5- La prison des loups

astiacle

Cinquième chapitre de "les ombres de l'oubli"

Novembre respira un grand coup. Il avait hésité à s'arrêter à cet endroit, mais il ne pouvait pas passer à côté sans rien faire. Après tout, le mal menaçait tout le monde sans distinction et puis, il y avait eu le grand pardon, ce n'était pas comme s'ils représentaient encore une menace. Novembre observa la terre à ses pieds. Le sol recouvert d'herbes en friche était passé progressivement à une terre stérile et noir. En levant le regard, il pouvait voir la forêt d'arbres noirs des racines jusqu'aux feuilles, aucune tache de couleur ne venait égayer les bois. Le ciel même semblait plus sombre à cet endroit. Novembre avait peur, tiraillait entre le désir de s'éloigner et de bien faire. Janvier avait demandé à ce que sois averti tous les héros, mais ceux qui avait été cloîtrés dans les bois noirs n'en était pas, donc Novembre pouvait décider de passer son chemin. Il se crispa. Le grand pardon avait forcé à l'acceptation des êtres mauvais, par conséquent, ils étaient considérés comme des bons maintenant et Novembre ne pouvait pas les laisser dans l'ignorance. Il se tourna vers les murs qui entouraient les forêts. Il fallait marcher une heure avant de pouvoir les atteindre et ils étaient gardés. Novembre avait atterri entre les murs et les bois, hésitant sur les personnes à voir en premier. Les gardiens ou les gardés. Il avait choisi les seconds, se disant que les gardiens l'auraient empêché de les voir, hors ils avaient le droit d'être au courant aussi. Novembre se tordit les mains d'angoisse, regrettant sa décision. Peut-être que les gardiens lui auraient donné une escorte pour aller parler à ceux des bois.

-Il faut attendre combien de temps comme ça ?

Novembre sursauta et se tourna vers le garçon debout sur sa gauche qu'il n'avait même pas remarqué. Le jeune homme se tenait silencieux, sourcils froncés, très concentré sur le bois. Plus vieux que Novembre, il allait pieds nus dans des vêtements troués. Comme il ne répondait pas, l'inconnu insista :

-ça dure aussi longtemps en général ?

Novembre finit par retrouver sa voix pour demander :

-Quoi donc ?

-Ce que l'on attend.

Novembre jeta un regard aux bois, revint à l'inconnu avant de dire d'une petite voix :

-Je… je n'attends rien moi.

Le jeune homme se tourna vers lui, papillonna des yeux, puis sourit :

-Ah bon ? Je croyais. J'aurais dû m'en douter, il ne se passe rien d'intéressant ici.

Novembre écoutait à peine ce que l'inconnu disait, obnubilait qu'il était par son œil gauche d'une couleur jaune doré. Le jeune homme soupira et se dirigea vers les bois. Novembre prit une décision :

-Excusez-moi.

L'inconnu se tourna vers lui pour attendre la suite.

-En fait, je viens rencontrer votre roi, j'ai un message important.

-C'est une reine en fait, le roi est mort il y a des années.

-Oh… heu… je peux la voir quand même ?

-Bien sûr, petiot, suis-moi dans les bois.

Il rit tout seul, ce qui ne rassura guère le garçon. Mais n'ayant plus le choix, il suivit.

Les bois étaient vides. Aucun son, aucune odeur ne leur parvenait. Le jeune homme avançait en chantonnant alors que Novembre dérapait, trébuchait. Il avait du mal à distinguer dans tout ce noir, ce qui était une racine sortant du sol, ce qui était de la boue ou une pierre. Il remarqua malgré tout, qu'ils descendaient. Le terrain était en pente douce et quand ils finirent par atteindre un large creux, Novembre découvrit un campement. Tous ses habitants marchaient pieds nus, vêtus de peau de bête et l'œil gauche d'un jaune doré. Lorsque Novembre arriva, les enfants cessèrent leur jeux, hommes et femmes quittèrent leur ouvrage pour le dévisager. Le jeune garçon entendit des ventres gargouiller et il n'était pas certain que cela ne soit que son imagination. Il commença à ralentir l'allure, se demandait si tout compte fait, il ne faisait pas mieux de partir en courant. Il commençait à calculer le temps qui lui faudrait pour enlever sa chemise et s'envoler quand son guide revint vers lui pour passer un bras autour de ses épaules :

-Avance petiot, n'ai pas peur.

Novembre se laissa pousser, les yeux au sol pour ne pas voir les autres qui le dévisager.

-On y est.

Il releva la tête pour apercevoir l'entrée d'une grotte. Son guide s'éloigna d'un pas :

-Allez, vas-y.

