A Fleur de Vie
ladyquiet14
Je rentre tard encore une fois ce soir. Je pose mon sac à main sur la table et mon sac de cours sous mon bureau. Qu'il est bon de rentrer chez soi après le travail ! Chez soi, ce petit studio est tout ce que j'ai. Je m'y sens bien. Je mets en route l'ordinateur le temps d'enlever mes chaussures. Mon boulot de serveuse après les cours me donne toujours des ampoules… Mais une fois que je mets les pieds dans mes moelleux chaussons, tous mes soucis s'envolent. Oubliés les cours de la journée avec leurs profs agaçants qui ne corrigent jamais rien, les gens qui râlent parce qu'ils ne sont pas servis assez vite à leur goût. Enfin… Je tape mon mot de passe et vais rapidement à la cuisine, mettant les restes d'hier au micro-onde. Un verre d'eau et hop ! Direction l'ordinateur et une soirée tranquille. Peut-être un film ? Hmm je ne sais pas. Après avoir regardé mes mails et sorti mon assiette bien chaude du micro-onde, j'entends le bip significatif d'un message Skype. C'est Simon, mon meilleur ami. Nous discutons presque tous les soirs, de tout et de rien. Ça allège toujours le poids de mes journées. Je me sens bien avec lui, on peut parler de tout sans problème, il m'écoute toujours, et je l'écoute aussi. Il est aussi de bon conseil. Un véritable ami quoi.
Nous restons à discuter assez tard, quand je pars me doucher. Je le lui dis et lui indique également que je reviens après, n'ayant pas cours le lendemain matin. Je prends mon temps, faisant un gommage avant de me laver puis un soin pour mes cheveux et pour mon corps. Je ne pense à rien de précis, la fatigue me gagne. Mes pensées vont et viennent, mes cours, les clients, mon patron… Quand je suis bien rincée et que j'ai profité encore quelques secondes de l'eau bien chaude, ayant presque vidé le ballon, je coupe l'eau. J'ai entendu un bruit. Surement le fruit de mon imagination, où la maison qui craque. J'ouvre le rideau de douche, le visage encore trempé tant est si bien qu'avec l'eau qui coule de mes cheveux dans mes yeux, je n'ai rien vu. Je n'ai pas vu l'homme qui se tenait là. Et d'un coup cette douleur au ventre, puis une autre, et encore une autre. Prise de panique j'essais de crier mais je n'y arrive plus. J'attrape le rideau de douche pour me retenir, mais je m'écroule, en suffocant. Je vois mon meurtrier prendre la fuite. Je porte mes mains à mon ventre, je suis couverte de sang, j'ai mal, je me sens partir. Je vois trouble… Puis je tombe dans un trou noir.
***
Je me réveille, l'esprit tout embrumé, j'ai l'impression de flotter. J'ouvre les yeux. Je me vois là, allongée par terre, en dessous de moi. Comment ça en dessous de moi ?! Prise de panique, je me tourne face au miroir, aucun reflet, pourtant je regarde bien le miroir. Mais c'est moi par terre ! Je m'approche de mon corps, de moi… Mais qu'est ce qui m'arrive ?! Je ne me rappelle plus, qu'est ce qui s'est passé ? Comment je peux me voir en étant hors de mon corps ? Je regarde mes mains, translucides, pâles. Je regarde à nouveau mon corps. Je suis nue, dans une position surement pas très confortable… Ma tête est penchée par terre, j'ai la moitié du corps qui pend hors du bac de douche et l'autre moitié dedans. Du sang, partout. On se croirait sur la scène d'un crime. Puis je réalise, c'est bien moi par terre ! Mon sang, moi qui suis la victime de ce crime ! Mais comment c'est possible ?! Je suis prise de panique. Je suis morte ? Mais pourquoi je suis dans cet état, pourquoi je ne suis pas en moi ? J'ai peur, envie de vomir, mais je ne sens rien, mon estomac ne se retourne pas comme il le devrait... Il faut que je prévienne quelqu'un. Mais qui ? Je retourne en courant dans la pièce principale, puis je vois mon ordinateur. Simon ! Il n'habite pas très loin, à quelques arrêts de métro. Je décide de sortir. Mon meurtrier a laissé la porte de mon appartement et celle de l'immeuble grandes ouvertes. Je descends sans prendre la peine de les refermer, à toute vitesse. Il est trop tard et le métro ne circule plus, je suis donc la ligne aérienne à pied. Je compte les arrêts, je cours, enfin, je flotte ? Je vais si vite qu'on dirait même que je vole. La panique a fait monter l'adrénaline. En peu de temps je suis devant chez Simon. Il vit encore chez ses parents, il est tard et la nuit est déjà bien avancée. Je frappe doucement à la porte. J'attends 5 minutes. Personne ne m'ouvre, un papier sur la sonnette indique que celle-ci est cassée. Je toque à nouveau, la peur reprenant le dessus. Je me répète comme un mantra « Ouvre Simon, ouvre ! ». Je tambourine à la porte en pleurant, suffocant à moitié. Personne ne vient. Comme si on ne m'entendait pas. Je me résigne, on ne m'aidera pas. Les larmes coulent sur mes joues, je pose le front contre la porte. Je me sens seule, j'ai peur, je ne comprends rien. Puis je me sens tomber en avant. Je m'écroule par terre, me rattrapant de justesse sur les mains. On m'a ouvert ! Je relève la tête, personne dans le couloir, je me retourne vers la porte, elle n'a pas bougé. Comment c'est possible ça ? Je dois devenir folle. Je rêve ? J'ai du mal à y croire. Qu'importe, je me poserai les questions plus tard, maintenant que je suis entrée, Dieu seul sait comment, il faut que je trouve Simon. Je monte sur la pointe des pieds les escaliers, pour ne déranger personne, d'autant plus que personne n'est au courant de ma présence…
J'arrive en haut, sa porte est ouverte, c'est la première sur la droite. Il est là, les cheveux en batailles, assis sur sa chaise de bureau, les yeux rivés sur son ordinateur. Je m'avance et l'appelle. Il ne me répond pas. « Simon ! » Je m'écrie. Toujours rien. Je m'approche, le regarde, il ne me voit pas. Sur son écran, je vois notre conversation. Il m'a envoyé un message demandant si j'allais bien. Ah ça non, je ne vais pas bien ! J'essaie de poser mes mains sur lui, mais je passe à travers son épaule. Un frisson me parcours l'échine quand je le remarque. Quelle horrible sensation. Il faut que je trouve un moyen de lui parler, de lui dire que ça ne va pas. Je le regarde, il fixe toujours son écran. C'est ça ! Il faut que je lui envoie un message, il attend ma réponse. Il faudrait quelque chose de cours. « En danger, police » Ça serait parfait ! Mais en étant ici, comme vais-je faire ? Je regarde l'écran, à nouveau impuissante, la peur me ronge, mes larmes coulent encore… Je me retourne face à Simon et l'appelle en hurlant de toutes mes forces. Il se retourne vers moi, alors je souris, enfin ! Puis il tourne la tête vers la porte. Il hausse les épaules et se tourne à nouveau vers son ordinateur. Non ! J'y étais ! J'avais réussi. Il faut que je me concentre. Sur l'ordinateur. Je force tellement que j'en ai mal au crane. Puis d'un coup, j'entends le bip caractéristique de la réception d'un message sur Skype. Ça a marché ! Mais je suis épuisée, la tête me tourne. Je regarde l'ordinateur en même temps que Simon, il lit à voix haute « En danger, police ». Je crois que je vais m'évanouir, mais il ne faut pas. Je vois Simon qui s'affole. Il se lève, passe rapidement un jean et un t-shirt. Attrape son téléphone et les clefs de sa voiture. Il dévale les escaliers. Je le suis aussi vite que je le peux avec ma tête qui tourne. Je tombe dans les escaliers mais arrive à leurs pieds en même temps que lui. Il a noté le numéro de la police, le téléphone sonne. Il ouvre la porte de la maison et je sors avec lui, in extremis avant qu'il ne la referme. Je monte en voiture, passant à travers la porte côté passager. Brrr c'est froid le métal. Je me rends compte que j'ai fait ça tout à fait normalement. Incroyable. Puis j'entends la voix de Simon, il démarre la voiture et quand la police décroche, il dit :
« Une amie vient de m'envoyer un message, elle est chez elle et elle est en danger, elle ne m'a rien dit de plus. » J'entends la réponse « Monsieur calmez-vous, donnez nous l'adresse que je dépêche une patrouille.
