. Ses mots, transportés par son souffle n'avaient fait vibrer que l'air ambiant sans visiblement atteindre les cellules ciliées d'une cochlée de son interlocuteur. Aniel, qui ne démontra à la suite de cela aucune quelconque intention de ralentir le pas, continua sa route à travers les allées du niveau 203 vers le spatioport de Yalt. Il se contenta de lancer un regard ambré sur sa gauche, puis sur sa droite, afin de simplement vérifier que personne ne l'avait entendu se faire semoncer. 

Les deux guerriers avançaient dans des couloirs gris au charme glacé. Seules quelques sculptures lumineuses rompaient la monotonie du lieu. De nombreux élèves ryax aux races hétérogènes, uniformément enveloppés de leurs capes anthracite les saluaient avec déférence alors que leurs collègues djin se contentaient d'un discret signe de tête. Aniel évita ostensiblement leurs regards bienveillants.

- Moui… Mais ils ne le sauront pas avant que je ne devienne champion, marmonna-t-il. Et d'ailleurs, depuis cinq ans, Padi, je te rappelle que je suis moi aussi un djin.

 

Il venait de se redresser en bombant le torse de fierté. Padi faillit lever les yeux au ciel face à tant de suffisance.

- Mais pal[1], souviens toi. La dernière fois, ils s'en sont bien rendu compte, puisque tu es revenu blessé ! Dois-je te rappeler, à mon tour, ta suspension durant un trimestre ! insista Padi avec une pointe d'agacement presque paternelle. 

Aniel se souvenait très bien de sa faiblesse durant le processus de restructuration cellulaire. Il revoyait parfaitement dans sa mémoire sensorielle ces espaces blancs trop éclairés, aux surfaces aseptisées… et surtout la sollicitude dans le regard de ses amis venus lui rendre visite : Padi, Yu, Kamraal, Jofroy, Bélial… Les plus proches, qui avaient oscillé entre inquiétude et reproches soutenus. Bélial moqueur, avait avancé que son petit gabarit ne pouvait pas toujours faire le poids contre les concurrents de l'arène. Jofroy s'était montré plus pragmatique en soulignant le fait qu'il manquait des missions passionnantes. Kamraal, la guerrière venue de la rue avait, elle, voulu refaire le combat avec lui en détails pour pointer du doigt ses manquements et proposer des stratégies alternatives. Yu, paternaliste, l'avait scruté longuement, sans prononcer le moindre mot, comme pour tenter de comprendre ce qui dans son cerveau ne tournait pas rond… Alors que Padi n'avait pas pris de gants pour exprimer le fond de sa pensée. Encore aujourd'hui.

- C'est juste le temps qu'il a fallu pour cicatriser et reprendre l'entraînement afin de revenir au mieux de ma forme, ironisa Aniel.

Plus réfléchi et aussi plus pondéré, Padi jugea qu'Aniel envisageait les potentialités futures trop à la légère, comme à son habitude. Et "au mieux de sa forme" se révélait un bien grand mot car ce dernier ne se portait plus du tout comme dans sa prime jeunesse. Il se blessait en effet plus souvent et prenait deux fois plus de temps à récupérer l'entièreté de ses facultés.

- Les nétadons sont sans pitié, reprit-il donc sans se démonter. Ils invitent des combattants génétiquement modifiés ou chimiquement surboostés et tu ne t'en rends compte qu'une fois au milieu de l'arène. 

- Tilia t'as rendu bien moins téméraire qu'avant, on dirait.

Padi serra les poings en entendant cette répartie de piètre composition. Que son frère d'armes lui évoque son épouse à son désavantage, l'insupportait. Il jugeait là son attitude bien loin de l'impartialité socialement attendue, voire loin de celle supposée inhérente à leur fonction. Pourtant, il comprenait qu'Aniel vive mal le fait de devoir, en quelque sorte, le "partager". Padi n'avait, il est vrai, plus aucune envie de s'exiler au bout du monde comme ils l'avaient maintes fois expérimenté avant sa récente union. Avant le retour de Tilia, la hutank dont il était tombé amoureux, Aniel et lui avaient passé cinq années à poursuivre ensemble les Messagers du Messie dans tout l'univers connu. Avec l'aide de Yu Frajo Stew, le troisième membre de leur "fratrie", ils avaient démantelé ces dangereux manipulateurs qui enlevaient des êtres aux capacités surnaturelles pour les faire passer pour des dieux dans des communautés primitives de leur galaxie. Les deux djin et le commandant Stew avaient pris un plaisir certain à interrompre définitivement les agissements de cette secte assoiffée de pouvoir. Cette époque lui parut si lointaine tout à coup.

- Ce n'est pas Tilia, c'est la maturité…, argua-t-il donc avec plus de pondération que nécessaire. Une notion que tu ferais bien d'intégrer. Je ne te suis plus dans tes débauches irraisonnées depuis au moins quinze ans. Tu devrais réfléchir au sens de ta vie, tu connais l'espérance de vie des quédians. Tu devrais…

- Padi ! Je t'interdis !

Aniel s'était arrêté subitement pour lui faire face. Les poings serrés, le corps tendu, il se retrouvait maintenant hors de lui. Ses pupilles verticales, aux iris mordorés, flamboyèrent. Il n'avait en effet nullement besoin qu'on lui rappelle qu'il lui restait probablement cinq années à vivre. Malgré leur affection partagée qui s'apparentait à une véritable fraternité, son meilleur ami savait parfaitement que ce sujet restait tabou. Toutefois, dans l'incapacité d'avancer d'autres arguments, celui-ci avait enfreint leur règle tacite. 

Nul n'était sans savoir que Les quédians, dont les caractéristiques génétiques principales se situaient entre celles des sauriens et celles des félidés, possédaient l'une des plus petites espérances de vie de l'univers connu. Les humains subsistaient en général soixante ans de plus que les membres de son espèce. D'un autre côté, les quédians pouvaient enfanter deux fois par an et engendrer des naissances multiples. La mère d'Aniel avait porté à la lumière soixante dix sept œufs, dont soixante quatre viables. Il avait donc soixante quatre frères et sœurs dont seize avaient développé le gène de l'ultrarapidité, comme lui. Impossible de les voir souvent, de s'entendre avec eux ou de les apprécier tous. Il n'avait d'ailleurs appris les valeurs familiales et fraternelles qu'en arrivant sur la planète Ariane. Sur Catraillle, la planète sur laquelle la population de quédians se révélait la plus importante, ils se considéraient en quelque sorte, tous frères et sœurs. Et de ce fait, sur le même pied d'égalité. Á l'image de n'importe quelle nation dans un monde pluriel. Les rapprochements amicaux particuliers aux frères, lui avaient donc été dévoilés, ici, sur la planète Ariane, dans la cité de Kira, en côtoyant d'autres espèces pensantes… de même que la notion de fidélité. Alors que sur Catraille, seule dominait la notion de fertilité, dans le but de perpétuer l'espèce. 

Au début, leur faible espérance de vie n'avait nullement préoccupé Aniel. Le concept de décès à leurs yeux ne représentait point une fin. L'abondance de leur progéniture conférant, en effet, aux quédians une sorte d'immortalité. Mais après avoir vécu vingt ans sur une planète à la culture différente, à l'approche de ses trente-cinq ans, il développait une sorte d'obsession pour cette fin. Aniel maudissait de plus en plus les humains pour lui avoir transmis leur vision différente, car désormais, il ne conceptualisait plus l'exhalation de son dernier souffle comme un repos salutaire, comme un accomplissement, comme un passage de relais. Non. Depuis, il ressentait la peur de quitter le monde qu'il connaissait, d'abandonner ses projets, ses proches. Il vivait dans la frayeur continuelle du manque de temps. En conséquence, il avait décidé de vivre à vive allure, brûlant cent pour cent de son énergie quotidienne. Un comble pour un ultrarapide. D'autant plus que sa capacité surnaturelle faisait vieillir ses cellules plus vite…

 

Cinq ans plus tard, sur la planète Nétadia…

 

Dernier Round.

Les paris étaient lancés. Après vingt cinq ans de combats ultimes clandestins, puis en ligue, la foule le connaissait, scandait son nom, l'adulait. Certains même portaient des masques ou des lentilles oculaires simulant son apparence. Plusieurs jeunes avaient copié sa coupe de cheveux dorés en brosse en s'affichant avec des objets marketing à son effigie. Aujourd'hui, il ne se cachait plus et autorisait même la diffusion en direct simultanée de son combat. Les djins n'appréciaient toujours pas l'idée qu'un de leurs membres participe à cette mascarade populaire mais ils l'acceptaient tant que le jeu respectait les règles de leur noble confrérie. Comme il ne restait plus à Aniel qu'un an ou deux à vivre… ils fermaient certainement les yeux sur ses activités indépendantes en considérant cette donnée. 