Novembre tremblait, il se racla la gorge, ouvrit la bouche et s'arrêta au dernier moment. Il sortit son épée quand un mouvement sur sa gauche le fit freiner. Le jeune homme qui l'avait accompagné laissé échapper un grondement sourd, alors Novembre s'empressa de dire :

-C'est pour la poser.

Sans quitter le jeune homme des yeux, il laissa son épée tomber au sol. Sans attendre, le guide s'en saisit puis retrouva son sourire. Novembre mit un genou en terre, comme le lui avait appris ses aînés avant de lancer :

-Je suis Novembre de la fratrie des corbeaux. J'ai un message à délivrer au grand méchant loup.

Il entendit un frottement, le cliquetis des griffes sur la pierre, puis apparut un loup blanc gigantesque. La lourde fourrure était immaculée et fournie, seuls les yeux jaunes perçaient. L'animal s'approcha de Novembre, le renifla, renifla l'épée dans les mains de l'autre garçon, puis parla d'une voix profonde et féminine :

-Tu te présentes désarmé et seul. Je te rends la pareille.

Une légère poussière noire enveloppa le loup qui réapparut dans un corps de femme, pieds nus, aussi mal vêtu que les autres. Elle leva une main et Novembre entendit du mouvement derrière lui. Les autres loups reculaient, alors qu'il ne s'était même pas rendu compte qu'ils l'avaient cerné. Seul son guide resta à proximité.

-J'écoute enfant humain.

Intimidé, Novembre garda la tête basse :

-Il y a un mal qui approche. Les fées ont parlé à Janvier, elles veulent que nous nous réunissions au bois brisé.

La louve échangea un regard avec le jeune homme :

-Les fées… vous ont demandé de nous prévenir ?

Novembre fut gêné d'avouer :

-En fait, elles ont demandé les héros, mais je me suis dit… vu que vous êtes aussi concernés… vu que vous êtes aussi dans ce monde… et que c'est un mal qui attaque tout le monde… je me suis dit…

Il leva la tête pour voir s'il avait été compris. La louve vint s'accroupir devant lui :

-Tu es un bon petit humain, mais même avec le grand pardon, nous ne sommes pas les héros, tu sais.

-Je pensais que vous deviez être mis au courant quand même.

La reine laissa échapper un petit grondement attendri en se levant :

-C'est gentil à toi, mais nous sommes gardés que pouvons-nous faire ?

Novembre se redressa :

-Je vais aller parler au chaperon rouge maintenant. Elle acceptera peut-être de vous laissez passer.

La reine eut un sourire indulgent :

-Non, elle ne le fera pas.

-Mais… si je demande gentiment ?

-Tes efforts sont plus qu'appréciés, mais tu ne devrais pas prendre plus de retard dans ta mission. Mon fils te raccompagnera.

Elle retourna dans sa grotte, alors que le garçon qui l'avait guidé lui tendait l'épée :

-Je suis Rocak, prince des loups.

Novembre remit son épée au fourreau et se dépêcha de rejoindre le jeune homme qui était déjà en route. Ils retraversèrent les bois, se retrouvèrent dans la prairie où Rocak le guida jusqu'au bas du mur. Plus ils s'en approchaient, plus Novembre remarquait que ce qu'il avait pris pour une muraille tenait plutôt de la palissade. De hauts pieux de bois s'élevaient vers le ciel, si serrés que pas un interstice n'aurait pu permettre de voir ce qu'il y avait derrière. La seule entrée était une porte de la taille et de la largeur d'un homme. Novembre hésita, le loup n'avait pas décroché un mot de tout le trajet, mais le garçon se lança :

-Je dois juste frapper ?

Il vit que son compagnon n'avait pas écouté. Les yeux vers le ciel, celui-ci était dans ses pensées. Finalement, il demanda à Novembre :

-Tu le ferais ? Demander au chaperon rouge le droit de passer pour nous ?

-Oui, je peux essayer.

Rocak plissa les yeux, jeta un regard vers ses bois, revint à la palissade :

-Juste moi, demande le passage pour un loup… s'il te plaît.

-Oui, d'accord.

Il y avait de la détresse dans la voix du loup et, se souvenant des gens en haillons et maigres qui formait le clan des bois, Novembre se promit de faire de son mieux pour que Rocak puisse passer.

Il frappa. Une paire d'yeux apparut à une trappe à hauteur de regard dans la porte. Le loup alla s'asseoir plus loin, alors que Novembre annonçait :

-Je dois parler au chaperon rouge, je suis Novembre de la fratrie des corbeaux.

-Prouvez-le.