- C'est au 52, rue de la forge.
- Bien, j'envoie quatre hommes. Ne tentez pas d'intervenir seul.
- D'accord, je m'y rends aussi vite que je peux. »
Et en disant cela, il démarre en trombe, j'ai un mal de chien à rester droite sur le siège. Nous arrivons en même temps que la voiture de police devant mon immeuble. Simon se rue hors de la voiture, et je le suis, ayant besoin pour cela de passer à nouveau à travers la portière. Se dirigeant vers les policiers, il leur dit « C'est au 5ème étage ». L'officier donne ses ordres « Jimmy, tu couvres la porte de l'ascenseur, Ben et Eric, avec moi, on passe par les escalier. Monsieur veuillez nous suivre mais n'intervenez pas, restez en retrait. Allons-y ! »
Ils avancent et je les suis, le dénommé Jimmy se poste devant l'ascenseur de mon immeuble, il est grand, tout habillé de noir. Il tient de ses deux mains un pistolet. Je me rapproche de Simon par peur. Mais il ne me sens pas. Simon indique la cage d'escalier à droite, nous montons. Les policiers ouvrant les portes de chaque étage pour vérifier qu'il n'y a personne. On se croirait dans un film, je surprends Simon à penser ça. Ou c'était moi ? Qu'importe, tout ce qui se passe va trop vite. Nous arrivons au 5ème étage, dans le couloir. Mon appartement est facile à repérer, la porte est grande ouverte, de la lumière est visible. Je vois Simon blanchir. « C'est là » fait-il en murmurant et en pointant la porte ouverte. Il tremble légèrement. Les policiers passent. Se postent de chaque côté de la porte. D'un signe de tête l'un d'entre eux entre, l'arme au poing. Il observe mon petit appartement, tout semble en ordre, seul ma commode est renversée. Même mon ordinateur est encore là. Ils avancent. Il y a une autre porte dans l'appartement, celle qui mène à la salle de bain. Elle est également ouverte. Les policiers s'avancent lentement. Simon est entré dans l'appartement. Je le suis de près. J'ai tout aussi peur que lui. L'un des policiers, le chef, entre dans la salle de bain. « Eh merde ! » Dit-il. Simon s'élance alors, bousculant un des policiers, entre dans la salle de bain et s'arrête net. Ses yeux fixent le corps nu, sans vie par terre. Elle est pleine de sang, le corps mis étrangement, dans une position très inconfortable, avec une dizaine de plaies rouges dans le ventre. Il se retourne vivement et vomis. Puis s'éloigne de la porte de la salle de bain et tombe par terre, je le vois de loin prendre sa tête dans ses mains et pleurer sans bruit. Je regarde à nouveau le corps, mon corps. Bon cette fois, je crois qu'il n'y a pas de doute… Je suis… Morte ? Et pourtant je suis là, enfin, je crois. Mais, bon Dieu, comment c'est possible ?! L'un des policiers s'avance vers Simon pour essayer de le réconforter avant de lui poser quelques questions sur moi, sur mon dernier message, il aura besoin d'une déposition. L'autre rejoins son chef et donne l'ordre à celui d'en bas, Jimmy, de monter. Le chef se penche vers moi, pose deux doigts contre ma gorge. Ses yeux s'écarquillent. « Vivante ! Je sens son pouls ! Il est faible. Vite, une ambulance ! ». Dès ce moment je ne sais plus trop ce qui se passe, je suis perdue dans mes pensées. L'ambulance vient, on met le corps sur une civière, Simon la suit, je le suis sans m'en rendre compte. Ils appuient des compresses sur le corps, mettent une poche pour me faire respirer. Puis on monte dans l'ambulance et nous voilà à l'hôpital. Simon assis sur une chaise, dans la salle d'attente en bas. Mon corps, ils l'ont emmené, pour le recoudre surement, le nettoyer et tenter de me garder en vie. Je n'ai aucune envie de voir ça. Je m'assois à côté de Simon. Il a les yeux rouges et gonflés, il est tard et il a maintenant des poches sous les yeux. On l'appelle, mes forces m'abandonnent. On lui dit qu'il peut aller dans ma chambre, couloir B aile Ouest, 3ème étage, chambre 312. On monte, je me sens lourde. On y arrive, je suis allongée dans la chambre blanche, stérile. Je suis pâle, immobile, dans la robe de chambre de l'hôpital. Simon et moi entrons sans un bruit, le silence est seulement brisé par le bip de la machine reliée à mon cœur. Simon prend une chaise, l'approche de mon lit, il remonte les draps sur moi, pour que je n'aie pas froid. Il s'assoit et me tient la main. Je m'allonge alors au bout du lit, ne voulant pas toucher mon corps en vie. Je suis un esprit hors de son enveloppe corporelle ? Je m'endors, la tête pleine de question, avec le bip de la machine et les sanglots de Simon.
***
A mon réveil, je me sens pleine d'énergie, j'ouvre les yeux mais ne reconnais pas l'endroit. Je m'assois sur le lit. On dirait une chambre d'hôpital. Je regarde qui est avec moi sur le lit et… c'est moi ! Je sens la panique monter à nouveau et les souvenirs de la veille me reviennent en mémoire. Calme-toi, me dis-je intérieurement. Je vais trouver une solution. Tenant toujours ma main, Simon est endormi sur la chaise. Il a l'air paisible, mais il a des cernes sous les yeux, comme s'il avait veillé une bonne partie de la nuit. Il faut que j'arrive à entrer en contact avec lui. Je l'appelle, à voix haute, puis avec mon esprit. Comme si cela pouvait fonctionner, me raillais-je. Mais il ne bouge pas. Je descends alors du lit, pose ma main sur son épaule, je la traverse. Une sensation de froid dans la main, je la retire vivement. C'est vraiment désagréable. Il faut que je me concentre. Je me force à poser ma main sur son épaule, mais sans appuyer de trop, puis je m'imagine serrant son épaule, me concentrant de toutes mes forces. Puis j'essaie à nouveau, je ne passe plus à travers ! J'essaie de le secouer un peu. Il cligne des yeux et se redresse, secouant la tête, cherchant à se remémorer ce qu'il s'est passé hier. Puis il voit mon corps sur le lit d'hôpital, relié à toutes ces machines… Il souffle, prend sa tête dans ses mains. J'essaie à nouveau de poser la mienne sur son épaule, lui dire que je suis là, que je vais bien, mais je passe à nouveau au travers. J'ai perdu ma concentration. Sa détresse me touche. Je me sens déjà fatiguée… Il est difficile pour moi d'entrer en contact avec lui, comme si ça me coutait énormément en énergie. J'attends donc, mes yeux à moitié fermés. Simon regarde l'heure, il est en retard pour le début des cours. Il va se chercher un café et revient à mon chevet. Il appelle l'intendance de la faculté pour justifier son absence et dit qu'il reviendra demain suivre ses cours. J'entends la secrétaire lui répondre qu'il n'y a pas de problème et qu'elle me souhaite un bon rétablissement. Il pense à ce moment à appeler la faculté dans laquelle je suis et le restaurant dans lequel je travaille, ils sont très surpris et souhaitent bon courage à Simon. Ce dernier après avoir raccroché, se rapproche à nouveau de moi. J'ai la tête posée de côté sur l'oreiller et une de mes mèches brunes me tombe dans les yeux. D'un geste sûr, il la replace derrière mon oreille, son geste pourrait presque être qualifié de doux. Sa main s'attarde sur ma joue qu'il caresse de son pouce.