Physiquement pourtant, Aniel n'avait pas changé. Il avait atteint la maturité physiologique à ses seize ans… et depuis, ses cellules n'avaient cessé de décliner, sans signes extérieurs majeurs de vieillissement. Un processus qui s'était néanmoins accéléré depuis ces cinq dernières années. Désormais, il se fatiguait plus vite, récupérait plus difficilement. S'il utilisait ses facultés ultrarapides, une fois son but atteint, il ne possédait même plus la force de se tenir debout. Exactement comme si son âme n'avait pas vieillie mais que son corps ne répondait plus aux ordres. Même si personne ne s'en rendait compte, le combat qu'il vivait en ce moment démontrait aisément ce fait… Heureusement, son adversaire ne faisait pas le poids face à lui. Borg Steen était son nom. Il mesurait un mètre soixante… trapu, massif, puissant… mais bien peu séduisant. Aniel, quant à lui possédait assurément plus de charme : grand, à la silhouette harmonieuse, il faisait chavirer toutes les femelles, toutes races confondues. Évidemment… il ne s'empêchait pas d'en profiter. 

Le premier round, représentait, en quelque sorte, un échauffement pour lui. Une manière de jauger son adversaire, d'estimer ses ressources. Ressentir sa manière de bouger. Évaluer la rapidité de ses poings. Découvrir son rapport poids/puissance. Dès le second round, il savait déjà calculer précisément ses probabilités de réponses. Anticiper ses répliques. Au troisième tour, il décelait ses faiblesses, ses anciennes blessures. Au quatrième, il fatiguait sa victime. Il l'essoufflait. Á ce niveau du combat, il le maîtrisait aisément, même si, de temps en temps, il récoltait un poing vengeur. En conséquence, il ne se laissait pas distraire, tempérant son assurance afin de ne pas tomber dans l'excès de confiance et perdre son combat sur une erreur d'inattention. 

Préparation. Concentration. Visualisation des prochaines frappes. Esquives. Aniel était adepte des coups dans les jambes. Il aimait frapper son adversaire au moindre pas. Au point qu'il arrivait à lui faire suivre une sorte de trajectoire. À force de coups de pieds à droite, sa victime se déplaçait instinctivement sur la gauche et généralement encaissait un coup de poing qui l'abrutissait quelques centièmes. Et ensuite, il changeait de séquence. Il frappait plus haut. Les côtes. Les épaules. Sa souplesse agaçait Steen mais le quédian reculait tellement vite qu'il se montrait difficile à atteindre. Quand il ne pouvait se remettre immédiatement d'aplomb, il basculait en arrière, prenait appui sur ses poings et lançait les jambes en un salto arrière qui surprenait toujours, car sitôt réceptionné, Aniel attaquait sans temps mort. Accroupi, il s'élançait tête la première dans l'estomac du combattant. Sinon, reculant, il prenait appui sur ses poings et projetait ses pieds sur la poitrine de son rival. À peine roulé en boule, il déployait une énergie surprenante pour frapper. Aniel aimait paraître en état de faiblesse, tomber, rouler au sol, flancher… pour réagir d'autant plus vite et étonner. Prendre de court. Mais pas seulement son adversaire… son public aussi. Il faisait le show, assurait le spectacle. Usant avec légèreté de ses paumes pour claquer une joue, de ses hanches pour déstabiliser, de sa tête pour repousser, mais aussi de ses coudes pour assommer durement, ou de ses genoux pour infliger des blessures plus graves. Il agissait autant pour amuser ses fans que pour faire mal. Il aimait entendre les rires se mêler aux cris d'effroi, aux craquements d'os, aux gémissements de douleur. Il se délectait des encouragements des spectateurs, des vivats, des hourras. Il sentait quand le souffle de chacun se suspendait. Cette infime inspiration rendue audible par le nombre. C'est cette tension, cette montée d'adrénaline et cette communion avec la foule qu'il appréciait le plus. Il se sentait important, tout puissant. 

Cette fois, en regardant son challenger se relever en essuyant rageusement un filet de sang s'écoulant de son arcade sourcilière, Aniel alla même jusqu'à se dire que son souvenir perdurerait aussi grâce à cela. Ici, le guerrier ryax Aniel Lo, devenait le maître absolu. Il pouvait agir comme il l'entendait, selon ses propres règles. L'arbitre ne se trouvait dans l'arène que pour compter les points. Ses points. Il pouvait continuer de s'agripper à ce corps glissant de sueur et frapper frénétiquement sans que rien ne l'arrête. Parfois, il entraînait Borg avec lui en se renversant en arrière pour taper sa tête contre le sol… Tous les coups étaient permis. Aniel avait, en effet, le droit de porter des frappes autant à la tête qu'aux parties génitales. Et il n'avait peur de rien : tête contre tête, coude contre coude, genou contre genou… 

Il affectionnait aussi le combat au sol. Mettre son adversaire à terre. Empêcher son assaillant de se tenir debout. La moindre des facultés à posséder dans un combat ultime, la seule fierté, consistait justement à rester le seul à demeurer en position verticale. La seule façon de gagner. Aniel utilisait donc toutes les prises et techniques connues pour infliger cette honte de mordre la poussière. Et quand il avait utilisé l'intégralité des potentialités en la matière, les prises, les clés… hé bien, il inventait. Il savourait par-dessus tout le moment où l'autre se retrouvait au sol par surprise, sans même voir le coup venir. Ce dernier secouait la tête, écarquillait les yeux puis se relevait furieux de s'être fait humilier. La plupart du temps, le djin retardait le K.O, le laissant pour la fin, comme pour couronner le spectacle. Surtout si la liste des opposants du soir ne lui semblait pas si longue. Quand une trentaine d'inconnus patientait, il ne les faisait pas attendre trop longtemps. Dans le cas inverse, comme ce soir, il attendait au moins six rounds avant de porter un coup décisif. Il souriait toujours en les voyant tituber, ne plus tenir sur leurs jambes ou tout simplement s'évanouir comme des fillettes. Il sourit en voyant justement Borg Steen répondre à cette attente. Terrassé, enfin. Il se tourna, leva les poings et profita de la clameur déclenchée à ce simple mouvement. Ils riaient, applaudissaient, criaient son nom en rythme. Cette ferveur le galvanisait, le dopait. Il se sentait vivant. Vivant ! Les yeux fermés, il ressentit encore mieux l'émotion que lui procurait son public. 

Et c'est dans toute cette liesse qu'il perçut une légère transformation… En une fraction de seconde, quelque chose venait de changer. Il ouvrit les yeux et se tourna vivement… mais trop tard. Steen s'était relevé. Beaucoup plus vite qu'il ne l'escomptait. Et il s'élançait vers lui avec toute la force, avec tout le poids de son corps. Aniel reçut un uppercut d'une violence inouïe en pleine face. Projeté contre la grille de protection qui séparait les combattants du public, il s'écroula. Agrippé à la cage d'une main faible, il secoua machinalement la tête comme pour reprendre ses esprits. Peine perdue. Il se sentait englué, complètement aspiré par le trou noir. Il plissa fortement les yeux. NON ! NON ! NON ! Il n'allait tout de même pas perdre aujourd'hui ?! Pas après de si longues années sans défaite ! Pourtant, il n'arrivait pas à tenir sur ses jambes. Il ne voyait plus rien à part ce kaléidoscope d'entrelacement d'acier parsemé de points noirs. Tout lui parvenait au ralenti. Les visages. Les cris. Il faiblissait. Il sombrait. Borg Steen avait gagné. Aniel n'en revenait pas de s'être laissé prendre à son propre jeu. Steen l'avait observé afin de répliquer sa ruse à l'identique. Même sa rapidité surnaturelle ne l'avait pas aidé. Il était fait. Il tomba à genoux, échouant à une nouvelle tentative de retrouver sa verticalité. Dans sa jeunesse, malgré la puissance développée, un tel coup ne l'aurait pas achevé. Avant, il se serait relevé en souriant. Mais aujourd'hui, son biomécanisme ne répondait plus de la même façon. Il avait vieilli. 

La foule criait toujours pourtant. Mais encore brumeux, il ne reconnaissait pas son nom. Puis, il en comprit la raison. Les spectateurs ne hurlaient pas son nom, mais celui de Borg Steen. L'opposant, celui qui avait gagné le statut de nouveau maître de l'arène en défaisant le grand Aniel Lo. Les spectateurs frappaient les pieds au sol pour l'acclamer. Aniel entendait le grondement et ressentait les vibrations qui s'élevaient des gradins fixes. Le spectacle semblait à la hauteur de leurs attentes. Sixième round, dernier de la soirée, et il perdait son titre d'intouchable d'un seul coup. Il crispa la mâchoire de rage, serra les dents face à cette injustice. Il ferma les paupières en une grimace de souffrance qui déformait son beau visage. Il se sentait empli de dégoût par ce revirement. Il réalisa alors la dure réalité : le public ne l'aimait pas, pas lui. Les spectateurs appréciaient le sang. Et peu importe celui qui gagnait tant que cette soif se trouvait étanchée. Ou peut-être… justement parce que c'était lui, paré de sa lassante impunité, l'auditoire jubilait d'autant plus. 

Aniel ouvrit la bouche pour respirer profondément. Ce mouvement déclencha une vive douleur dans son crâne. Puis… cette impulsion. Un léger déplacement d'air derrière lui picota son sixième sens. Il fallait s'y attendre. Borg allait le mettre définitivement en échec. La foule l'incitait à le faire. Elle hurlait. Elle hurlait son exécution. Steen avait dû demander d'un geste leur assentiment, à l'image de sa propre façon d'agir, et le verdict ne s'était pas fait attendre. 

