9- La fileuse d'ortie

astiacle

Neuvième chapitre de "Les ombres de l'oubli"

Mars avait hésitait. Il était d'abord parti dans une direction comme l'avait ordonné Janvier, mais il s'était arrêté, soucieux de ses petits frères. Il ne pouvait pas les laisser s'aventurer seuls. Il les regarda s'éloigner dans des directions opposées. Lequel devait-il suivre ? Il fallait vite se décider où il les perdrait tous. Il s'élança à la suite de Décembre, étant le plus jeune de tous, son choix était devenu évident.

Durant plusieurs jours, il l'avait suivi sans le rattraper. Il prenait le temps de se reposer, pensant que son frère faisait la même chose, mais cela ne semblait pas être le cas car Décembre semblait plus loin à chaque fois. Puis un jour, en passant au-dessus d'une sombre forêt, il le vit tomber comme une pierre. Mars accéléra autant que sa propre fatigue put le lui permettre, mais le temps qu'il retrouve l'endroit où il était tombé, il n'y avait plus trace d'un corbeau ou d'un garçon. Il se transforma et se mit à chercher des indices. Il ne paniquait pas, il ne paniquait jamais. Sauf cette fois-là, quand il les avait vu en face. Il s'empressa de repousser ce souvenir pour se concentrer sur Décembre. C'est en restant calme que l'on trouve. Mars se pencha, scruta, se focalisa sur le moindre élément pouvant lui dire où se trouver son frère. Enfin, il distingua deux paires d'empreintes et n'ayant pas d'autres indices, il décida de les suivre.

Il finit par arriver à une chaumière perdue dans les bois. La fumée s'échappant de la cheminée lui indiqua que quelqu'un était présent, alors il frappa à la porte. Un homme assez âgé ouvrit, juste assez pour pouvoir apercevoir l'intrus et l'empêcher d'entrer. Mars se pencha pour être bien en face de lui :

-Bonjour, j'ai une question qui va peut-être paraître étrange.

L'homme devint plus méfiant, alors Mars s'empressa de dire :

-Je suis de la fratrie des corbeaux.

Il montra sa marque à la base de sa gorge, ce qui sembla d'étendre son interlocuteur :

-Mon frère a atterri dans le coin. Il a onze ans, des cheveux blancs comme les miens. Il n'était peut-être pas sous forme humaine aussi…

L'homme ouvrit la porte en le coupant :

-Mes enfants l'ont trouvé.

Mars sentit une vague de soulagement l'envahir :

-Vraiment ? Ils sont là ?

-Non, votre frère semble avoir perdu sa chemise d'ortie.

-Perdu ?

Mars se mit à réfléchir à toute vitesse. Il n'avait pas souvenir que l'un d'eux est déjà perdu sa chemise, comment faire dans ce cas-là ? Leur sœur était inconsciente et aucun d'eux n'aurait su faire un vêtement d'ortie. L'homme le rassura :

-Ne vous inquiétez pas, j'ai envoyé mes enfants auprès de la fileuse d'ortie. Elle vit au village, plus loin, dans cette direction.

Il pointa le doigt vers un petit chemin qui s'enfonçait dans les bois. Mars le remercia avant de s'éloigner précipitamment vers le village.

Il fallut marcher encore quelques heures avant d'apercevoir les premières maisons, mais heureusement, le chemin qui y menait, bien qu'étroit, restait visible. Une fois arrivé, il s'approcha d'un homme pour demander où se trouvait la fileuse d'ortie. On lui indiqua une petite maison de l'autre côté du village. C'était une masure entourait d'une barrière basse. Dans son enceinte, des orties poussées, grandes et nombreuses. Mars enjamba la barrière aisément, traversa les le champ d'ortie et frappa à la porte.

Une jeune fille, cheveux noirs et yeux gris, lui ouvrit :

-C'est occupé.

Mars l'empêcha de lui claquer la porte au nez en la bloquant avec son bras :

-Je viens chercher mon frère.

La fille plissa les yeux avec méfiance :

-Et vous êtes ?

Il montra sa marque en disant :

-Mars, de la fratrie des corbeaux :

-Gretel, de la fratrie de Hansel. Comment ça va ?

-Où est mon frère ?

Elle s'écarta pour le laisser entrer. Dans la seule pièce de la maison se trouvait une cheminée, un petit lit dans un coin, une table, une chaise, des étagères emplis d'ustensiles de cuisine et un vieux balai appuyé contre un des murs. Une femme était occupée à filer des tiges d'ortie. Assis sur le bord de la table, un jeune homme à l'air inquiet tenait un corbeau sur ses genoux. Mars le salua d'un signe de tête avant de se tourner vers la femme :

-Vous êtes la fileuse d'ortie ?

Elle haussa un sourcil :

-De toute évidence.

-Vous arriverez à le retransformer ?

La jeune femme resta concentrer sur son travail et ce fut Gretel qui répondit :

-La dernière fois qu'elle a filé une chemise d'ortie, un mauvais seigneur est mort, donc si on apprend la mort de quelqu'un sous peu, c'est que ça a marché.

