A C (1)

boul2neige

Elle sent la pluie.

Pauvre ciel, il regarde encore les nuages crever.

C'est juste pour un instant. Elle respire un peu avec ce vent qui s'engouffre dans ses vêtements et joue avec ses formes, la faisant grossir à certains endroits comme un bibendum qui se dégonfle. Elle en sourit.

La vie doit être belle, non? Elle prend juste un instant. 20 ans c'est bizarre. Son parcours dénote si peu de ceux qu'elle connaît. Une école de communication, dont un lointain parent est fondateur, à la suite d’un bac L et d’une tentative d'études de droit comme papa.

Une réussite pas exceptionnelle mais convaincante. Largement.

Elle ne sait pas trop où elle va mais ses diplômes le sauront à sa place. La vie n’a pas le temps de se poser ce genre de question à son âge.

Ce qui compte vraiment c’est où elle sera ce soir. A une énième teuf, du bruit, des gens, de la picole et de la drogue. Des découvertes peut-être, des expériences, sans l’ombre d’un doute.

Elle aime la fête. Elle aime croquer, abuser sans en avoir l’air. Garder un air de retrait. Elle n'a pas peur des gens, elle ne les aime pas, ça c’est une certitude, mais elle sait parfaitement tromper son ennui morbide avec eux. Ils ne sont que des solitudes qui se rencontrent après tout. Elle se joue d'eux, un peu. C'est marrant. Surtout avec les hommes. Elle n’a pas d’amis masculins. Non, c’est faux, mais ils sont homos, une sensibilité à part à ce qu’il parait. Avec les hommes, c'est facile. Ils sont prêt à beaucoup de chose dès qu’on leur témoigne un semblant d’importance. Il suffit de faire un peu mousser leur égo, ils font le reste du travail tout seul. Et, le plus intéressant, il y a souvent quelque chose à en tirer, un peu de blanche, un verre, un stick, une clope ou au pire un sourire qu'on rendra gentiment.

Les transis amoureux restent incontestablement les plus chiants. Pourquoi dégueuler son besoin d’être englué à l’autre alors que les salamaleks ont était faites il y a deux heures ? Les incurables romantiques sont une gageure. Avoir un tel manque affectif au point de s’abrutir le cerveau à se convaincre que le petit cul qui vient de passer il y a vingt minutes est la femme de sa vie, ça lui donne envie de mettre des claques.

la pluie redouble. Elle reste dessous. Les gens courent partout.

Certaines de ses amies sortent avec des hommes mariés. Elle ne pourrait pas. Tromper son mec, sortir avec le gars d'une autre fille passe encore mais jamais les mariés. Elle serait trop dégoutée de l'autre. Quelque chose de cassé, d'indélébile dans ce qui lui reste de ses rêves de princesse déçue.

Elle qui ne veut surtout pas se faire passer la bague au doigt.

Elle en a un rictus trempé.

Elle laisse la pluie dégouliner le long de ses cheveux noirs ondulés jusqu’à son visage. Des éclairs au loin.

Elle a un petit ami. Elle l'aime. Probablement. Cela fait quelques temps qu'elle a arrêté de se poser la question. En plus, il est double. Ils sont deux quoi. Elle trompe le premier depuis deux ans maintenant avec son voisin de palier. Mais quelque part, en assemblant leurs qualités, ils ne doivent former qu'un, l'idéal. C’est ce qu’elle se dit pour éviter le remord. Ça ronge ces saloperies.

Et puis, pour l’adrénaline elle ne connaît rien de tel. Jongler, elle adore ça. De toute façon, ce n’est ni l’heure ni l’endroit de s’embourber dans le pourquoi du comment, elle le vit bien et ça suffira pour aujourd’hui.

Elle s’allume une clope à moitié mouillée. Ça fait un petit crépitement aigu. La flamme lui réchauffe le nez et le début de la joue, juste en dessous des pommettes.

Surtout qu'ils s'entendent bien dans le fond. Bon, le premier n'est pas vraiment au courant ou juste un peu. Tant pis. C'est leurs histoires après tout, qu'ils s'en arrangent entre eux, c'est une affaire d'hommes. Elle gagnera de toute façon et pour la meilleure des raisons: elle n'en a rien à foutre de perdre.

le sourire se fait plus grand.

Elle triture son piercing de petite gothique en mâchant ces idées, les laissant disparaître pour des volutes plus futiles. Sa clope en est à la moitié et le mouillé la fait durer. La pluie fait un peu couler son khôl, tant mieux elle sera encore plus dans la peau de ce personnage qu'elle s'efforce de tenir depuis quelques années.

Elle aime se déguiser. Et puis la mort c'est son truc. Cela l'envahit dès qu’elle est seule et sans substances dans le corps. Elles sont là ses vraies questions. Ses vraies angoisses aussi. Pour la combattre, elle s’enveloppe de noir et de lectures sur les serials killers.

Et puis comme ça on lui fout un peu la paix. Les gens comme elle n’inspire pas la confiance chez le commun des mortels. Tant mieux.

Elle n'est pas la seul comme ça. Elle rejoint souvent les autres, parfois dans les catacombes, parfois dans des bars. Elle ne les aime pas plus que ces potes punks mais la chaleur humaine ça fait passer le temps. Et puis elle a apprit avec eux comment se faire ses propres tatouages. En témoigne son 666 dessiné maladroitement à la plume encrée au creux de son pied. Une autre corde à mettre à son arc. Tatoueuse. Tellement plus de classe qu'attachée de je ne sais pas quoi. "Attachée" quel mot insupportable à 20 ans.

L'instant se fini sous un joli porche haussmannien. La bouche de métro l'appelle.

Voir crever des nuages, c'est pas une vie.

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