Comment se pouvait-il qu'Aniel se retrouve dans cette situation ? Il contenait une si puissante colère qu'il en tremblait. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Sa déception atteignait des sommets inconnus de sa conscience.

Borg grogna, puisant dans ses dernières forces la moindre once de vitalité pour le mettre à mort. Il le comprit dans l'instant. Il le sut avec certitude. Et en une fraction de seconde, ce fut fini. Un silence de mort s'abattit dans la salle. Une arène immense, dont les rangées de gradins ancrés au sol ou mobiles, atteignaient le plafond constellé d'étoiles. Un décor vidéo, pour qu'aucun d'entre eux ne puisse se situer entre le jour ou la nuit. Les organisateurs avaient décidé que l'ambiance sombre et froide de l'espace correspondait au jeu du jour. Une façon de conserver leur audience le plus longtemps possible. On leur servait à boire et à manger à leur place, sans qu'ils aient à se déplacer. Ils passaient simplement leur modcom, un bracelet connecté stylisé et personnalisé, sur la tablette du serveur, validant ainsi immédiatement leur paiement. Des milliers de personnes, qui, arrimées à leur siège depuis des heures, retenaient leur souffle. Ils n'arrivaient pas à croire ce qu'ils voyaient. Jamais ils n'auraient imaginé cette scène possible. Pas de cette façon. Pas lui. Pas dans un moment de si grande faiblesse. 

Aniel ferma les yeux. Il sentait l'odeur du sang, sa texture poisseuse qui l'imprégnait. Et il sut que ce serait son dernier combat. C'était fini. Plus jamais il ne remettrait les pieds dans une arène de combat ultime. Il ressentait un dégoût de lui-même si profond qu'il serra les dents pour ne pas vomir le peu de barres énergisantes ou de boissons revigorantes ingurgitées depuis la veille durant les quelques minutes entre chaque combat. Il chancela en tentant de se mettre debout. La foule fit un "Oh" de surprise accompagnant son malaise. Il inspira doucement entre ses dents pour éviter l'odeur de sueur mélangée à celle du sang. Il se sentait mal. Il se releva lentement, très lentement, enlevant précautionneusement son coude… du cou ensanglanté de son adversaire… Ou du moins de son précédent emplacement. Sa tête, aux yeux écarquillés par la surprise, le fixait toujours. Son corps se trouvait encore au même endroit, intact. Mais entre les deux, on ne trouvait plus qu'une mare de sang noir et visqueux dans lequel des morceaux de chairs et d'os éparpillés baignaient dans le sable gris. Pour la première fois, Aniel avait achevé son adversaire. En un mouvement intrinsèque à ses capacités d'ultrarapide, en un renversement de situation spectaculaire, à la vitesse d'un clignement d'œil, il l'avait mis à mort. Toujours, il se contentait de leur K.O. Yalt, le centre d'enseignement des ryax n'aurait jamais accepté qu'il sème la mort sur son passage. Il était djin, et en tant que tel, il ne figurait nullement dans ses attributions d'ôter la vie à un être vivant. Bien au contraire, les guerriers de classe djin s'affichaient garants des libertés universelles selon les règles des Internations et de l' U.S.S.A. – Union des Systèmes Solaires Associés –. Ils avaient fermé les yeux jusque là, justement parce qu'Aniel n'enfreignait pas leurs règles fondamentales. Ce soir, le ryax venait de bafouer leur éthique, mettant de ce fait, son statut de guerrier djin, en jeu. Ses pairs pouvaient désormais le renier, lui retirer l'honneur d'endosser cette fonction si durement gagnée. Il n'échapperait certainement pas à une sanction, à la déception de ses compagnons ryax, de ses collègues djin et d'Ariane toute entière. Peut-être même une désapprobation qui irait au-delà de son système planétaire. 

Machinalement Aniel se redressa et leva tout de même un poing en l'air… comme il le faisait toujours. Évidemment la foule ne tarda pas à réagir. Cependant, ce rugissement de liesse ne lui procura, cette fois-ci, aucune satisfaction. Steen ne méritait pas de mourir. Une épouse et des enfants l'attendaient peut-être chez lui. Le combat ultime, même s'il était dangereux, ne restait qu'un simple jeu. 

Aniel regrettait amèrement son geste, ce coup si rapide qu'il en était devenu fatal. Son adversaire n'avait rien vu venir. Impossible d'anticiper un mouvement aussi furtif. Ce dernier qui avait cru avoir le dessus, lui qui se préparait à l'assommer, à le vaincre… se retrouvait au sol… sans souffle. Aniel ne possédait aucun droit de prendre la vie d'un combattant. De plus, le fait même de ne pas se retrouver légalement inquiété pour cet acte abject, empoisonnait sa conscience. Les règles du jeu étaient claires. Chacun y participait à ses risques et périls. Mais l'injustice de la situation lui sautait aux yeux pour la première fois. Il savait pourtant que certains se souciaient peu du sort de leurs victimes, n'hésitant pas à toucher des parties vitales ou provoquer des blessures handicapantes, mais lui, n'était pas motivé par la haine. Il ne cherchait pas à assouvir une soif de sang. Le décès de ce smiréein, ne lui apportait aucun bien-être. Au contraire. Il marcha lentement vers la sortie. Pas de danse de la victoire. Pas de fête ce soir. Pas d'orgie, ni de tour en ville sous les hourras des habitants. Ce soir, il se sentait fini. Une partie du guerrier ryaxdjin Aniel Lo 56 L512 était morte avec Steen. 

Sur Kralh, planète membre de L'USSA 

Galaxie de l'Étoile blanche…

 

Réflexions.

Allen sentait les regards effleurant son être. Il savait que ces pupilles acérées s'étonnaient du fait qu'il s'affranchisse de porter la tunique ample de mise dans sa cité. Étrangement, aujourd'hui, il avait voulu marquer sa singularité. Un ensemble pantalon coordonné à un blazer asymétrique brun en fibres naturelles : voilà une tenue qui s'écartait littéralement des interminables draperies recommandées par la bienséance communautaire ! Il marchait tranquillement, les mains dans les poches, les yeux dans le vague, l'esprit confus. Évidemment, les citoyens qu'il dépassait le dévisageaient. Pourtant, aucun ne manifesta son étonnement du fait qu'un haut représentant de l'État enfreigne aussi impunément les règles de pudeur. Tant mieux. De toute façon, la législation sur le territoire national voulait que les personnalités ne deviennent pas la cible d'attentions démesurées hors des représentations et cérémonies officielles. En conséquence, comme il ne portait aucun des signes distinctifs associés à sa fonction, les passants s'interdisaient de l'accoster quelle qu'en soit la raison. Ils lui accordaient ainsi toute l'intimité dont il avait besoin pour avancer dans ses réflexions. Une loi qui lui sembla parfaitement appropriée.

Allen effectuait le bilan de sa vie. Il envisageait désormais de la qualifier de politique du moindre mal. Celle-ci entremêlait en effet une succession d'accidents à l'opposé de choix prédéfinis. Comparaison qui pouvait débuter dès sa naissance, tout en établissant le postulat que celle-ci représentait le seul choix sur lequel il ne pouvait évidemment influer. Seulement, sa nature conciliante avait fait de lui un enfant particulièrement sage, extrêmement attentionné envers les autres, anticipant les envies de chacun au détriment de sa propre personne. Sa voie s'était tracée sans qu'il puisse vraiment en décider, sans qu'il élabore un souhait de devoir social. La faute à son meilleur ami Dunkan, rencontré assez tôt dans sa scolarité. Celui-ci avait tout de suite partagé ses ambitions politiques, l'entraînant à sa suite après chaque échelon durement gagné. Allen travaillait donc aujourd'hui à l'Agora. Il supervisait principalement avec son équipe le secteur de l'urbanisme. Occasionnellement, il participait, en assemblée, aux évolutions législatives globales. Et enfin, il gérait aux côtés de Dunkan toutes les questions sensibles de politique interne. Il excellait dans son domaine… et pourtant s'ennuyait à mourir. En réalité, à ce stade, il trouvait son parcours morne, sans perspective d'évolution. 

Allen marchait depuis ce matin dans les rues de la cité. Il avait fui ses obligations pour réfléchir à son avenir. Sans même en parler à Dunkan, pris d'une impulsion, il avait abandonné sa lourde cape dans son bureau en disant qu'il revenait. Il pensait alors qu'il n'en avait que pour un instant. Un instant pour s'aérer l'esprit en quelque sorte… et voilà qu'il ne ressentait pas l'envie de réintégrer son poste. Il déambulait depuis des heures dans les avenues pavées, appréciant le charme du sol de briques scintillantes. Évoluer dans cet espace où l'inégalité se faisait règle, où la disparité devenait art. À l'Agora, les couloirs parés d'immenses pierres lisses, d'un gris foncé monotonement uniforme, lui semblaient sans le moindre éclat. Ici, tout paraissait plus coloré, plus vivant. Ici, Allen pouvait percevoir bien plus que des conversations chuchotées mais une véritable ambiance sonore… des bruits de ville… ceux de la vie. Celui, par exemple, des machines d'utilité publique, comme les robots de nettoyage ou d'élagage. Celui des véhicules personnels ou privés, ou alors ceux provenant des artisans de rue, autorisés à la réparation rapide des petits instruments du quotidien. 