« Il faut que je rentre, me dit-il, mes parents doivent s'inquiéter, je vais les rassurer, me laver et je reviens c'est promis. Accroche-toi s'il te plait… »
Il dépose un baiser sur ma joue puis s'en va. Je suis abasourdie, étonnée par sa douceur. Je ne le suis pas cette fois, restant près de moi… Il faudrait que j'essaie d'entrer dans mon corps. Rien que l'idée me paraît absurde… Je ris toute seule. C'est aussi absurde que la situation : moi à l'extérieur de mon corps, pensant et ressentant les choses, entendant si je me concentre les pensées des gens, et le clou de l'histoire : me regardant allongée sur un lit d'hôpital. Hilarant… Je m'approche de mon corps, m'asseyant sur la chaise que Simon avait approché du lit. J'essaie de prendre ma main. Je n'y arrive pas, alors je me dis qu'en m'allongeant au même endroit que mon corps, dans la même position, peut-être que j'y rentrerai en me concentrant ? Ça me paraît impossible, mais autant essayer, je n'ai rien perdre et apparemment, rien d'autre à faire… Je m'allonge donc, sur moi, dans moi. La sensation de froid est gênante. Je place ma tête dans ma tête, les bras et jambes dans la même position que mon corps. Puis je me concentre, fort. J'essaie de m'imaginer dans mon corps. Rien à faire, je n'y arrive pas. Je continue, ne voulant pas arrêter. Je me concentre tellement que j'en ai mal partout, surtout au crâne. Le froid est glacial, la sensation que quelque chose m'étouffe, m'écrase, quelque chose de gelé, comme un poids. Je finis par me relever, avec difficulté. Je m'assois au pied du lit, la tête lourde. Tout se met à tourner autour de moi, je perds connaissance.
***
Quand je me réveille à nouveau, je vois par la fenêtre que le ciel est zébré d'orange et de rose. Le soleil se couche. Je me relève, Simon est de retour à mon chevet, depuis je ne sais combien de temps. J'ai dû perdre connaissance assez longtemps. Chaque effort de concentration me vide complètement de toute mon énergie. Il va falloir que je fasse attention. Simon me parle, m'explique ce qui s'est passé hier, me dit qu'il sera là autant qu'il le pourra. Par moment je le vois essuyer ses yeux d'un revers rageur de la main. Il est en colère, je le sens jusqu'ici. Comme s'il émettait des vibrations négatives et que je savais les percevoir. J'entends dans ses pensées qu'il veut retrouver mon agresseur, qu'il serait capable de le tuer à mains nues s'il l'avait là devant lui. Il s'en veut aussi, de ne pas avoir été là pour me protéger. Mais comment aurait-il pu ? Un médecin arrive, regarde les appareils, relève des chiffres qui ne signifient rien pour moi. Simon lui demande :
« Est-ce qu'elle va se réveiller ?
- Dans l'état actuel des choses, je ne peux pas vous le dire. Ses plaies ne saignent plus, les points de sutures sont beaux. Son état est stationnaire, mais nous ne savons pas ce
qu'elle a.
- Comment ça ?
- Nous pensions qu'elle allait se réveiller. Mais ce n'est pas le cas, et elle n'est pas dans un coma… Nous n'avons aucune idée de la raison pour laquelle elle est dans cet état. Tout ce que nous pouvons faire c'est attendre et vérifier que son état reste stable et que ses plaies cicatrisent correctement. Je suis désolé. »
Le médecin ponctue sa phrase en posant la main sur l'épaule de Simon avant de s'en aller. Ce dernier a l'air abattu. Ils ne savent pas ce que j'ai, je réalise. Je ne le sais pas non plus, tout ce que je sais c'est que ce n'est pas normal. Je ne peux rien pour Simon… Je ne sais pas comment soulager sa peine. J'aimerais le prendre dans mes bras mais j'en suis incapable. Je me contente de rester là, debout au bout du lit, les bras ballant, regardant la scène qui se déroule sous mes yeux et dont je ne peux rien changer, dont je ne peux qu'être spectatrice…
Simon est parti, je ne l'ai pas suivi. Je reste là, les yeux dans le vide, la tête vide de pensée. Je sortirai demain, mais être loin de mon corps me paraît étrange. Mais si je ne bouge pas, je ne pourrai surement pas trouver de solution. Et si je ne suis pas près de Simon, je ne risque pas d'entrer en contact avec lui. Est-ce que je pourrais contacter quelqu'un d'autre ? Non, je n'ai personne, plus de famille, et pas d'autre ami dont je serais assez proche. Ni aucun d'ailleurs qui voudrait bien me croire. J'ai déjà des doutes avec Simon… Mais il a l'esprit ouvert, et si j'arrive à le lui faire comprendre, il me croira.
***
J'avance, le pas trainant, dans le petit chemin qui mène à l'université. Simon est devant moi, il traine les pieds. Son dos est vouté, ses yeux sont, je le devine, perdus dans le vide. Ca fait maintenant une semaine. Mon état est stationnaire, comment aurait-il pu changer ? Puisque je suis là… et à l'hôpital à la fois… Je suis Simon en cours, essayant toujours de lui montrer que je suis là, que j'ai besoin de lui, qu'il doit m'aider… Mais je n'y arrive pas, je sens mes forces m'abandonner chaque fois que j'essaie. Parfois je tombe dans un trou noir pour ne me réveiller que des heures après. Parfois, lorsque je ne suis pas Simon, j'erre dehors, dans les rues, en quête de réponse. Je suis perdue dans mes pensées et le temps passe sans que je le voie filer. J'ai enfin croisé quelques personnes comme moi, mais quand je les appelle ou quand je vais vers elles, elles partent ou ne me répondent pas, l'air totalement hagard. Il faut que je continue, je ne peux abandonner, mais je me sens si seule. Je retourne à mon appartement, Simon l'a nettoyé entièrement. Il me l'a dit, enfin… à mon corps… Il faut que je trouve le moyen de lui parler… De communiquer.
Chaque jour, je m'entraine. J'ai décidé que bouger les objets serait la meilleure façon de montrer que je suis là. Du coup, chaque jour depuis deux semaines, je m'entraine avec de petits objets, je tente de les soulever. Je m'améliore mais je m'épuise rapidement… J'ai fourni une fois trop d'effort et je suis retourné dans ce puits noir, où il n'y a rien, je ne vois rien ni ne ressens rien. Le temps n'a plus d'emprise. Et quand je me suis réveillée, cette fois-là, au lieu de quelques heures, c'était une journée complète qui était passée. Je retourne souvent à l'hôpital. Simon vient tous les soirs mais ne reste pas toutes les nuits.
Puis un mois est passé, mon entrainement a payé. Ce soir, je vais essayer d'entrer en contact avec Simon. Il le faut. Je suis assise sur le lit, je l'attends. Je n'aurai peut-être pas longtemps pour lui montrer, je ne tiens pas encore une minute complète. Mais je peux soulever quelque chose. Je cherche ce qui est le plus adapté : près du lit, sur la tablette où les infirmières notes des indications, un stylo. Ce sera parfait. J'attends Simon encore une heure, puis il entre. J'entends ses pensées, sa tristesse à me voir allongée. Il se dit que je suis de plus en plus pâle, que j'ai maigri. Je n'étais déjà pas bien ronde. Avec tout ça, je n'avais pas remarqué les changements de mon corps, je me regarde donc. Mes cheveux sont sales, ma peau est devenue toute blanche. Autour de mes yeux, mon visage est creusé, ma peau presque grise… Je n'ai au niveau des mains plus que de la peau sur les os. Mes veines ressortent, comme les autoroutes d'une carte routière sur mes bras… Je détourne la tête de cette vision cauchemardesque. Je ne me regarde jamais, c'est tellement étrange. Mais les pensées de Simon m'y ont forcé… Simon ! Il faut que je lui montre que je suis là. Il est assis à côté de moi, prend ma main dans la sienne, ses yeux montrent qu'il est ailleurs. Jamais je n'aurais pensé que ça l'aurait affecté à ce point. Son pouce caresse doucement le dessus de ma main, comme machinalement, un geste qu'il a répété mainte et mainte fois depuis maintenant presque un mois. C'est le moment, il faut que j'attire son attention. Je descends promptement du lit, le contourne. J'attrape le stylo, je passe une première fois à travers. Puis le me concentre. Toujours pas… Je tente de faire le vide en moi. Puis Simon bouge, il se lève. Non ! Il ne faut pas qu'il parte. Il se dirige vers la porte… Là j'arrive à attraper le stylo que je jette de toutes mes forces vers la porte. Il claque, rebondit et tombe au pied de Simon qui fait un bond en arrière. Il se retourne vivement, regardant mon corps. L'incompréhension se lit dans ses yeux. Il se penche, ramasse le stylo, le regarde. Il cligne trois fois des yeux puis passe son autre main sur sa figure. « Je rêve, dit-il tout haut ». Ah ça certainement pas ! Je cours à travers la pièce et essais de lui reprendre le stylo mais n'y arrive pas. Je suis donne alors une petite tape sur la main. Je ne passe pas à travers ! Il l'a sentie ! Je saute de joie d'avoir réussi à faire ça, en face de moi Simon à l'air ahuri, puis son expression change, il est horrifié ! Il lâche le stylo et dit tout haut « je deviens fou ». Puis il ouvre la porte à la volée et sort en courant. Je suis là, effarée, je tombe à genoux. Avec Simon qui s'enfuit, tous mes espoirs s'effondrent. Les larmes coulent toutes seules. S'il ne me croit pas… Alors je suis perdue, à jamais.