Il dégagea la marque à la base de son cou. L'homme regarda Rocak avec insistance, avant d'ouvrir la porte, saisir le garçon par le col et le tirer brusquement à l'intérieur.

-Vous allez bien ? Le loup n'a rien fait ?

-Non, non.

L'homme fronça les sourcils :

-Vraiment ? Bizarre. Comment vous êtes-vous retrouvé de l'autre côté ?

-Je dois parler au chaperon rouge. C'est urgent, s'il vous plaît.

L'homme le dévisagea encore un instant, puis il dût se dire qu'il n'y avait rien à craindre d'un garçon de douze ans et le guida entre les maisons d'un village qui s'étendait tout le long de la palissade.

Soudain, une femme vêtu d'un long chaperon rouge, jaillit au détour d'une rue, suivit par une dizaine d'hommes et femmes. Elle apostropha le garde qui accompagnait Novembre :

-On m'a dit que la porte avait été ouverte ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Le garde sembla rapetisser devant le chaperon rouge :

-Rien, ce garçon était de l'autre côté. Je ne pouvais pas le laisser avec les loups….

-Où ça ?! Où sont les loups ?

-Nulle part, chef. J'ai juste fais entrer le petit et j'ai fermé.

Elle fonça sur Novembre qui aurait presque regretté le grand méchant loup. Se laissant tomber à genoux dans la boue, elle le saisit par les épaules pour le secouer violemment :

-Ils t'ont dévoré aussi ? C'est ça ? Tu les as éventrés, n'est-ce pas ? Il le faut pour sortir, tu sais.

La peur fit monter les larmes aux yeux du garçon qui se contenta de dire d'une petite voix :

-Non, j'ai un message urgent. Je suis de la fratrie des corbeaux et…

-Un corbeaux ? Pauvre bête, viens vite.

Elle lui saisit le bras et l'entraîna vers une des habitations à proximité. Dans la grande pièce du rez-de-chaussée, un fauteuil recouvert de fourrure faisait office de trône. La jeune femme s'y installa après avoir brusquement lâché son invité au milieu de la pièce. Novembre jeta des coups d'œil inquiet sur les murs. Des têtes de loup y étaient accrochées. Dans une vitrine, il aperçut un bras encore en cour de transformation. La morphologie était humaine mais poils et griffes avaient commencé à pousser avant que le membre ne soit tranché et figé à jamais. Surprenant son regard, le chaperon rouge soupira :

-Les parquer dans cet enclos n'a pas été facile. Mais les sacrifices ne furent pas vains. Nombre de petites filles, de cochons et chevreaux peuvent désormais dormir en paix grâce à cela.

Novembre glissa :

-Peut-être que maintenant, ils ont compris la leçon. On devrait leur donner une chance.

La jeune femme ne sembla pas l'entendre. Les yeux dans le vide, elle demanda soudain :

-Sais-tu à quel point ça sent mauvais dans le ventre d'un loup ? Je ne pourrais jamais l'oublier. L'odeur, la douleur.

Elle semblait sur le point de pleurer quand elle se leva soudain.

-Regarde.

Elle découvrit un de ses bras, révélant de multiples cicatrises en forme de morsure. Par endroit la chaire manquée.

-Certains ont raconté que j'étais morte.

La jeune femme éclata de rire :

-Morte, si seulement. J'ai senti l'acide me ronger. AS-TU LA MOINDRE IDEE DE CE QUE CELA FAIT ?!

Novembre sursauta, à deux doigts de fondre en larme, avant de secouer négativement la tête. Le chaperon rouge le fixa soudain :

-Tu n'es pas un loup, n'est-ce pas ? Ils peuvent se montrer si charmeur…

La porte d'entrée s'ouvrit brusquement et une jeune fille d'une douzaine d'années, portant aussi un long chaperon rouge, entra en courant :

-Mère ! J'ai entendu que l'on avait ouvert la porte.

La femme la stoppa d'un geste de la main :

-N'approche pas ! Je crois que c'est un loup, il va se transformer ! Il va nous manger !

La fillette leva les yeux au ciel :

-Enfin, maman, tu sais bien que tu n'as jamais eu les idées claires.

-SI ! Avant…

Le regard de la femme se perdit dans le vague et sa fille la prit par la main pour l'asseoir sur le trône. Elle lui embrassa le front en disant :

-Sois sage.

Puis, elle revint vers Novembre :

-C'est toi ? Celui que l'on a fait entrer ?

Le garçon hocha la tête, ne sachant plus trop ce qu'il devait dire.

-Je suis la fille du chaperon rouge. Je m'appelle Eventreuse.