Se retrouver à l'air libre, lui permettait d'autre part, d'admirer l'agencement complexe des immeubles, les cubes et rectangles d'habitation savamment emboités les uns dans les autres. Le toit de l'un représentant la terrasse de l'autre. Les murs végétalisés profitant aux voisins mitoyens. Un enchevêtrement de structures, de passages suspendus ou enclavés, accessibles sous des arches de verdure… Des lianes, des arbres et arbustes, des cloisons végétales... De nombreux animaux y avaient élu domicile, à la fois des volatiles colorés ou des boules de poils à moitié domestiquées. Pourtant, même si la capitale avait opté pour recréer un environnement naturel en privilégiant le bois, la terre et la pierre comme principaux matériaux de construction, Allen se sentait enfermé.

Sur le plan amoureux, le bilan lui parut tout aussi rapide à élaborer : les expériences vécues ne lui ayant jamais procuré le contentement que semblaient ressentir ses congénères. Lui, avait du mal à s'attacher. Sentir l'engouement d'une jeune femme envers sa personne tendait d'une étrange façon à amenuiser son air. Le plus souvent, la séparation devenait la solution pour conserver sa bonne humeur. Dunkan lui expliquait incessamment qu'il n'avait pas encore rencontré la femme qui lui ferait apprécier la servitude de l'amour. Son ami n'avait certainement pas tort, excepté que la seule femme ayant retenu son attention ne le remarquerait certainement jamais. De plus… Dunkan et elle semblaient éprouver une attirance réciproque. Alors non. Il lui fallait une histoire bien à lui, moins compliquée, et un avenir surtout moins… calculé. 

Et puis, Allen jalousait l'assurance presque inébranlable de leur dirigeant. Dunkan représentait tout ce qu'il aurait voulu être. Il l'aimait à l'égal d'un frère, l'idéalisait même. Son charisme impressionnait tout le monde, alors que lui parfois, passait totalement inaperçu. Ils se connaissaient depuis les apprentissages primaires. Rencontrés juste après la tragédie commune que fut la mort de leurs parents respectifs. Les opposés s'étaient naturellement lié d'amitié. Dunkan le révolté, le bagarreur, exprimait alors sa fureur contre le monde. Et lui, visait à devenir un meilleur humain. Plus raisonnable, il obtenait les meilleures notes, et s'entendait avec tous. Aujourd'hui, cet Allen-là rêvait d'aventures, d'une vie à lui. Il trouvait son quotidien de plus en plus fade. Vivre dans le sillage de Dunkan décuplait cette impression. Il avait trouvé certains avantages à se laisser porter par son allant, mais plus maintenant. Il ne voulait plus vivre dans l'indécision et poursuivre les rêves des ambitieux. 

Il passa le doigt sur un mur enduit de terre cuite rouge, refoulant cette pensée dérangeante. Les plantes aux fleurs de multiples couleurs grimpaient sur les façades le long de la rue, donnant l'impression de se trouver dans la forêt avoisinante. D'ailleurs, plus on s'éloignait du centre de la cité, plus la nature reprenait ses droits et sa primauté sur l'aménagement public. Un choix qu'il avait soutenu. 

            

La fée.

Allen sursauta. Il observa curieusement la petite forme blanchâtre, pas plus grande que son annulaire, virevolter face à lui. Un être délicat à l'air doux possédant des sphères oculaires sombres et inexpressives. Une forme humanoïde avec une tête, et ce qui pouvait s'apparenter à des bras, émergeait d'une virgule de chair, exempte de membres inférieurs. Un voilage coloré, en mouvement, l'entourait, lui permettant visiblement de flotter dans les airs. Une cape intégrée à sa morphologie qui ondoyait à intervalles réguliers pour la maintenir en suspension. Dans la galaxie on les avait nommées "fées" car elles possédaient l'incroyable pouvoir d'agir sur la matière. Elles modifiaient la structure moléculaire des objets immergés polluant les profondeurs pour créer des exosquelettes afin d'abriter des colonies d'animaux aquatiques.

Allen fronça les sourcils en se demandant depuis quand les fées des eaux profondes survivaient aussi longtemps à l'air libre ? Puis Il observa les alentours. Il sentit le vent du large et reconnut finalement l'accès au port. L'océan Ardée ne devait pas se trouver bien loin. Et soudain, il entendit sa voix :

"Vous êtes brillant… Nous ressentons votre valeur psychique…"

Nous ? Pourtant seule, elle semblait s'exprimer pour son clan. Elle virevoltait autour de lui de façon assez désordonnée, s'extasiant sur ses nombreux atouts, sans manquer de noter, en finalité, sa forme physique. Étrange. Avait-elle la capacité de le sonder si précisément ? Ou encore, avait-elle décodé son ADN ? Mais "Sa valeur psychique", Il se demanda ce qu'elle voulait dire par là. 

- Que me voulez-vous ? interrogea-t-il, intrigué.

En entendant le son de sa propre voix, Allen se rendit alors compte que la créature lui adressait la parole dans sa tête… par télépathie. Il avançait toujours, pourtant elle continuait de le suivre, sans sembler vouloir s'affranchir de sa présence. Un comble pour une espèce aussi discrète, dont la particularité principale consistait justement à passer totalement inaperçue. Dans les océans, elles avaient adopté cette membrane ondoyante de différentes couleurs, le plus souvent bleue, orange ou rouge, pour se fondre parmi les autres animaux. Celle-ci leur permettait de se dissimuler, de se mêler aisément aux limaces de mer.

La fée qui continuait de l'observer sans répondre, prononça enfin quelques mots qu'il trouva alors inintelligibles. Allen se demanda ce que cette créature manigançait. Et il pensait justement, car sans le savoir, sa vie venait de prendre un tournant aussi imprévu qu'irréversible. Il sentit soudain sa conscience s'engourdir. Il n'arrivait brusquement plus à poursuivre un raisonnement cohérent. Cette chose tentait de guider son esprit. Affolé, il la supplia du regard de le libérer, mais il ne se heurta qu'à une incompréhensible satisfaction. La seule information qu'il décoda, car il comprit nettement celle-ci, c'est qu'elles envisageaient de l'enlever pour un lointain système. Voilà tout ce que cette fée lui permit de deviner. Comment était-ce possible ? Pouvait-elle agir de la sorte, contre son gré ? 

Les Kralhons sur son passage le reconnurent, lui sourirent, le saluèrent discrètement mais aucun de ses citoyens n'osa le déranger. C'était la règle. Personne ne trouva donc étrange de le voir acheter un billet sur un vaisseau de passage maritime alors qu'il ne possédait aucun bagage, ni ne semblait sur le point de s'absenter du territoire. Pour la première fois depuis le début de son escapade, il regretta de ne point porter ses habits officiels. Ce qui aurait pu l'aider dans le cas présent, car en l'abordant, ses gens auraient donc compris à son mutisme que quelque chose ne se déroulait pas de façon habituelle.

La plateforme aéroportée qui filait sur l'eau, grâce à un système d'air pulsé, donnait aux passagers la possibilité de se rendre sur les îles proches de la côte et de revenir dans la même journée. Allen voyait, entendait, respirait, ressentait mais il ne possédait plus le contrôle de son corps. Impotent. Manipulé. Comme un jouet par un enfant. Parmi le bruit et les embruns, aucun voyageur ne percevait ses plaintes profondes. Il criait et hurlait pourtant son impuissance… intérieurement. Personne ne fit attention à lui, jusqu'à ce qu'ils se trouvent loin de la rive. Car à ce moment, sans crier gare, sans qu'aucuns prémices ne préparent les occupants de la navette à anticiper ce qui allait se passer : son corps se jeta à l'eau. Il transperça la surface tumultueuse sous les cris de la foule et disparut aussitôt dans une eau salée, froide et sombre.

Alors qu'une immense panique montait en lui, instinctivement, il ferma les yeux pour encaisser l'inévitable. Il allait mourir. Aussi incroyable que cela puisse paraître, sa vie se terminerait ici. Il allait se noyer. Alors qu'auparavant, il trouvait son existence morne et sans saveur, au moment de la quitter, un fol espoir de plus lui donnait envie de s'accrocher à ce futur désormais impossible. Pourquoi lui ? Pourquoi vouloir l'assassiner ainsi sans raison ? Comment un peuple aussi placide pouvait agir de la sorte ? Fureur et incompréhension occupèrent son esprit.

Ces premières secondes de terreur passées, Allen se rendit compte qu'il ne s'était pas mis à suffoquer comme il aurait légitimement dû s'y attendre. Force était de constater qu'il ne se noyait pas en traversant les atroces souffrances escomptées. Étrangement, son organisme ne manquait pas d'oxygène. Il ne savait pas trop comment il entretenait le rythme de sa respiration mais le fait est qu'il fut tout à fait conscient… de vivre. Les bras le long du corps, les jambes tendues, il filait à vive allure vers les abysses sans même émettre un mouvement. Incroyable ! 

