4ème Chapitre Au Tour de Violette

Lucie Ronzoni

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« Je suis vraiment crevé, épuisé, je ne sais pas ce qui m’arrive, c’est le temps, ou l’époque, mais je me lève avec l’envie de me recoucher. »

Tu n’as qu’à songer à Violette et écouter le son des canards à la lueur du soleil levant. Aujourd’hui, Jean-Michel l’énerve avec ses réflexions toutes faites de chauffeur de taxi. Il n’a pas envie de lui parler, comme toujours d’ailleurs, même pas envie de l’écouter,  juste envie de regarder les rues de Paris défiler et de penser à ses dossiers.

« C’est comme mon client de la dernière fois…. ».

Allez, parle, parle, mais je ne t’écouterai pas. Pas aujourd’hui, j’ai du boulot en cours, des sous-chemises à constituer. Paris défile, comme un diaporama pour jumelles que les gosses achètent dans les sites touristiques. Des enfants, il n’en a pas, n’a pas eu l’occasion sans doute, Isabelle est partie trop tôt. Qu’aurait-elle pensé de Violette et de ses poubelles ? Sans doute, aurait-elle estimé qu’il perdait son temps à de telles conjectures. Isabelle était finalement peu imaginative, très concrète, basique, terre à terre. Des mois d’infirmité et de solitude l’avaient vidé de tout sentiment pour une fille qui avait tout de même partagé sa vie pendant près de dix ans. L’avaient vidé de pas mal de chose d’ailleurs : il était redevenu vierge. Et cette virginité semblait, depuis peu,  prête à recevoir un réveil cassé, un lever de soleil et des canards, des sous-dossiers jaunes, verts et rouges, une visite imminente du contrôleur de la Sécurité Sociale et très prochaine de l’expert.

« De gros progrès, vous semez vos graines, vous allez bientôt être prêt pour la moisson », aurait dit son psychanalyste…

« Qu’avez-vous dit, Jean-Michel ? 

- A propos de quoi, Monsieur Dunois, je parle beaucoup, vous savez ? »

Oh là que oui ! et c’est Durois.

« Vous avez dit que vous aviez attendu plus d’une demi-heure en bas de chez moi avant-hier après-midi une cliente qui n’est pas venue, c’est bien ça ? 

- Bah, oui, une demi-heure de foutue, j’ai des charges moi, je ne peux pas me permettre de faire tourner le compteur sans qu’on me paye en retour. De nos jours, Monsieur Dupois, les.. »

Pitié, pas ça…

« Durois, Jean-Michel, mais la cliente, elle habitait où ?

- En face, monsieur Dumois, en face, je vous l’ai déjà dit, des fois je me demande si vous m’écoutez, c’est vrai, je parle, je vous raconte des trucs, et vous, vous ne me dites jamais rien. Tiens, par exemple, ça va mieux votre dos, ou votre jambe,  je ne sais plus bien ?

- Les deux, et c’est Durois, et je parle peu parce que je bégaye… 

- Vous bégayez ! mais non, pas du tout, vous ne bégayez pas, j’ai même l’impression que vous parlez plutôt bien, qu’est ce que vous racontez ? 

- Enfin, je bégayais, peu importe…Votre cliente, c’était qui ? 

- Je ne sais pas qui c’était, elle n’est pas venue ! 

Pitié !

« Mais vous avez bien pris son nom lorsqu’elle vous a appelé pour commander son taxi !

- Un nom ? non ! jamais ! Il n’y a que vous, parce que vous êtes un habitué, presqu’un abonné, mais je ne demande pas les noms, moi ! »

De toute façon, pour ce que tu les retiens…

« Mais, sa voix, elle était jeune, vieille ? 

- Ah ça, je ne sais pas, moi, non pas vieille, plutôt jeune avec un accent d’ailleurs, en fait, pas comme ma Ginette en tout cas. Vous ne savez pas la dernière de Ginette… »

Oh, non, pas la Ginette, ça va prendre des heures, ou plutôt si, allons pour la dernière de Ginette, le temps que je mette mes dossiers en place.

Ainsi, ce n’est pas Violette qui avait commandé un taxi. Cela aurait pu constituer un bon nouveau sous-dossier bleu intitulé « la fuite » : Violette aurait pu avoir faussé compagnie à son cher voisinage pour aller voir ailleurs si l’espèce humaine était plus compatissante. En tant qu’avocat commis d’office, il le comprend tout à fait.

Non, ce n’est pas elle qui a appelé Jean-Michel, à moins que Violette ait une voix jeune avec accent … Après tout, qu’est-ce qu’il en sait de la voix de Violette ?

Ce doit être Blondinette qui avait fini son déménagement et avait prévu, moins radine,  de partir en taxi, les bras chargés des derniers paquets. Un des dragueurs de la dernière fois avait dû aller plus vite que Jean-Michel et l’avait persuadée de tester son nouveau bolide. Pas très polie, et toujours aussi fauchée la blondinette, elle aurait pu décommander Jean-Michel.

Il ne met pas pour autant le sous-dossier Bleu aux affaires classées. « La fuite » était toujours possible, dans un autre taxi (Jean-Michel n’a pas le monopole du quartier), ou à pied, par le métro, le bus….Après tout, il ne contrôle jamais les allées et venues de la journée. James avec sa Grâce aurait pu le savoir, mais, lui, n’est que Monsieur Durois, sans Isabelle.

Attendre ce soir semble bien la seule solution.

« Ca y est, Monsieur Duvois, on est arrivé. Je fais une facture, comme toujours ! »

Vas-y, je me sens prêt à moissonner et c’est Durois, mon pauvre Jean-Michel.

Jean-René, Louis, Léopold Durois, né le 24 février 1963 à Lille, fils de parents unis aujourd’hui décédés, célibataire parce qu’abandonné, futur ex-gratte dossier débile dans une société de contentieux pour gosses de CM1, infirme parce qu’opéré du dos par un charlatan, et nourri, blanchi aux frais de la princesse, parce qu’ils me doivent bien ça !

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