***
Une semaine a passé depuis l'incident avec le stylo. Je ne perds pas espoir, je ne veux pas perdre espoir. Je trouverai le moyen. Je continue de m'entrainer. J'ai une autre idée. Je suis Simon chez lui, il est sur l'ordinateur. Il ouvre son Skype et notre fenêtre où tout est blanc désormais. Il soupire, se lève chercher quelque chose. Je me précipite sur l'ordinateur, me concentre. J'appuie sur les touches puis sur « entrer ». Ça y est, je l'ai fait ! J'ai réussi ! Simon revient à son ordinateur, posant son verre d'eau sur la table. Je suis derrière lui, avec un grand sourire, je pose mes mains sur ses épaules mais il ne le sent pas. Ses yeux se posent sur notre conversation. Je sens qu'il retient sa respiration. Ses pensées se bousculent « Comment est-ce possible ? Je n'ai rien tapé ! ». Il se déconnecte, puis se reconnecte, le message est bien là. Il n'en croit pas ses yeux. Je me penche à son oreille et lui dit « Je suis là Simon, c'est Zoé ». Il sursaute de plus belle puis se retourne rapidement. « Je deviens fou dit-il, c'est impossible ». Il est temps pour moi de le laisser réfléchir. Je pars, décidant de revenir le lendemain.
Au soir, après les cours, Simon est posté sur l'ordinateur, tout à ses recherches : Coma et esprit, médium, entre la vie et la mort. Il se croit fou de rechercher ça. Il trouve le numéro d'une médium habitant dans un village à quelques kilomètres de la ville. Il écrit ses coordonnées sur un papier. Puis il le regarde, se demandant ce qu'il fait, ce qu'il doit faire… Ça serait parfait, me dis-je ! Il pourrait enfin me voir, si cette personne n'est pas un charlatan. Il se dit qu'il va y réfléchir, j'ai enfin l'impression d'avancer, il va pouvoir m'aider. Et pour qu'il se décide, je vais devoir mettre les bouchers doubles : me débrouiller pour lui montrer ma présence plus fréquemment encore.
Dans les jours qui ont suivi, j'ai déplacé des objets lui appartenant, son stylo en cours, tourné une page de son cahier, déplacé un verre… Autant de petites choses qui lui ont prouvé que c'était bien réel, qu'il n'est pas fou, même s'il continu de se le dire... Puis cinq jours après mon message, il s'est décidé. Nous sommes samedi, il part après manger, prend sa voiture et le papier avec l'adresse. Je m'assois sur le siège passager. Je me sens heureuse, heureuse qu'il m'ait comprise, qu'il croit, il va enfin m'aider et je pourrais surement retrouver mon corps ! Revivre enfin, ne plus être seule ! Nous voilà partis, les immeubles défilent, puis le périphérique et nous voilà entourés de champs. On passe par une forêt, nous suivons la route principale, le GPS nous indique de tourner. Mais aucun chemin n'est visible. Simon s'arrête, interpelé, la route est très peu fréquentée. Il regarde sur la droite, direction indiquée par le GPS. Des arbres, mais en fonction de la manière on regarde, on voit un passage, un peu caché. Simon s'y engouffre, méfiant. Il roule lentement, une fois que nous avons passé les premiers arbres, dans le rétroviseur, la route est invisible, et devant nous, un chemin presque accueillant nous invite à poursuivre. « Dans quel pétrin je me suis encore fourré, dit tout haut Simon, il n'est plus temps de faire marche arrière… ». Il se donne du courage et redémarre. La femme n'habite pas comme indiqué dans un petit village, c'est étonnant que nous ayons pu venir ici avec le GPS. Nous arrivons dans une clairière nimbée de lumière. Au centre, une petite maison sobre, une chaumière de bois. Simon s'arrête. Il regarde les fleurs, tout semble accueillant et en contraste avec le passage caché de l'entrée. J'ai un peu peur, je suis anxieuse en fait, j'espère que la personne est réellement compétente et qu'elle saura m'aider. Simon sort de la voiture, je le suis mais reste en retrait. Il n'a pas conscience que je suis là. Quand on arrive devant la porte, au moment où il va toquer, la porte s'ouvre, personne n'est derrière. Simon l'ouvre un peu plus « Il a quelqu'un ? ». Il s'avance doucement. La pièce est sombre, éclairée seulement par des bougies accrochées au mur. Elle est fortement encombrée de bocaux, d'objets de toutes sortes, tellement qu'on ne peut pas poser les yeux sans être attiré par un autre objet ailleurs. Simon s'avance, pas à pas au fond du couloir, il pousse un rideau qui fait office de porte. Là, une femme est assise à droite, devant une table surmontée d'une nappe violette. Elle est typée hispanique, un châle entoure ses épaules. Des objets, des miroirs, bijoux et boites en tout genre sont disposés un peu partout dans la pièce. Seule la table est épurée avec uniquement une bougie blanche posée sur la gauche. Dans ses mains, la médium tient un collier avec des breloques attachées représentant une sphère, une croix, un corbeau, un triangle et une flamme. Sacré mélange. Elle regarde Simon s'avancer et lui propose de s'assoir. Puis elle pose son regard sur moi, me faisant un sourire. Elle regarde à nouveau Simon. « Je crois savoir pourquoi vous êtes venus tous les deux. »
Simon regarde dans ma direction, les yeux écarquillés.
« Quel est ton nom ?
- Simon
- Eh bien, Simon, une étrange jeune femme te suis et est avec nous, elle n'a pas l'air maléfique rassure toi. Et ce qui est étrange est ce qu'elle est. Je n'ai jamais vu d'esprit comme elle… Toutefois, ma grand-mère m'en a déjà parlé. Elle est entre deux mondes, un pied ici, un pied dans l'au-delà. Dites-moi Simon, quelqu'un de votre entourage est-il dans un genre de coma ?
- Oui… Répondit-il d'une voix tremblante. On dirait en effet qu'elle est dans le coma, mais les médecins ne savent pas ce qu'elle a exactement… Et depuis, des choses étranges se passent. »
Je souris et m'approche, posant ma main sur son épaule. Il la sent cette fois, dans cet endroit, il est plus simple de se concentrer.
« Elle pose la main sur mon épaule n'est-ce pas ? Demande-t-il à la médium.
- En effet, l'énergie se canalise mieux ici. Comment t'appelles-tu ? Son regard se pose sur moi.
- Zoé. Je suis coincée, je n'arrive pas à retourner dans mon corps… Je ne sais pas ce qui m'arrive. Vous pouvez m'aider ?
- Je ne sais pas, il faut que je découvre qui vous a mis dans cet état-là et comment. Dans l'état des choses, je ne peux rien pour vous. Je peux peut-être faire quelque chose pour vous aider dans vos recherches.
- Merci, dis-je. »
Elle se lève et va chercher des bougies qu'elle dispose sur la table. Pendant ce temps, Simon est estomaqué.