Novembre ouvrit des yeux ronds. Avec une grimace, la jeune fille rappela :

-Ma mère a choisi. On peut pas dire qu'elle soit très lucide.

Le garçon se sentait plus en confiance avec la fille qu'avec la mère, aussi, c'est à elle qu'il parla de la menace, de la mission qui lui incombée et du lieu où ils devaient se rendre. Eventreuse écouta avec attention, jeta un regard vers sa mère, qui chantonnait, le regard vide, avant de demander :

-Tu es arrivé comment exactement ?

Novembre tenta à nouveau :

-Je suis de la fratrie des corbeaux. On m'envoie vous prévenir qu'un mal approche et qu'il faut nous rendre aux bois brisés. Les fées doivent nous y retrouver.

-J'irais à sa place, si ça ne te dérange pas.

Le garçon fut surpris d'une prise de décision si rapide et ne sut que répondre. Alors, il dit en bredouillant :

-Non, je ne crois pas qu'il y aura de problème.

A dire vrai, il était plus soulagé de faire le voyage avec elle. Alors que Eventreuse s'apprêtait à sortir

pour préparer ses affaires, Novembre la retint :

-J'aurais juste une autre demande.

-Je t'écoute.

-Eh bien…

Il ne put s'empêcher de jeter un regard à la femme assise sur le fauteuil, comme s'il craignait qu'elle ne lui bondisse dessus à tout moment.

-Il y a un loup qui aimerait passer. Juste un.

Eventreuse fronça les sourcils en proie à une profonde réflexion. Novembre s'empressa de préciser :

-Il n'a pas l'air agressif. Je crois qu'il veut juste voir de l'autre côté.

-C'est un grand, non ?

-Un grand ?

-Oui. Les cheveux marrons qui partent dans tous les sens.

-Je crois que c'est celui-là, oui.

-Viens.

Il la suivit à l'extérieur et pendant qu'elle le ramenait près de la porte de la palissade, elle lui raconta :

-Il y a un loup qui rôde souvent près des murs. Il fait rien de mal, il marche c'est tout.

Lorsqu'ils trouvèrent le garde, elle ordonna :

-Ouvrez la trappe.

L'homme obéit sans poser de question, bien qu'il jetât un regard curieux à Novembre. Elle fit de la place à celui-ci pour qu'il puisse voir aussi. Novembre aperçut Rocak, roulait en boule sur le sol, jouant avec un caillou.

-C'est le fils du grand méchant loup. Il s'appelle Rocak.

Eventreuse sourit :

-C'est bien lui.

-Tu le connais ?

Novembre se rendit compte qu'il avait tutoyé la jeune fille et s'attendit à une réprimande, mais elle n'en fit rien :

-Pas exactement. Apparemment, je n'étais pas née qu'il faisait déjà le tour de la palissade pendant des heures. Ma mère pense qu'il essaie de trouver une faille pour nous manger. Elle l'appelle sa bête noire. Elle en parlait tellement que, petite, j'ai décidé de me rendre compte de l'allure du monstre. J'ai demandé au garde de m'ouvrir la trappe et de me porter. Quand je l'ai aperçu, j'ai été déçu. Plus je venais voir, plus je commençais à me dire qu'il n'avait rien d'une bête noire. Pour moi, c'est un loup qui rêve.

Novembre ajouta :

-Il n'est pas méchant… enfin, il n'en a pas l'air… pour le peu que je l'ai vu.

De l'autre côté, Rocak s'était redressé pour leur sourire. Novembre s'en étonna :

-On dirait qu'il sait que l'on est là.

Eventreuse sourit en lui donnant un coup de coude :

-Les loups ont l'ouïe fine, tu ne savais pas ? Il nous a probablement entendu et sentit aussi.

Elle se tourna vers le garde :

-Ouvrez la porte.

Cette fois, l'homme blêmit :

-Pardon ?

-Ouvrez vite ou je vais m'énerver.

Le ton qu'elle employa dans cette phrase provoqua un tremblement chez l'homme qui obéit sans tarder. Novembre avait du mal à croire ce qui était en train de se passer :

-Tu le laisses vraiment passer ?

La fillette rit :

-On va se gêner. De toute façon, le temps que ma mère réalise ce qu'il se passe, on sera parti.

Rocak s'avança à pas prudent. Eventreuse lui fit signe de se dépêcher et le loup passa la porte, fixant le garde avec méfiance. La jeune fille ordonna :

-Bougez-pas. Je vais chercher mes affaires, je reviens.

Elle se mit à courir, laissant Novembre et Rocak en compagnie du garde. Le loup tapota la tête du garçon qui ne put s'empêcher de la rentrer dans ses épaules :

-Merci, petiot.