La minute d'après, il commença à s'interroger sur la durée de sa chute. Le temps lui parut long, mais conservait-il une notion temporelle à son échelle habituelle ? Il remarqua aussi qu'il gardait consciencieusement les yeux fermés, à l'encontre de son souhait le plus cher : savoir où il se dirigeait. Une manipulation supplémentaire de leur part. Autre point surprenant : il n'avait pas froid. Était-ce mauvais signe sous les profondeurs glaciales de l'océan Ardée ? Quoiqu'il en soit, de tous ses sens, Allen ne sentait rien d'autre que le frottement de l'eau sur sa peau.

Puis brusquement, ses paupières s'écartèrent, ce qu'il regretta amèrement dès les premières secondes. La brûlure du sel lui fit monter des larmes au point qu'il se plaignit d'avoir émis ce souhait. Ses yeux s'habituèrent néanmoins, au fur et à mesure. Tombé à pic dans l'eau sombre, il se rapprochait maintenant lentement du plancher corallien. De multiples éclats lumineux l'accueillirent chaleureusement au terme de cette folle descente. Les petits bioluminescents aquatiques éclairaient les volutes de corail coloré et le champ d'algues mouvant. À ses pieds, il percevait aussi la lueur d'un étrange vaisseau. Celui-ci ressemblait à une capsule identique aux dispositifs mortuaires. Ce qui, à son avis, ne présageait rien de positif. Un sentiment de panique s'insinua en lui avec une force aussi subite qu'inédite. En général, il gérait toutes les situations avec calme. Quelles que soient les circonstances, il ne s'affolait jamais. Dunkan faisait d'ailleurs souvent appel à lui pour bénéficier de cette qualité. Son ami aimait réfléchir à voix haute et confronter son raisonnement au sien. Son impulsivité contre sa pondération. Une passivité qu'il était loin de ressentir à cet instant. 

Malgré sa détresse, Allen remarqua l'étrange beauté du décor.  Cette immense étendue de sable de la plaine abyssale, dont les stries géométriques, à l'agencement régulier, témoignaient de l'intense activité marine. Les filaments géants d'algues vertes ondoyaient au rythme des courants. Des anthozoaires phosphorescents, qu'il aurait été incapable de nommer, théâtralisaient la scène sans influencer l'acte qui se jouait. D'innombrables fées, à la robe colorée, entouraient l'objet. Une cosse immaculée d'où se dégageaient de façon alternative des rayons bleus ou blancs. Elles semblaient danser joyeusement en une scénographie dont il ne possédait pas les codes. Un spectacle que peu d'êtres vivants avaient certainement l'occasion de contempler de leur vie. Allen comprenait d'autant moins pourquoi les fées des eaux profondes l'avaient choisi, lui. Lui qui travaillait toujours au mieux des intérêts de tous. Il n'admettait pas que cette espèce avec laquelle leur galaxie entière cohabitait en harmonie, s'abaisse à un acte aussi vil qu'un enlèvement ! 

Sans pouvoir observer le lieu secret dans lequel elles subsistaient, les supplier du regard ou même de la pensée, il se retrouva en un clin d'œil allongé à l'intérieur de l'aéronef… comme… par magie. Impossible de savoir comment il avait intégré aussi promptement la cabine. Il se trouvait pourtant étendu confortablement dans une sorte de capsule capitonnée, exactement comme dans un cercueil. Il espérait tout de même ne pas subir le même sort qu'un cadavre en route vers l'au-delà spatial, ou pire, l'incinération. De la même façon, il ne savait pas s'il pourrait un jour revenir en arrière. Son avenir s'écrivait apparemment, cette fois encore, sans qu'il ne puisse l'influencer. 

Décidément, il n'aimait pas du tout la tournure que prenaient les événements. La nouveauté se disputant à l'angoisse, il conclut que les fées des eaux profondes lui confiaient une mission dans un autre univers. Cette mission comportait certainement de tels risques qu'elles avaient imaginé ce procédé, peu orthodoxe, pour répondre au secours de ces alliés inconnus. Mais… était-ce une information qui venait de lui être communiquée, ou pouvait-il raisonner suffisamment désormais pour analyser la situation ? Un mystère entier. 

Les lumières s'adoucirent, Allen sentit l'appareil bouger, puis accélérer doucement. Là, immobile, les bras le long du corps, la posture un peu crispée, il restait attentif au moindre bruit, à la moindre vibration. Le son émis au frottement caractéristique de l'air lui fit donc supposer qu'il était sorti de l'océan et qu'il se dirigeait dans l'espace aérien de la planète Kralh. Des centaines de fois, il avait souhaité profiter de nouvelles opportunités dans sa vie terne et prévisible. Le matin même, il avait décidé de se promener justement pour réfléchir à ce destin tout tracé. Pourquoi avait-il fallu que juste après avoir souhaité ce genre d'aventure hors du commun, il se fasse enlever ? Un extrême. Il aurait pu simplement rencontrer l'amour au détour d'une ruelle ou changer de travail, ou bien encore, réaliser un voyage unique… mais là, cette expérience dépassait ses désirs. Il se mit à angoisser. Comment allait-il se sortir de cette mésaventure ? Un liquide glacé le tira de ses pensées. Sa surprise franchissait les bornes de son entendement. Une inquiétude proche de la frayeur le paralysa. La substance onctueuse remontait dans la totalité de la capsule jusqu'à son menton. Il allait étouffer. Devait-il retenir sa respiration ? Non, son corps réagit différemment. Il sentit la brûlure de cette texture dans ses narines, sa gorge et ensuite dans sa poitrine. Des larmes coulèrent sur ses joues mais se perdirent bien vite dans le fluide étrange. Il ferma les yeux. Sa dernière pensée consciente fut de constater qu'il ne s'étouffait pas, et l'univers autour de lui disparut.

 

Alter ego.

Bélial était de mauvaise humeur, et un sifer[2] de mauvaise humeur ne passait nullement inaperçu… Quoiqu'en règle générale, un sifer ne passait jamais inaperçu, quelle que soit son humeur. Il mesurait deux mètres dix et pesait, au bas mot, deux cent trente kilos. Ses muscles saillants jouaient sous sa peau lisse et brillante, aussi sombre que l'espace. Deux petites oreilles pointues, s'élevaient d'un crâne parfaitement lisse. Il possédait un visage aux traits fins, réguliers. Ses globes oculaires rouge sang flamboyaient lorsqu'il était en colère. Il souriait souvent de ses canines blanches extrêmement aiguisées qui pourtant ne découpaient que des mets raffinés, gastronomiques, totalement crus.

- C'est bon, c'est bon, bande de freluquets j'vais vous aider ! grogna-t-il.

Lâchant brusquement leur charge, les smiréeins reculèrent d'un pas pour l'observer avec le genre de surprise qui parfois lui rappelait l'effroi. Ils bégayèrent des remerciements.

> Où est-ce que j'vous mets ça les gars ?

- Maître Kabar si vous vouliez bien nous suivre…, commença Orian, le plus jeune.

- 'Suis pas djin, mais un simple ryax, vous pouvez m'appeler Bélial, rectifia-t-il à l'attention de tous.

- Oui bien sûr, bien sûr.

En entendant cette réponse, Bélial sentit que ces derniers n'en feraient rien. Il fallait s'y attendre. Ils restaient simplement plantés là à le regarder béatement comme s'ils pensaient prévenir le jaillissement d'éventuelles flammes qui ne manqueraient pas de surgir de ses lèvres. Des idées reçues évidemment.

- Alors ?! Ça a pas l'air comme ça, mais c'est sacrément lourd votre engin là ! C'est quoi, un propulseur à neutron sarkian ?

- Heu, maître Bélial, nous n'avons pas pu établir avec exactitude son origine, commença Orian, les nouveaux arrivants viennent de très loin et ils ne parlent pas notre langue. Le traducteur connecté a réussi à nous communiquer quelques indications mais rien de bien concluant pour obtenir des informations précises. En fait, tous les occupants ne sont pas encore sortis de leur sommeil contrôlé.

Tout en parlant, il lui indiqua le chemin à suivre d'une main. Bélial tira cet immense propulseur droit d'une vingtaine de mètres qui reposait sur une plateforme de levage trop petite pour supporter son gabarit. Celle-ci ne parvenait à l'élever que de quelques centimètres au-dessus du sol. Cependant, là où il avait fallu dix hommes pour le manœuvrer, Bélial y arrivait seul sans sembler peiner particulièrement. L'unique problème consistait dans le fait que, contrairement aux obstacles de toute nature qui jonchaient le passage dans le hangar de réparation, il ne pouvait pas déplacer les cloisons trop étroites ou d'autres vaisseaux en cours de remise en état. 

Bélial avait fait le voyage jusqu'ici précisément pour se rendre utile. Dans ses moments de profonde mélancolie, il se sentait mieux en s'activant. Sa passion première étant la mécanique, il n'arrivait à se détendre que lorsqu'il se trouvait dans le ventre d'un engin, à résoudre un problème complexe. Et plus la situation semblait compliquée et insoluble, plus il aimait se pencher dessus.