« Zoé est là ?! Mais comment est-ce possible ? Zoé tu m'entends ? Je me croyais fou c'était toi ? »
La médium le laisse parler et se rendre compte de ce qui se passe, il faut qu'il prenne conscience de la réalité, moi après tout ce temps, j'ai fini par l'accepter. Simon doit s'habituer à l'idée que je suis ici, et mon corps à l'hôpital, les deux à la fois. Pendant ce temps, après avoir allumé les bougies, une jaune, une bleu, une rouge, une verte et une violette, la médium nous révèle que sa grand-mère était une chamane et qu'elle lui a enseigné les rudiments du chamanisme. Elle va chercher un bol de granit ainsi qu'un pilon, quelques herbes que je ne reconnais pas, des graines qui me sont également inconnues. Elle les broie en ajoutant ce qui ressemble à des huiles essentielles. Puis elle demande à Simon de se taire, elle me permettra de lui dire quelques mots après, le temps presse, il y a trop longtemps que je suis hors de mon corps, et le lien peut se rompre si le temps est trop long, nous apprend-elle. Elle enflamme une allumette et met le feu au bol de granit en chantant des incantations dans une langue inconnue. La fumée s'élève dans les airs et prend différentes forme, la silhouette d'un homme apparait, puis la mienne, un couteau, moi par terre… Puis tout se dissipe. La fumée disparait, le feu s'éteint, les bougies sont soufflées. Simon reste sans voix, la médium a les yeux dans le vague. Moi je ne sais quoi penser, une fois de plus j'ai vu mon cadavre sur le sol de mes propres yeux… Et ça n'est toujours pas agréable… Pas plus que dans mes souvenirs. Ça m'a à nouveau perturbé, j'ai revu le sang, mon corps tout pâle, comme sans vie, mais qui respire on ne sait comment. Des images me reviennent, les larmes de Simon… Sa colère aussi. Je la sens actuellement, pour l'homme qui m'a fait ça.
« Avez-vous pu voir son visage ? Demanda-t-il à la médium.
- Non. Il vous faudra pourtant le retrouver car il est la clef…
- La clef de quoi ? Dis-je en même temps que Simon, même si je suis toujours inaudible pour lui.
- Le poignard… Un mauvais sort… Je dois voir le corps »
Sur ceux, sans qu'on puisse l'interroger, elle est partie chercher un autre châle et est sortie de la maison. « Alors vous venez ? Crie-t-elle depuis la porte d'entrée. Simon regarde dans la pièce à ma recherche puis s'avance en me disant « suis-moi ». Ces deux mots me réconfortent, et c'est comme si je me sentais revivre, le vide, la solitude viennent de s'effacer. Je retrouve enfin le sourire et le suit presque avec joie avant de me souvenir que nous retournons voir mon corps… Et j'ai très peur de ce que pourrait nous apprendre la médium… Et s'il m'était impossible de vivre à nouveau parmi les vivants ? Je ne veux pas y penser. La médium verrouille derrière nous, attendant que je sois passée, ce dont je la remercie, je n'apprécie toujours pas de passer à travers les objets… Même s'il m'est plus facile de le faire. Nous nous installons dans la voiture de Simon qui prend le volant et nous amène à l'hôpital. La médium a passé autour de son cou une amulette en pierre bleue et a serré dans ses mains le collier à breloques tout au long du trajet. En arrivant dans la chambre, Simon laisse passer la médium, puis attends en me disant « après-toi » comme si j'étais là. On saisit tous deux le comique de la situation et on rit, d'un rire plutôt nerveux je dois dire. Même s'il ne m'entend pas, je sais qu'il l'a deviné, que mon rire s'est joint au sien comme il l'a toujours fait. Il ferme la porte. Nous nous tournons vers la médium qui elle a le visage sévère. Elle est penchée sur mon corps. Elle l'observe en marmonnant des paroles inaudibles, serrant de plus belle le collier à breloque et attrapant de sa main gauche son amulette toujours pendue à son cou. Puis elle me regarde et se tourne à nouveau vers on corps. Elle ferme les yeux. Je sens que ça n'est pas de bon augure, je me rapproche de Simon et lui prend la main. Il l'a senti et exerce une pression quelques instants jusqu'à ce que je passe à nouveau à travers. Je dois rester concentrée, mais dans l'instant présent, c'est la peur qui me tient, la peur de savoir pourquoi je suis dans cet état. Je suis curieuse aussi, je veux savoir pour pouvoir y remédier… Je suis pleine de contradiction, tout comme ce que je suis actuellement : une contradiction de la vie et de la mort. Ni l'un, ni l'autre, je suis entre les deux.
« Un fil te relie à ton corps, murmure la médium. Mais ce lien semble s'amenuiser… Il va falloir faire vite.
- Vous savez pourquoi je suis comme ça alors ? Je lui demande.
- Oui mon enfant… Celui qui t'a poignardé... Le poignard était porteur d'un sort… Quelqu'un a jeté un sort sur ce poignard mais il y a fort à parier que ce n'est pas celui qui t'a mise dans cet état, il n'y aurait aucune raison, il l'a sans doute volé. Il nous faut retrouver ton agresseur, récupérer le poignard, et une fois cela fait, je pourrai peut-être remonter au jeteur de sort. Lui seul peut défaire ce qui a été fait.
- Comment procède-t-on ? Demande Simon.
- La police, je dis, répétée par la médium pour que Simon puisse connaitre mon avis.
- Allez chercher le poignard, une fois en votre possession, revenez me voir, à ce moment-là seulement je pourrai vous aider. Il vous faudra coopérer. Simon, tu dois être attentif aux signes. Et toi, Zoé, tu dois te concentrer, toute ton énergie, mais attention, l'ombre qui tombe et t'emporte est grandissante, si tu plonges en t'épuisant trop… Tu risques de ne pas revenir. »
Sur ce, elle passe autour de mon cou l'amulette, marmonnant quelques mots à mon oreille mais qui me sont inaudibles, puis elle sort de la chambre. Simon veut la rattraper pour lui poser d'autres questions, mais elle a disparu, il regarde à droite et à gauche dans le couloir, mais il n'y a plus personne. Ça fait froid dans le dos !
« Bon, ça va être compliqué pour communiquer… Est-ce que tu saurais utiliser mon téléphone pour écrire ? » Il le sort de sa poche, l'allume et met directement l'écran sur les messages. J'inscris lentement : O-U-I.
« Super ! Crie Simon. Mais il faut que je l'ai toujours allumé et préparé sur les messages… Autrement, tu peux déplacer des objets, et en fonction de ce que tu veux dire, les bouger de manière différente, je ne sais pas… Changer la vitesse, faire des mouvements significatifs ? »
Je peux le faire ça ! Je lui montre en bougeant le stylo toujours posé sur la table de chevet, je le lève puis l'abaisse pour signifier « oui ». Je vois le sourire de Simon qui s'agrandit. Il est heureux de me retrouver, pas besoin d'écouter ses pensées, je le vois. J'ai toujours su voir ce qu'il pensait, ce qu'il ressentait. Nous devons y aller maintenant, je n'ai pas beaucoup de temps m'a dit la médium. Je repose le stylo et vais écrire « Police » sur le téléphone de Simon qui rit en me voyant écrire. Ça lui paraît toujours tellement fou cette histoire, mais cette fois, il y croit et c'est tout ce qui importe pour moi. Et l'impression de retrouver mon ami, le seul. « Allons-y dit-il, après toi ». Je ris et vois son sourire. C'est presque comme avant. Nous retournons en voiture, il passe par chez lui prendre quelques affaires, me demandant de rester dans la voiture, avant de nous conduire enfin au commissariat.
Le trajet est court et nous parvenons rapidement devant le policier qui enquête sur mon affaire. Je m'en remets à Simon pour l'entretien, je ne peux rien faire de toute manière, à part peut-être fouiller dans les tiroirs…
« Bonjour, j'aimerais savoir où en est l'affaire de l'agression de Zoé Cardignan. C'est moi qui avais contacté la police…
- En effet, je me rappelle… »
Pendant que les deux hommes discutent, je décide de regarder dans le tiroir du caisson de bureau. Ne pouvant pas l'ouvrir, je décide de passer la tête à travers pour regarder ce qu'il contient. BINGO ! Dans un sachet plastique du genre « pièce à conviction » des enquêtes policières que l'on peut voir à la télévision, se trouve le poignard en question. Mon agresseur a eu la bonne idée de le planter entre deux côtes où il était resté coincé… Brrr ! Cette pensée me fait froid dans le dos. Bon ! Il faut maintenant que je prévienne Simon. Celui-ci a posé son portable sur la table, ouvert à la partie message, ce qui ne gêne apparemment pas le policier qui ne l'a absolument pas remarqué. Pas très fin celui-là… Tout est à parier que le tiroir n'est pas fermé à clef. Enfin, je l'espère. Je me concentre et écris sur le portable de Simon « Tiroir Bureau ». Simon qui jette de temps en temps des coups d'œil à son téléphone acquiesce, je sais que c'est pour moi, même si le policier pense que c'est en rapport avec leur conversation. A la fin de la phrase du policier, Simon demande :
« Excusez-moi, cette histoire me chamboule… Pourriez-vous m'apporter un verre d'eau ? Je ne me sens pas trop bien… Il fait la grimace.