-Oh… j'y suis pas pour grand-chose. C'est Eventreuse qui a tout fait, c'est la fille du petit chaperon rouge.

-Je sais.

Il n'y avait aucune chaleur dans ses mots et Novembre crut même y déceler une certaine méfiance. Une nouvelle fois, le garçon ne put s'empêcher de tenter :

-Eventreuse est pas comme sa mère, tu sais. J'ai rencontré le chaperon rouge, elle n'est pas… enfin…

-Elle est tarée.

Eventreuse venait d'apparaître de leur côté, le faisant sursauter.

-Ce n'est pas ce que j'allais dire.

Occupée à détacher une cape qu'elle avait mis par-dessus son chaperon, elle posa sur lui un regard amusé :

-N'ai jamais peur de la vérité. Il parait que mon père disait souvent ça.

Elle tendit la cape au loup :

-Tiens, porte ça, au moins le temps de quitter le village.

Alors qu'elle tendait le bras, Novembre aperçut une hachette coincée dans sa ceinture. Surprenant son regard, Eventreuse sourit :

-Mon père l'avait faite pour me protéger des loups. Ma mère m'a formé, alors gare monsieur le loup.

Rocak ricana en faisant descendre la capuche sur ses yeux :

-Noté.

La traversée du village fut plus longue que prévu. Rocak s'émerveillait de la moindre odeur, du moindre son, s'arrêter pour observer les maisons, les gens. Lorsque son ventre se mit à gargouiller fortement, Novembre et Eventreuse, le saisirent par les mains pour l'éloigner de toutes tentations. Une fois sortit du village, la jeune fille se mit à marcher à vive allure :

-Je suppose que l'on ne doit pas traîner. Sais-tu par où on doit aller ?

-Euh…

Ils s'arrêtèrent et Eventreuse sourit :

-ça va devenir plus compliqué, là.

Novembre s'empressa de préciser :

-Je peux te guider du ciel. Je me repère mieux là-haut.

Rocak, qui faisait des tours sur lui-même pour observer chaque recoin du paysage, prit la parole :

-Tu peux monter sur mon dos, chaperon, on ira plus vite.

Eventreuse et Novembre furent surpris :

-Je pensais que tu partirais.

-Non, petiot, tu as dit qu'un mal arrivait, il faut que je représente les miens… même s'ils ne sont pas au courant.

Il sourit de toutes ses dents, mais Novembre s'inquiéta :

-Tu aurais peut-être dû prévenir ta mère, non ?

-Elle sait, ne t'en fais pas.

-Comment ?

-Parce que nous sommes des loups.

Novembre n'osa pas en demander plus, alors que Eventreuse s'attardait sur un autre élément de la discussion :

-C'est vrai ? Je peux monter sur ton dos ?

Rocak sourit, alors qu'une poussière noire venait l'envelopper. Lorsqu'elle disparut, un grand loup gris se tenait à la place du prince. Novembre faisait la taille de ses pattes et il fit un pas en arrière, craintif. Puis, se rappelant la présence de Eventreuse, il voulut lui saisir le bras pour l'éloigner, mais il se rendit alors compte que la jeune fille fixait le loup, les yeux brillants, émerveillée.

-Tu es… grandiose !

-Merci.

Novembre sursauta en entendant la voix de Rocak sortir de la gueule du loup. Celui-ci s'allongea :

-Allez, grimpe.

Eventreuse sauta sur place de joie avant de s'élancer vers l'animal. Lorsqu'elle fut installée, cramponner à la fourrure soyeuse, elle proposa à Novembre :

-Tu ne veux pas monter avec moi ?

Rocak fixa le garçon :

-C'est vrai, je pourrais vous porter tous les deux.

Novembre secoua la tête :

-Non, merci. Je préfère les airs.

Il ne pouvait s'empêcher d'être effrayé par l'énorme animal. Et puis, c'est vrai que je me repère mieux de là-haut. Il retira sa chemise d'ortie et vit le loup grandir encore au fur et à mesure qu'il devenait corbeau. Quand sa transformation fut achevée, il prit son vêtement dans son bec et allait s'envoler quand Eventreuse lui tendit la main :

-Tu ne veux pas que je te garde ta chemise ?

Novembre hésita. S'ils venaient à se séparer, il risquait de ne pas pouvoir se transformer avant un bon moment. Il secoua la tête tant qu'il pouvait pour essayer de lui faire comprendre et s'éleva suffisamment haut pour voir où aller, mais en gardant un œil sur ses deux compagnons. Quand il se décida sur la route à suivre, le loup s'élança à sa suite.

Signaler ce texte