- Si vous zarrivez même pas à r'connaître un VS[3] sarkian c'est certain qu'vous…

La fin de sa phrase resta en suspens, l'aéronef qui lui faisait face n'avait rien de sarkian, il ressemblait plutôt à un appareil de simulation pour enfants. Une machine composée de plusieurs pièces hétéroclites qui n'avaient, autant dire, rien à faire ensemble. Comment cet engin arrivait à voler ? Telle était la vraie question. Dérouté, Bélial posa l'immense propulseur pour faire le tour de ce VS si particulier.

> Nom de Liélos ! C'est quoi ct'abomination ? J'me demande comment c'foutu engin a fait pour emmener ces visiteurs jusque là ! L'gars qui a bricolé c'truc là est complètement malade !

Il revint vers les ingénieurs smiréeins sans cacher son hilarité.

> Et vous voulez raccommoder ça ! Pour une fois j'vais prendre une chaise longue et déguster un cocktail en vous r'gardant faire. C'est l'truc le plus improbable qu'j'ai vu d'ma vie.

Ces compagnons sourirent, car évidemment ils partageaient son sentiment, mais comme ils étaient payés pour le remettre en état de vol, ils ne pouvaient émettre aucun des commentaires désobligeants que Bélial venait d'énoncer si aisément. 

Le visage d'Orian se figea brusquement. De même que tous les autres, il se mit à fixer un point derrière le géant joyeux. Bélial se retourna, sa bonne humeur aux lèvres, mais ce qu'il découvrit le statufia sur place. Il ressentit une émotion si forte qu'il crut qu'il allait se mettre à pleurer. En réalité, sans s'en rendre compte, quelques larmes roulèrent effectivement sur ses joues. Incroyable ! Il devait certainement rêver. Après quarante ans d'une vie totalement solitaire il ne pouvait pas croire ce qu'il voyait. Inimaginable ! Sa mère adoptive lui avait maintes fois assuré qu'il était le seul représentant de son espèce dans l'orphelinat. Après la guerre des sifers d'Ambala, une épidémie avait en effet décimé les derniers survivants. On disait que seules quelques âmes avaient pu s'enfuir à temps mais que le fléau avait rattrapé la plupart d'entre eux. Un agent bactériologique fabriqué par les opposants à la démocratie afin de contaminer les rangs de leurs ennemis. Mais ils n'avaient pas imaginé que ce virus deviendrait incontrôlable, qu'il subirait une mutation le rendant imperméable aux effets de l'antidote… n'épargnant finalement aucun des partis.

Bélial avait toujours vécu seul. Toujours le plus grand, le plus particulier, il n'avait jamais pu entrer dans la norme. Tous les enfants le craignaient à cause de sa taille et de sa corpulence hors du commun. Malgré son caractère doux et enjoué, son apparence inspirait la crainte. Adolescent, il n'avait jamais réussi à se faire des amis ou vivre une histoire d'amour. Un problème qui le perturbait encore aujourd'hui. Il désirait tellement ressentir la fulgurance de ce sentiment… tout en désespérant d'y arriver. Malheureusement les proportions étant ce qu'elles étaient, toutes les zones de son corps subissaient le même sort. Tout se trouvait donc hors norme chez lui. De nombreux médecins lui avaient bien proposé une opération pour réduire la longueur de ses attributs sous peine de ne rencontrer aucune partenaire compatible. Une aubaine rendue possible par la technologie. Pourtant, il avait refusé, gardant l'espoir de croiser un jour une femelle de son espèce. Ce jour là, il ne voulait pas se retrouver diminué et ne plus être capable de satisfaire la seule personne qui lui permettrait de se reproduire. Une probabilité infime, mais qu'il n'avait pas voulu occulter. 

De ce fait, malgré de nombreux essais avec de tendres amies de races différentes, il n'avait jamais connu une relation sexuelle complète. Il devenait désormais totalement frustrant pour lui de se satisfaire d'un ersatz de pénétration. Il gardait le sentiment de préliminaires sans fin. La place de l'inassouvissement devenait de plus en plus forte, ce qui réduisait la part laissée à son plaisir. Sans compter qu'il n'était jamais parvenu à entretenir une relation sérieuse avec une créature du sexe opposé. Avec le temps, son problème devenait progressivement source de blocages. Il espérait toujours plus. Il attendait quelqu'un qui le comprenne vraiment. Une personne complémentaire. D'autre part, il désirait des enfants, de sa propre chair. Il avait envie de voir grandir un être issu de ses gènes. Avoir des descendants, ne plus se sentir unique… un mal-être qui ne contribuait pas à faire perdurer une relation. 

Aujourd'hui, sur Smirée, à l'instant, sa vie venait de se transformer du tout au tout. Venu en vacances pour se changer les idées entre deux missions, voilà qu'il rencontrait… enfin… quelqu'un de son espèce. Il n'était plus seul. Chaque fibre de son corps pétilla, tant et si bien qu'il lui fut impossible de dissimuler sa formidable érection. Le corps débordant d'émotions, il fit un pas vers elle.

- Non ! Comment oses-tu ? Ne m'approche pas !

Bélial s'immobilisa en souriant. Il trouva sa voix parfaitement charmante. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine comme jamais. Elle parlait la langue de Zaliah, sa langue natale. Il sourit de plus belle à cette constatation. Avait-elle, elle aussi cherché à retrouver des sifers comme elle ? Savait-elle qu'un bébé avait été élevé sur sa planète ? Tant de questions qu'il rêvait de lui poser, mais il ne voulait pas l'assaillir dès les premiers instants.

- J'm'appelle Bélial, fit-il le plus doucement possible.  

Il lui tendit la main, mais elle continuait d'observer son grand corps tendu vers le sien avec un certain désarroi et reculait d'autant plus qu'il s'approchait. Orian beaucoup plus téméraire que son grand frère Corien posa la main sur le bras de Bélial. Celui-ci se retourna pour voir qui osait interrompre son enchantement. En découvrant l'expression du smiréein, il se reconnecta à la réalité. Il observa autour de lui et remarqua l'effarement général. Orian baissa ensuite la tête vers le centre de son corps et Bélial comprit enfin. Il grogna subitement en tentant de cacher de la main la bosse qui déformait l'ample pantalon qu'il portait continuellement. Il devait passer pour un animal en rut devant une femelle quelconque. Il posa à nouveau les yeux sur elle. Évidemment qu'avec son apparence actuelle personne ne devait comprendre son émoi. Elle était si petite, si menue. Elle possédait une peau aussi blanche que la sienne était noire. Des cheveux blonds délavés alors que lui était chauve. Des membres fins et harmonieux, bien peu musclés en comparaison avec sa carrure imposante. Leur seule similitude : leurs yeux, même s'ils n'étaient pas de la même couleur. Les siens étaient bleus et fonçaient sous le signe d'une colère évidente. Il la trouva parfaite. Magnifique. Mais elle avait choisi la température opposée. Elle portait des vêtements réfrigérants, il en était certain. 

> C'est toi qui as bricolé c'truc volant ? dit-il pour dévier son émoi sur un autre sujet.

Elle le vit lever le nez vers son appareil d'un air dédaigneux.

- Tu fais bien de le souligner, il vole, c'est ce qui compte ! Son aspect extérieur ne te regarde nullement.

Bélial souriait de plus en plus en montrant ses canines aiguisées éclatantes de blancheur. Il l'appréciait. Cette petite possédait un sacré caractère qui lui plaisait déjà.

- Moui, j'aimerais bien voir comment tu t'en sors pour l'réparer cette fois, la taquina-t-il. Tu vas y ajouter ce propulseur sarkian mon ange ?

Elle le jugea tout à fait détestable. Loin de la séduire, la façon dont il s'adressait à elle, ne lui plut nullement.

- Je ne suis pas "ton ange" !

- Ha oui ?

Il se pencha vers elle. Sa haute stature sembla l'envelopper.

- As-tu rencontré d'autres sifers avant moi ?

Elle baissa les yeux sans pouvoir masquer un soupir résigné.

- Non. Mais cela ne signifie pas que je vais…

- Si, trancha-t-il, sûr de lui.

- Non, il n'en est pas question… je ne te connais même pas. Tu es…

- Je suis ta moitié.

Son sourire moqueur, son assurance… et tout le reste, le rendait totalement antipathique à ses yeux. L'inverse de tout ce qu'elle avait pu espérer. Car au fond, elle rêvait, elle-aussi depuis toujours de rencontrer quelqu'un de son espèce. Elle avait imaginé de nombreuses fois cette première entrevue sans jamais penser à l'éventualité que lui, serait chaud, et donc si imposant, et qu'en plus il voudrait se jeter sur elle dès la première seconde afin de copuler. Elle avait envisagé de l'émotion. Certes, il avait versé quelques larmes, mais la vue de son sexe immense bien peu dissimulé par ce pantalon foncé avait évincé tout autre sentiment positif. Ce Bélial était, semble-t-il, un animal. Il ne pensait pas trouver une sifer pour l'aimer et la chérir toute sa vie, comme elle se le représentait idéalement. Non. Il pensait uniquement à utiliser son engin surdimensionné pour pouvoir enfin s'accoupler avec une personne génétiquement adaptée. Il était chaud.