- Bien sûr, ne bougez surtout pas, je reviens ».
Le bureau ne comporte pas de vitre, aussitôt le policier reparti, Simon se dépêche d'aller voir le tiroir du caisson, il n'est pas bloqué ! Il prend le poignard, le remplaçant par un autre, pas identique, mais cela permettra que nous ayons plus de temps avant que les policiers ne découvrent la supercherie. Simon enveloppe prestement l'arme ayant causé mon état dans un linge blanc donné par la médium puis le place dans son sac. Il retourne s'assoir in extremis quand le policier revient.
Après avoir bu son verre, Simon prétexte qu'il ne se sent plus assez bien pour la conversation. Le policier lui dit qu'il comprend, qu'il est désolé et qu'ils feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour retrouver mon agresseur.
Une fois dans la voiture, Simon démarre et sur la route me crie « On a réussi ! ». Il a du mal à y croire, mais ça y est. Il est heureux à cet instant, comme si tout était normal, comme si on venait de faire un truc nous paraissant fou. Mais c'est la situation qui est plutôt folle quand on y pense. Je m'attarde surtout à penser qu'avec le poignard, et l'aide que l'on aura surement de la médium, je me rapproche inexorablement du monde des vivants. L'espoir est réellement de retour. Encore quelques temps, et tout redeviendra normal… Ou presque.
***
Nous arrivons à nouveau chez la médium. La nuit est tombée et de l'extérieur, l'endroit parait sinistre. Même les fleurs qui la journée avait fait paraitre l'endroit chaleureux étaient si sombres et si noires qu'on aurait cru que certaines choses pouvaient se tapir dans leur ombre. Nous sortons de la voiture, Simon m'ayant ouvert la porte. Je me suis reposée durant tout le trajet, sentant le noir m'aspirer du fait de l'utilisation d'énergie qu'il m'avait fallu déployer pour trouver le poignard et communiquer avec Simon via son téléphone.
Ensemble nous franchissons le seuil de la petite chaumière, une fois de plus la porte s'est ouverte d'elle-même pour nous permettre d'entrer. Avec la nuit, l'endroit paraissait encore plus sombre, plus aucune lumière ne filtrait, à part celle des bougies de la pièce où se trouvait sans aucun doute la médium. L'endroit me fichait la chair de poule. Je m'avance, derrière Simon jusqu'à la pièce éclairée. Quelques bougies par-ci par-là étaient allumées et posées sur les étagères, entre les objets en tout genre. La grande bougie blanche sur le bureau était également allumée, elle envoyait des ombres sur le visage de la vieille femme, enfin, à cet instant, elle paraissait plus vieille que dans la journée.
« Posez-le sur la table, dans le linge sans toucher la lame et asseyez-vous »
Elle avait pris soin de mettre deux chaises, je m'assois tandis que Simon dépose le poignard toujours emmitouflé du tissu sur la table. Il vient s'assoir sur l'autre chaise que la médium lui a indiqué, de façon à ce qu'il ne se demande pas où je me suis placée.
Elle ferme les yeux, passe la main au-dessus du poignard toujours dans le linge, tout en marmonnant des mots inconnus. Je regarde Simon, je me demande si comme moi, il sent l'énergie qui se dégage de la femme, et maintenant, l'énergie maléfique venant du poignard. Je me sens d'un coup oppressée. Je me reprends et me concentre, tout comme Simon le fait. Il regarde fixement la vieille femme qui ouvre maintenant les yeux. Avec des gestes précautionneux, elle défait le linge, laissant apparaitre le poignard. Celui-ci semble très ancien. Toutefois, la lame a conservé son tranchant. Le pommeau est noir d'encre, le reste de la poignée est de fer finement travaillé. Sur la lame, on peut voir des inscriptions dans une langue qui m'est une fois de plus inconnue. Je regarde Simon qui a froncé les sourcils à la vue de l'arme m'ayant emprisonné hors de mon corps, si l'on peut dire… Tout à coup, je vois un bol traverser la pièce, se dirigeant droit vers la vieille femme qui l'attrape au vol. J'écarquille les yeux, tout comme Simon, nous sommes surpris, j'avoue avoir même au un peu peur.
« Vous ne craignez rien, ça n'est qu'un peu de télékinésie »
De la même manière, la vieille femme fait venir à elle une bouteille d'eau, des gemmes que fleurs. Simon demande :
« Pourquoi n'avez-vous pas utilisé la télékinésie pour prendre le poignard ? C'aurait été plus simple et m'aurait évité de risquer les ennuis…
- Impossible, pour ce que nous allons faire, il fallait que ce soit une personne qui tient à celle entre deux espaces qui récupère l'arme du crime. Il fallait donc bien que tu te charges de cette mission, tu es bien la personne adéquate, n'est-ce pas ? »
Ne lui laissant pas le temps de répondre, la vieille femme broie les fleurs et plantes avec un peu d'eau. Elle plonge ensuite dans son étrange mixture les gemmes. Elle rajoute un peu de cire de sa bougie blanche avant une fois de plus, d'enflammer le tout. Elle chante maintenant et la fumée s'élève, de plus en plus épaisse, se concentrant à la hauteur de ses yeux. Je sens Simon retenir son souffle. Ses pensées s'agitent, se demandant ce qui va se passer, ce qui va nous être révélé et dans quelle mesure cela pourra bien nous aider…
La fumée est foncée, je ne vois presque plus la vieille femme au travers. Soudain, elle cesse de chanter, lève ses bras au-dessus de sa tête et d'une voix puissante comme venant d'un autre monde, elle prononce quelques mots en baissant les bras. « Esprit du mal, révèle-toi ! » Et la fumée frappe avec force le poignard, l'enveloppe au point qu'on ne le distingue plus. Puis le tonnerre gronde au loin. Le nuage de fumée remonte et l'on entend un brut, celui du métal brisé. La lame du poignard est fendue. Dans la fumée, des visages apparaissent successivement. Je n'en reconnais aucun, si ce n'est le dernier qui semble être celui de mon agresseur. La fumée se dissipe. Le calme retombe. Aucun de nous ne prends la parole. La médium, ayant utilisé les pouvoirs et méthodes de sa grand-mère chamane semble épuisée. Elle recouvre à nouveau le poignard à la lame brisée du linge. Elle se lève ensuite chercher un coffret de bois, juste assez grand pour y mettre le poignard. Elle place le poignard à l'intérieur, referme le couvercle, ferme à l'aide d'une petite clef. Elle tend à Simon le coffret.
« Enterre-le mon garçon, et conserve la clef près de toi. Il ne faut plus que la lame soit réparée et que l'on utilise à nouveau ce poignard… »
Simon acquiesce et pose le coffret sur ses genoux, attache ensuite la petite clef à son porte clef de sorte qu'elle passe inaperçue.
« Qu'avez-vous découvert ? Je demande
- As-tu vu les visages ? me demande-t-elle »
J'acquiesce, Simon également, même s'il a remarqué que la médium s'adressait à moi et non à lui.
« Ils sont les visages des différents porteurs de la lame. Comme vous avez pu le constater, ils sont nombreux…Cela signifie que la lame a toujours cherché un possesseur et qu'elle en change régulièrement. L'un d'entre eux, sans doute le premier, a été le jeteur de sort. Les visages sont ceux actuels des possesseurs. Les possesseurs étant mort n'apparaissent plus. Comme vous avez pu le voir, le jeteur de sort supposé doit avoir tout juste une cinquantaine d'année. Il vous faut le retrouver.
- Comment, je n'ai pu retenir son visage…
- Attends mon enfant. »
Elle part chercher une feuille et une craie noire. Elle ferme les yeux puis psalmodie. Comme en transe, elle dessine à une vitesse incroyable un portrait-robot. Celui du jeteur de sort. Enfin… Je l'espère.
Quand elle revient à elle, Simon lui demande :
« Que devons-nous faire une fois que nous l'aurons retrouvé ?
- Vérifiez qu'il s'agit bien de la bonne personne… Il se peut que le réel jeteur de sort ne soit plus de ce monde. En ce cas, je ne pourrais rien pour toi, dit-elle en me regardant. Si cet homme est bien le jeteur de sort, appelez-moi à ce numéro. »
Elle tend un papier à Simon qui le fourre dans sa poche.