Mars la fixa sans comprendre, mais Gretel ne développa pas d'avantage. Alors le jeune homme s'approcha d'Hansel pour prendre le corbeau dans ses bras. Le frère de Gretel se tourna vers sa sœur :

-Ce n'est pas très rassurant, non ? Est-ce que quelqu'un doit vraiment mourir pour que ça marche ?

Gretel ouvrit des yeux ronds :

-Qu'est-ce que tu veux que j'en sache ?

Mars revint à la fileuse :

-Vous ne savez pas si ça va marcher ?

La jeune femme releva la tête pour répliquer :

-Vous ne croyez pas que nous le saurons une fois que j'aurais fini ? Il faudrait peut-être me laisser travailler.

Gretel se pencha vers Mars :

-Elle est de mauvaise humeur… mais je sais pas pourquoi. En même temps, je viens de la rencontrer.

Le jeune homme préféra l'ignorer pour se concentrer sur son frère. Le corbeau dormait mais ne semblait pas blesser.

-C'est quoi votre message ?

Mars était si préoccuper par l'état de son frère que Hansel dut répéter sa question pour attirer son attention. Quand le jeune homme se tourna vers lui, le regard interrogateur, Hansel précisa :

-Vous êtes des messagers, n'est-ce pas ? Toi et tes frères. Alors c'est quoi le message ? C'était pour nous ou il est tombé par erreur ?

Gretel s'était mis à le dévisager, mais Mars réfléchissait. Hansel et Gretel comptaient parmi les héros, donc il pouvait leur transmettre le message, par contre la fileuse, il ignorait tout d'elle. Janvier n'avait pas spécifié si les personnes étrangères aux héros pouvaient être informé. Cela pouvait créer un mouvement de panique. Il observa un temps la jeune fille penchait sur son ouvrage. Elle prenait le temps de faire une nouvelle chemise, il aurait été malvenu de la mettre à l'écart. De plus, Décembre n'aurait sans doute pas la force de continuer à voyager.

-Combien de temps cela va-t-il prendre pour finir la chemise ?

Pour toute réponse, elle lui jeta un regard noir et Gretel se pencha à nouveau vers lui :

-Je pense que ça se compte en jour.

Mars l'ignora et alla s'assoir sur le lit avant de dire la raison de leur venue. Quand il eut fini, il posa son regard sur le frère et la sœur en attendant une réaction. Les deux le fixaient sans rien dire, mais finalement Hansel demanda :

-C'est quoi exactement, ce mal ?

Mars réprima le souvenir de ce qu'il avait vu quelques jours plus tôt et évita de répondre en disant :

-Je dois me rendre au bois brisé sans tarder, il faudrait que Décembre puisse avoir sa chemise. Pourriez-vous le garder et l'emmener là-bas une fois que ce sera fini ? J'irais les prévenir de la situation.

Gretel croisa les bras et le toisa de toute sa hauteur, qui était peu impressionnante même si Mars était assis. Hansel fut celui qui prit la parole :

-Je suppose que c'est très important.

Mars insista :

-Notre monde est en danger, je ne vois pas ce qui peut être plus important.

Les oreilles de Hansel devinrent rouges alors que Gretel s'approchait et se penchait en avant pour se mettre bien en face de Mars :

-Donc, on garde le petit et on le ramène quand la chemise est terminée. Et que ce passera-t-il si vous êtes parti quand on arrive ?

-J'attendrais, quoiqu'il arrive.

-Je suppose que l'on ne peut pas tellement dire non, avec la fin du monde tout ça.

Proche comme elle était, il ne pouvait pas éviter son regard :

-Ce ne sera pas la fin du monde puisqu'on va retrouver les fées et qu'elles vont nous aider.

Gretel ricana avant de se redresser et de jeter un regard à son frère :

-Mouais, les fées. Elles se bougent que quand elles veulent celles-là.

Finalement, elle frappa dans ses mains :

-Bon, je suppose qu'il faut te remettre en route.

Elle récupéra le corbeau pour le rendre à son frère. Mars se leva pour vérifier que le transfert qu'avait effectué Gretel n'avait pas blesser Décembre, mais celui-ci dormait encore. Il caressa la tête minuscule en disant :

-Je repars alors, mais concernant mon frère…

Gretel lui donna un coup d'épaule :

-Fais pas cette tête corbeau trois, je maîtrise la garde de petit frère.

Mars releva la tête pour l'observer et sut qu'il pouvait lui faire confiance. Ce fut malgré tout avec une pointe au cœur qu'il regagna la porte. Il fit un dernier demi-tour avant que la porte se ferme :

-Pour le bois brisé…

Gretel hocha la tête :

-On sait comment y aller. Tout le monde le sait, pas de panique. On se retrouve là-bas.

Mars jeta un dernier regard à son frère par-dessus l'épaule de Gretel avant de hocher la tête et de s'envoler.

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