- J'veux que t'enlèves tes vêtements !

Elle écarquilla les yeux devant cette demande incongrue.

- Il n'en est pas question !

Bélial sourit encore plus franchement. Ce sourire l'ébranla, pourtant elle nia le sentiment généré. Son cœur battait la chamade mais elle en déduisit qu'elle nourrissait un sentiment de colère. Elle le trouvait certes terriblement viril et séduisant mais à sa décharge elle rencontrait un spécimen de son espèce pour la première fois.

- Maître Bélial, que vous arrive t-il ? s'étonna Corien qui ne comprenait rien à leur échange.

Bélial ne put se détourner d'elle pour lui répondre, trop occupé qu'il était à observer chaque détail de l'anatomie de la sifer.

- Elle est froide, résuma-t-il en smiréein.

Cet éclaircissement semblait explicite pour lui alors que les ingénieurs se considérèrent avec perplexité. La jeune inconnue, quant à elle, avait parfaitement saisi le sens de sa requête. Elle répondit dans la même langue pour que tous soient témoins de cet absurde échange.

- Il n'est pas question que je devienne comme toi. Je préfère rester comme je suis, reprit-elle. Tout le monde ne peut pas s'exposer aux autres avec tant de… de… d'exubérance.

- C'est une caractéristique d'notre espèce que t'as rejetée là, et c'est pas bien !

- Je suis froide, il n'est pas question qu'il en soit autrement et que je me transforme en… en …

- Monstre ? s'amusa-t-il. Dans c'cas comment veux-tu faire pour qu'nous…

- Il n'y a pas de "nous" ! s'emporta-t-elle. Et d'ailleurs pourquoi tu penses d'emblée que c'est à moi de devenir chaude ? Pourquoi ce n'est pas toi qui te transformerais ?

- Moi froid ? se moqua-t-il. Pour d'venir une moitié d'mâle chétif sans caractère ? Il n'en est pas question !

Malgré elle, cette réponse l'ébranla. Ce sifer ne voulait pas, de façon catégorique, effectuer de pas vers elle. Aucun. Il ne voudrait jamais baisser la température de son corps afin de redevenir froid. Une constatation qui l'attrista malgré tout.

- Dans ce cas, tu vas devoir chercher une autre sifer, car moi je suis froide.

- Ha oui ? J'connais un bon moyen d'te réchauffer moi ! s'exclama-t-il en avançant d'un pas.

Les smiréeins se sentirent de plus en plus consternés par cette remarque. Ils observaient la scène se dérouler sous leurs yeux sans reconnaître la joviale courtoisie du ryax qui leur rendait si souvent visite. Ils se sentirent insultés comme s'il venait de réduire l'entièreté de la gent masculine au rang de banal animal hypersexué.

- Non je t'interdis de te rapprocher de moi ? le menaça-t-elle d'une main en avant.

- Sid' que se passe-t-il ? C'est qui ce mec ?

L'humain qui venait de sortir de leur VS s'interposa aussitôt entre eux. Un petit brun aux cheveux courts et à l'allure d'aventurier. Lui, parlait l'alian, une autre langue de son système planétaire natal. Comment avait-il pu passer à côté de ces voyageurs malgré toutes ses recherches ? Ainsi elle s'appelait Sid. À moins que ce ne soit un surnom ?! 

Sans répondre, elle se précipita dans les bras du nouveau venu pour l'enlacer. Bélial serra les poings de contrariété. Son excitation retomba instantanément pour laisser place à sa fureur. Ses arcades sourcilières sans poils se froncèrent. Sid résuma en quelques mots leur échange et cet humain, à peine plus grand qu'elle, le fusilla du regard. Bélial croisa les bras sur sa poitrine attendant visiblement que ce moins que rien vienne l'affronter. À sa grande surprise, le jeune homme ne considéra nullement son gabarit avant de s'avancer vers lui. Sid le retint en l'appelant Théo.

- Écoute-moi bien Biélal, commença-t-il, adoptant la langue de la planète et écorchant son prénom.

- J't'arrête tout d'suite humain, pas la peine d'massacrer le zaliah car j'parle l'alian et j'me nomme Bélial. Et toi qui t'es ? gronda-t-il sévèrement.

- Je suis Théoly Jhono, le fiancé de Sidonie Aladiah que tu viens d'insulter par ton attitude. Si tu crois que je vais te laisser me l'enlever, tu te méprends. Qu'elle puisse uniquement se reproduire avec toi m'importe peu, elle va devenir ma femme et nous adopterons des enfants comme tous les autres couples non compatibles. Ton avenir ne nous intéresse pas et la descendance de ton espèce de monstres ne nous intéresse pas non plus…

Sidonie posa le bras sur celui de son compagnon pour l'apaiser.

> Pardon ma belle, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, mais tu me comprends ?

Elle acquiesça. Bélial plissa les yeux de mécontentement.

- Lui as-tu au moins d'mandé son avis, humain ? Tu veux t'opposer à la perpétuation d'notre race simplement parce que tu veux en faire ta femme ? Mais elle veut certainement un enfant d'son sein et non d'celui d'une autre femme ! Tu peux pas lui interdire c'bonheur. Elle pouvait s'résigner en sachant cette possibilité complètement improbable. Mais laisse-moi t'dire qu'elle sait aujourd'hui qu'rien n'est plus impossible pour elle et qu'maintenant que nous nous sommes rencontrés, j'ferai tout pour la séduire. À mon avis tu d'vrais te d'mander si elle va pas changer d'avis.

Théoly recula sous ce trait. Il observa la réaction de sa fiancée qui semblait tout aussi perturbée que lui par ce discours empreint de suffisance. Ce sifer avait certainement raison, mais Théoly ne s'effacerait pas sans rien dire. Il aimait Sidonie, il ne voulait pas la perdre aussi facilement. Trois autres membres de leur vaisseau, figés dans l'encadrement du sas de sortie, avaient, semble-t-il, assisté à leur dernier échange. Sidonie se mordit la lèvre. Elle n'aimait pas ce Bélial, elle était amoureuse de Théoly, mais si l'avenir de son espèce reposait entre ses mains, allait-elle lui tourner le dos à jamais ? Bélial sentit qu'elle comprenait parfaitement son raisonnement. Il décroisa les bras, les salua, puis leur lança une invitation à dîner dans ses appartements de façon tout à fait désinvolte avant de s'en aller. Théoly posa instinctivement le bras sur l'épaule de sa compagne. Ils observèrent ensemble cette créature, qui venait de s'immiscer dans leur vie, disparaître peu à peu de leur champ de vision. Disparaître… temporairement.

 

Dernier vol.

- Ah Liélos ! Tu n'imagines pas à quel point je suis content que tu m'appelles, je ne sais pas pourquoi, mais depuis ce matin mon modcom ne fonctionne plus. Tous mes accès ont été restreints aux appels d'urgence.

- Où es-tu Tony ? fit-il placide.

- Oh Yoni écoute, tu n'imagines pas tout ce par quoi je suis passé…

- Nous avions rendez-vous ce matin concernant ton intégration au sein du conseil d'administration de l'entreprise, lui rappela-t-il calmement.

- Écoute-moi, tu ne vas pas y croire, mais j'ai complètement raté le vol de ce matin. Tu sais…

- Ne t'avais-je pas dit de ne pas te rendre sur Gayalin' ?

Il se méprit sur le sens de sa question :

- Yoni ne t'en fais pas, je me suis protégé, tu n'auras pas de petits-enfants inconnus avec qui partager la société. Pour l'instant tout est sous contrôle. Le nihol bloque la production de spermatozoïdes, les quatalirques n'y ont vu que du feu et avec un comprimé pas de problème pendant une semaine alors une nuit tu imagines, bien que…

- Tony Carviste !

Tony s'interrompit brusquement, fit la moue devant ce qu'il prenait pour de la pudibonderie venant de son père, puis soupira fortement pour marquer son ennui.

- Oui, Yoni Carviste ?

- Tu ne te trouves pas à la réunion de ce matin, insista-t-il.

Tony plissa les yeux en se demandant si son père possédait encore toute sa tête. Il se leva de sa couche puis tendit le bras pour mettre un peu de distance entre l'écran et son visage en espérant que le décor environnant lui remettrait les idées en place. Les murs et la fenêtre de bois, la luxuriante végétation bien visible à travers les vitres, de même que le sol de terre inégal et les bâtiments alentours, ne pouvaient en aucune façon être confondus avec le luxe des structures de métal argenté de la cité de Kira sur Ariane. À quoi rimaient toutes ces questions ?

- Je viens de t'expliquer que j'ai raté le vol, reprit-il lentement. En plus, tous mes pals sont partis sans moi, ils auraient pu me réveiller et…

- Je t'avais prévenu, que si cette fois tu manquais notre rendez-vous, je te déshériterais.

Tony leva les yeux au ciel face à ce qu'il considérait comme le summum de l'exagération.