« Si c'est bel et bien lui, je pourrais peut-être le forcer à libérer le sort qu'il a jeté, Zoé serra propulsée dans son corps et se réveillera. Maintenant partez, il ne vous reste plus beaucoup de temps. »
A ces mots, elle retourne à ses occupations, ne s'occupant plus de nous. Simon la remercie en se levant et se dirigeant vers la porte. Je jette un dernier coup d'œil à la femme avant de suivre Simon. « Bonne chance » j'entends ce dernier message murmuré. J'ai peur, je ne sais plus exactement ce qu'il faut que nous fassions. Nous devons partir à la recherche d'un jeteur de sort, et si ce dernier n'existe plus, je resterai ainsi pour toujours. Si cet homme est bien lui, Dieu seul sait ce qui pourrait nous arriver, surtout à Simon, je réfléchis mais ne sais pas comment l'homme pourrait me faire plus de mal qu'il m'en a déjà fait. Et puis, je suis un genre de fantôme ; comment pourrait-il m'atteindre ? La peur me noue les entrailles. Simon est déjà dans la voiture. Il attend, comme s'il se doute que je suis restée sur le pas de la porte, toutes ces interrogations dans la tête. Je le rejoins et m'assois, je pose ma main sur son bras, en me concentrant un peu, pour qu'il sache que je suis là. Simon sourit et démarre.
Sur le trajet jusqu'à chez Simon, je me demandais comment nous allions bien pouvoir faire pour retrouver cet homme, nous n'avons qu'un visage, pas de nom, aucun indice… Et il se pourrait qu'il soit mort… J'entendais dans la tête de Simon les mêmes questions. Nous montons dans sa chambre, il s'assoit à son bureau et allume son ordinateur. Je m'assois face à lui, sur son lit. Il allume Skype pour que je puisse lui parler plus facilement.
« On pourrait peut-être chercher sur internet si on peut télécharger un logiciel de reconnaissance visuelle. Il pourrait chercher une photo dans tout internet qui ressemblerait au dessin de la médium. Elle aurait au moins pu nous donner une autre indication ! »
Je soupirais. Oui ça serait une solution, mais est-ce que ça marcherait ? Je me lève et vais écrire sur son ordinateur : « Et si on faisait des recherches sur les poignards anciens ? On retrouverait peut-être celui-là… »
« Absolument ! Pendant que le logiciel charge, nous allons chercher ça ! »
Simon se mis à taper sur le clavier et à lancer son chargement. Il ne lui a pas fallu si longtemps finalement pour trouver ce logiciel digne des films les Experts ! Je me sentais complètement inutile… Je m'allongeais sur le lit pour me reposer quand Simon lançait après un scan la recherche du jeteur de sort. En même temps, il cherchait une image du poignard. Il me dit qu'il existait beaucoup de poignards de ce type, mais que beaucoup avaient disparus. Certains volés, d'autres surement enterrés avec leurs possesseurs. A une certaine époque, il était commun de se balader avec ce genre d'arme sur soi. Il est écrit également que dans certaines légendes, certains de ces poignards ou couteaux étaient dotés de pouvoir, ils étaient ensorcelés. A ce moment-là de sa lecture, un Bip sonore raisonna dans la pièce. Simon regarde donc le logiciel. Une photo très semblable à celle de notre homme apparu sur l'écran. Il avait l'air joyeux, il était entouré d'une jeune femme ainsi que de deux enfants. On aurait dit une joyeuse petite famille, et certainement pas une famille à problèmes…
« C'est peut-être simplement le dernier des premiers porteurs de ce poignards encore vivant… Cela m'étonnerait beaucoup que ce soit lui, mais on ne peut pas savoir ce qui se cache au fond des gens. Leur nature profonde ne se reflète pas toujours à l'extérieur. Et si ce n'est effectivement pas lui, il pourra au moins nous indiquer où il a eu ce poignard. »
J'acquiesçais. J'espérais néanmoins que ce soit cet homme, sinon, cela voudrait surement dire que je resterai dans cet état pour toujours… Non, non ! Je ne veux pas penser à ça. Je vois Simon prendre en note le nom et l'adresse de la personne. Il est fort tard. Il envoie un mail à son université pour prévenir qu'il ne sera pas là demain.
« On partira tôt demain, il y a quelques heures de route. Je voudrais le trouver le plus tôt possible. Le temps nous est compté. »
Sur ceux, je m'écarte du lit pour le laisser s'y coucher. Je m'assois sur la chaise de bureau. Simon s'endort bien avant moi. La peur me prend et m'empêche de m'endormir. On ne sait pas face à qui on sera demain. On court peut-être un danger plus grave encore. Je n'arrive pas à croire qu'il veuille bien prendre tous ces risques. Ça me fait plaisir, et en même temps je m'en veux. S'il lui arrivait quelque chose, par ma faute. Je m'en voudrais le restant de mon existence. Car ça voudrait dire que je ne m'échapperai jamais…
J'avais dû m'assoupir, je me réveillais en entendant Simon se préparer à partir. Il revenait de la douche et ses cheveux étaient trempés. Quelques gouttes tombèrent sur le t-shirt qu'il venait de passer. Je ne l'avais encore jamais vu comme ça, et subitement je fus gênée.
« On peut y aller, me dit-il. » Il descend les escaliers, je le suis comme son ombre, nous prenons à nouveau la voiture. Il a réglé le GPS sur l'adresse. 15 rue de la gare, Grewix. Je vois indiqué sur le GPS 3 heures de route. Discuter avec Simon me semble impossible, il conduit et ne doit pas être dérangé. Je regarde le paysage, profitant de la vue, ne sachant pas si je pourrais un jour revoir ça de mes propres yeux, en étant moi, complète et entière…
La route se passa sans encombre, Simon fredonnait les chansons qui passaient à la radio. Nous arrivons dans un petit quartier huppé, avec des maisons individuelles, des pelouses bien entretenues. Avec le ciel bleu où pas un nuage ne pointait son nez, on se serait cru dans un film. En y repensant, toute cette histoire, c'était plutôt ma vie qui avait pris le tournant d'un film. Avec une intrigue assez intéressante… Et pas forcément agréable, en tout cas pour moi.
Simon se gare, sur l'un des petits parkings, sans être devant le bon numéro, « on ne sait jamais » me dit-il. Nous sortons de la voiture, marchons un peu (flottant en partie pour moi…). 11, 13, nous voilà maintenant devant le 15. Simon inspire un grand coup et appuie sur la sonnette. J'ai arrêté de respirer, j'étais aussi angoissée que lui. Nous attendons 5 minutes quand quelqu'un vient nous ouvrir.
Dans l'encadrement de la porte blanche, se trouve une jeune femme blonde aux yeux bleus. Celle que nous avions vue sur la photo. Simon souris et dit :
« Bonjour, vous êtes bien madame Demassier ?
- Oui, que puis-je pour vous ?
- En fait, je cherche votre mari, j'aurais quelques questions à lui poser.
- Bien sûr, je vais le chercher »
Elle ferme la porte. Quelques minutes après, celle-ci s'ouvre sur un homme, l'homme de la photo, celui du poignard.
« Bonjour, vous voulez me parler ? Demande-t-il, surpris. »
Simon se présente et lui explique :
« En effet, j'ai quelque chose qui vous appartient, j'aimerais en apprendre plus.
- Pardon, j'ai peur de ne pas comprendre…
- Je suis désolé, je ne me vois pas vous montrer ça ici, mais n'ayez pas peur, je voudrais avoir le temps de vous expliquer tout depuis le début.
- D'accord… Eh bien, entrez, dit-il, toujours décontenancé. »
Je me faufile par la porte avant que l'homme ne referme. Nous le suivons dans le petit couloir richement décoré, dans les tons pastel. Nous débouchons dans une salle à manger où une grande baie vitrée donne une vue à couper le souffle sur un jardin creusé d'une marre entourée de sols pleureurs. La femme apporte à Simon et son mari un café puis repart dans la cuisine. Simon a pris place en face de l'homme et je me suis glissée sur une chaise sans que personne ne s'en rende compte, bien évidement. Je vois Simon poser son téléphone sur la table, juste devant lui, avec les messages ouverts pour que je puisse lui parler en cas de besoin, où surement si j'ai une question à poser aussi à laquelle il n'aurait pas pensé. Simon relate maintenant les événements, comment je me suis fait attaquer, poignardée plus précisément. Il passe sous silence le fait que je sois actuellement dans un état qu'on pourrait caractériser de fantomatique, préférant dire que je suis dans le coma. Il dit aussi qu'il connait quelqu'un (en passant à nouveau sous silence que cette personne est une médium descendante d'une chamane…) qui lui a dit que le poignard était ensorcelé. Simon ajoute qu'il pense vraiment que l'homme a été en possession du poignard à un moment donné.