- Non mais écoute, ce n'est pas de ma faute. Il te suffit simplement de me recharger mon modcom et je pourrai payer un autre vol pour Ariane et…

- Tes crédits de communication et de paiement sont suspendus. Si tu souhaites utiliser ton module de communication autrement que pour les numéros d'urgence, il va falloir le recharger toi même.

- Yoni tu n'es pas sérieux, tu ne peux pas faire ça ! Tu peux bien reporter cette fichue réunion non ?

Tony vit son père s'adosser à son siège en inspirant bruyamment. Il se trouvait à son bureau. Encore. Tout son monde se faisait et se défaisait dans ce bureau situé dans les cimes des tours de la cité de leur planète. À chaque appel, il s'affichait derrière sa table de verre transparent, dans cet immense siège polymorphique gris ciel sur fond de mur blanc, sans décoration d'aucune sorte.

> C'est à cause de cette Milyane ? tenta son fils.

Yoni se redressa vivement, ouvrit la bouche comme pour répliquer, puis s'abstint. Tony se sentit d'autant plus mal à l'aise que son père ne veuille même pas daigner lui répondre.

> Je sais bien que tu as été déçu que je sorte avec ta petite amie, bifurqua-t-il à l'aveugle, mais avoue que c'est de sa faute à elle. C'est elle qui a accepté mes avances. Tu aurais dû m'être reconnaissant de te faire ouvrir les yeux sur qui elle était vraiment.

Encore blessé par cet épisode, Yoni ne put s'empêcher de lui répondre sèchement :

- Ce n'était qu'une aventure, je n'avais pas besoin de ton aide pour m'en rendre compte. De toute façon, ma vie privée ne te regarde en rien. Je te répète, une fois encore, que ce que tu as fait était inadmissible… mais c'est ma faute. Je t'ai tout donné. Depuis que ta mère est morte, j'ai pris soin de répondre au moindre de tes désirs pour que tu ne ressentes pas le manque… pour que tu ne sois pas malheureux. Et regarde ce que tu es devenu : un abruti pourri gâté qui ne respecte rien, ni personne. J'ai échoué à faire de toi un bon arien. Elle aurait été déçue de mon laxisme, de ce que tu es par ma faute. Je pensais agir pour le mieux, être un bon père… mais en fait non… C'est maintenant que je vais être un bon père, en te permettant d'ouvrir les yeux sur ta vie et en te laissant dans le manque.

- Qu'est-ce que tu veux dire Yoni ? Tu ne vas tout de même pas me laisser ici ? Je suis en pleine jungle. Il n'y a que de la forêt à perte de vue, les habitations ici sont en bois… en bois ! Tu imagines !!! Les quatalirques n'acceptent les visiteurs que sous certaines conditions. Si je n'ai pas d'argent pour subvenir à mes besoins elles vont me forcer à travailler pour leur communauté !

- J'aimerais beaucoup que tu apprennes la valeur du travail.

Tony écarquilla les yeux de frayeur et se rassit brusquement sur son matelas. Sa voix se fit suppliante :

- Mais tu peux envoyer un vaisseau pour me récupérer… ou me réserver une place sur un prochain vol ?

Yoni attendit une longue seconde avant de lui répondre.

- Oui, je peux.

Le visible soulagement de son fils l'irrita.

> Mais je ne le ferai pas. 

Le visage de Tony se décomposa aussitôt.

> Tout ce qui te concerne ne me regarde plus à compter d'aujourd'hui. 

Tony fit non de la tête comme s'il n'arrivait pas à croire ce qu'il entendait.

> Tant que tu ne changeras pas et que ta façon de voir n'évoluera pas, je ne te considérerai plus comme mon fils. Tu n'auras donc aucun des privilèges rattachés à ce statut. Tu pensais que tout t'était acquis, mais ce n'est pas le cas, comme tu vois.

- Yoni tu ne peux pas me renier.

Sa voix se fit moins assurée malgré son affirmation. 

> Je suis ton seul fils, ton héritier. Qui va reprendre la société si je ne suis pas là ?

Yoni s'affligea d'autant plus que son fils ne se focalisait que sur cette succession.

- Tu n'as jamais été là. Il faut juste que j'ouvre enfin les yeux. Plusieurs de mes collaborateurs ont beaucoup plus d'expérience et de compétences que toi.

- Mais c'est MON argent ! s'emporta Tony. Tu ne peux pas me couper les vivres et m'écarter ! C'est mon argent, mon héritage. C'est mon droit. Je vais contacter Arvis et il va résoudre la situation, il va te faire entendre raison.

Yoni soupira.

- Arvis est à la retraite, puisqu'il n'est plus à ton service depuis ce matin. Et devine quoi ? Il m'a remercié. 

Tony accusa durement le coup. Non. Pas Arvis. Impossible ! Il était comme une mère pour lui. Ces deux hommes l'avaient élevé comme un père et une mère.

> Je pensais qu'il réprouverait ma façon de faire, qu'il me supplierait de t'aider, encore une fois… Mais en fait, il a acquiescé sans un mot, il m'a souri et m'a demandé ensuite un aller simple pour aller voir sa fille et ses petits-enfants. Puis il m'a souhaité du courage. Tu imagines ? Un homme qui t'a élevé depuis que tu es un petit garçon, qui t'aime au moins autant que moi ! 

Yoni baissa la tête. Le son de sa voix se fit songeur. 

> Je pense aujourd'hui à toutes les fois où il a dû se dire que j'agissais anormalement. Peut-être que lui, aurait fait différemment ? Je lui en toucherai deux mots dans quelques jours.

Yoni ne parlait même plus directement à son fils. Il semblait réfléchir à voix haute comme si celui-ci ne se trouvait plus en face de lui par écran interposé. Tony n'en croyait pas ses oreilles.

- Mais…

Un malheureux "mais". Il ne savait même pas quoi ajouter d'autre tellement cette nouvelle le sidérait. Son père toujours présent pour lui, toujours attentif et affectueux. L'homme qu'il voyait sur l'écran de son modcom lui ressemblait physiquement, mais la ressemblance s'arrêtait là. Jamais son père n'aurait tenu de tels propos.

- Je te laisse Tony. Je te souhaite de trouver ton chemin.

- Pa' attends !

Yoni qui allait interrompre la connexion suspendit son geste. Pour la première fois depuis ses douze ans, son fils l'appelait enfin papa. Malgré les remontrances, celui-ci avait toujours trouvé drôle de le contrarier et de l'interpeller par son prénom devant tout le monde. Yoni avait fini par s'habituer sans que cela lui plaise outre mesure, et maintenant, le fait qu'il entende ce simple mot le retournait. Une émotion l'envahit. Il observait ce jeune homme qui lui ressemblait tant. Sa peau verte et lisse. Ses yeux tristes aux pupilles jaunes. Ses sourcils froncés. Son fils avait l'air totalement désespéré. Il se sentirait certainement seul, malheureux, mais Yoni devait trouver le courage de couper ce lien entre eux, pour le bien de celui-ci. Il posa l'un de ses quatre doigts sur la surface miroitante de son interface de communication et l'écran de publicité en ligne reprit le contrôle de sa vision.

Tony se passa les mains dans les cheveux en se demandant s'il ne rêvait pas. Sur Gayalin', les créatures enchanteresses qui s'offraient si gentiment aux visiteurs proposaient une substance psychotrope qui permettait de flotter au-dessus de la réalité. Il en avait pris, mais les effets ne duraient que trois heures. Depuis le temps, il avait déjà totalement recouvré ses facultés cognitives. Alors comment était-ce possible autrement ? Comment son propre père avait-il pu l'abandonner ? Tony vivait certes de façon excessive sans s'inquiéter du lendemain. Il agissait en sachant pertinemment que son protecteur serait toujours là pour lui, pour l'aider, pour payer. Et voilà que Yoni, son père, avait décidé du jour au lendemain de ne plus le traiter comme son fils. Voilà qu'il ne le considérait plus comme étant digne d'endosser ce rôle. Tony envoya valser tous les objets à sa portée. Sa rage fut si intense que la petite cabane dans laquelle il avait dormi sembla avoir implosé. Il n'allait pas se laisser faire de cette façon. Son géniteur se devait de subvenir à ses besoins, de l'aider. C'était dans l'ordre naturel des choses. Il n'avait pas demandé à naître. Donc, quelle que soit son attitude ou ses écarts, son père se devait d'être là pour lui, et ce, même s'il avait dépassé l'âge de la majorité. Il était un Carviste, le seul héritier de l'une des plus importantes fortunes de sa galaxie. Le fils unique d'un magnat du transport privé. Ce serait le comble s'il n'arrivait pas à se faire embarquer à crédit sur un VSTC* de sa propre compagnie. Les agentes de vol allaient forcément le reconnaître, d'autant qu'il s'était inscrit la veille. Elles allaient certainement obéir respectueusement à Tony Carviste, leur employeur… à lui.

 

 

 


[1] Mot amical affectueux

[2] Espèce en voie d'extinction de la Galaxie de l'Étoile Blanche.

[3] VS : Contraction usuelle de Véhicule ou Vaisseau spatial

* Véhicule Spatial de Transport en Commun

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