Pendant ce temps, je surveille les réactions de l'homme et de Simon, Simon qui est de plus en plus pâle tout au long de son récit, et l'homme lui est surtout surpris, j'espionne ses pensées, il se dit que cette situation est très triste, qu'il ne se rappelle pas d'un poignard, encore moins ensorcelé. Son visage reste pourtant impassible. Il prend alors la parole :
« Je suis désolé pour votre amie, malheureusement, ce poignard ensorcelé comme vous le dites, ne me parle pas. J'ai beau essayer de me souvenir… Pourriez-vous me le montrer ?
- Bien sûr… »
Simon est tendu, il sort néanmoins le poignard du linge blanc, précisant à l'homme qu'il vaut mieux ne pas le toucher directement, ce poignard étant l'arme d'une agression.
A l'instant où le poignard est découvert, l'homme écarquille les yeux.
« Je me souviens ! Dit-il. J'en ai en effet été le possesseur, mais plutôt indirectement. Je n'ai jamais aimé toutes ces armes. Mon père par contre, en était le premier possesseur. On le lui a offert, il m'est ensuite revenu en héritage… Mon père est décédé il y a maintenant près de quinze ans.
- Je suis désolé pour votre père. Je me pose maintenant la question. Pensez-vous que votre père ait eu… Comment dire… Un côté sombre ? »
L'homme semblait perdu dans ses pensées… Puis au bout d'un moment, il reprit la parole
« Si, il l'avait. Et cela a empiré avec le temps… Il s'enfermait souvent dans une pièce où ma mère était interdite d'accès. On avait toujours l'impression qu'il ressortait encore plus perturbé de cette pièce. Et parfois, avec un sourire fou… Il nous faisait peur. Maintenant que j'y repense, sa mort n'est pas très claire, pas mort de maladie, pas de vieillesse, pas vraiment un arrêt cardiaque… On ne sait pas. »
A nouveau perdu dans ses pensées, il ne disait plus rien. Simon attendait. J'écris sur son téléphone : « Quand il aura fini, demande lui pourquoi il n'est plus en possession du poignard… », et d'un signe presque qu'imperceptible, Simon fait oui de la tête.
J'étais toute tremblante, Simon n'avait pas l'air d'avoir compris ce qu'il venait de se passer… Il n'a pas encore réalisé… Je suis bloquée ici, le jeteur de sort n'est plus… J'essaie de me concentrer pour ne pas fondre en larme, quand l'homme reprend :
« A sa mort, je suis entré dans la pièce, des bougies trônaient partout, ainsi que des pentagrammes… Du sang à plusieurs endroits. Et sur la table qui avait était dévastée, où on avait l'impression que quelqu'un avait tout envoyé valser à terre, était ce poignard et un mot. Il disait « Mon fils, fais-en bon usage, et conserve-le précieusement ». Je ne voyais pas ce que je pouvais en faire, je n'aime pas les armes. J'ai tout nettoyé et je n'ai jamais rien dit à personne. J'avais caché le poignard dans notre maison, de façon à ce que personne ne le trouve, je voulais tenir compte de l'avertissement de mon père…
- Et qu'est-il arrivé ensuite ? demande Simon.
- Nous avons été cambriolés… Tout était sens dessus dessous. Avec ma femme on a cherché ce qui avait été volé car tout paraissait être encore là. J'ai eu comme une illumination, je suis allé voir dans la cachette, le poignard n'y était plus. J'ai été très étonné mais n'ai jamais cherché à le récupérer. Et d'ailleurs, je n'en veux pas plus maintenant… » Dit-il en regardant le poignard.
Simon est surpris, tout comme je le suis. Cet homme étrange avait dû parler de ses actes maléfiques. Il y a une forte probabilité qu'il ne soit pas mort d'une mort naturelle. Tout ça me faisait froid dans le dos.
Après encore quelques paroles, Simon prend congé, mais sur le pas de la porte, Monsieur … le retient :
« Qu'allez-vous en faire ? Je m'inquiète quant à l'usage qui pourrait être fait de ce poignard. J'ai toujours eu l'impression qu'une force indépendante de nous l'entourait… Et j'ai toujours cette impression.
- Rassurez-vous, je compte aussi le cacher, peut-être même l'enterrer de façon à ce qu'il ne blesse plus personne.
- Merci » Dit-il avant de nous laisser sur le pas de la porte.
Arrivé dans la voiture, je tape sur le téléphone de Simon « Il faut aller la voir ». Il me dit que c'est aussi son avis, mais je ne sens pas dans sa tête le désordre que l'on retrouve dans la mienne. J'espère de tout cœur que la médium trouvera quelque chose à faire. Mais au fond de moi, j'ai le sentiment que je ne pourrai pas revenir, que je serai indéfiniment comme ça… Il faut se ressaisir, il y a peut-être une chance. Simon démarre et nous sommes sur la route. Il ne pense qu'à sa conduite, se concentrant. Chantonnant par moment en accord avec la musique sortant du vieux poste radio. J'essaie de ne penser a rien, de garder ces instants en mémoire, de me remémorer tous les bons souvenirs qu'ils me restent…
Le temps passe beaucoup plus vite que ce à quoi je me serais attendu. Nous sommes déjà arrivés chez elle. Rapidement nous entrons. Je m'assois par terre dans la pièce principale toujours encombrée, elle me semble maintenant familière. Je pose ma tête sur mes genoux. Simon explique tout ce qu'on vient d'apprendre à la médium. J'entends les rouages dans sa tête commencer à se mettre en place. Il se rend doucement compte de ce que la mort du père de Demassier implique pour moi. Je relève la tête il est livide. La médium conserve un visage impassible. Je me rends compte que je n'ai jamais entendu ce qu'elle pense, et je me dis que c'est surement mieux ainsi.
« Il faut qu'on retourne à l'hôpital, ce que je vais tenter représente ta dernière chance, me dit-elle. Je ne peux rien te promettre… »
Elle prépare des affaires dans un sac puis nous partons.
Cette fois, la route me parait longue, Simon traine volontairement, voulant lui aussi retarder l'instant. Je profite une dernière fois de regarder le paysage défiler, les arbres de la forêt, puis les champs et enfin la ville… Là où j'ai passé la majorité de ma vie. Nous arrivons à l'hôpital, marchant lentement dans les longs couloirs blancs. L'odeur caractéristique des malades et des médicaments emplie notre nez. J'ai toujours détesté cette odeur, mais je ne l'avais jamais vu autant s'apparenter à la mort que maintenant. Arrivés devant ma porte de chambre, nous retenons notre souffle. Lorsque l'on passe la porte, j'entends les pensées de Simon faire écho aux miennes « C'est notre dernière chance, et notre dernier espoir ».
La médium dit à Simon d'obstruer les trous de l'alarme incendie, si elle doit brûler quelque chose, la fumée interromprait le rituel chamanique et tout serait perdu. Simon utilise une des serviettes de la mini salle de bain de la chambre. Une fois que tout est bien fixe, il regarde mon corps avant de détourner encore les yeux. Mon teint est gris, les cernes sous mes yeux sont immenses… J'ai l'air d'avoir perdu une bonne dizaine de kilos, et c'est surement le cas… Ma vue me fait horreur, si j'arrive à retourner dans ce corps qui est si éloigné de ce que j'étais avant, je pense que j'aurais du mal à m'en remettre. Je regarde ensuite la médium, elle aussi semble fatiguée et frêle. Son châle sur les épaules, elle pose diverses plantes, gemmes, bougies et autres objets sur la table de chevet. Dans un petit bol, elle verse quelques gouttes d'une petite fiole. Elle broie ensuite quelques feuilles, mélange la mixture. Elle en met ensuite sur ses mains, demande à Simon de lui montrer ses paumes et place dedans deux gemmes, une topaze et une émeraude. Elle dit que les pierres canalisent l'énergie et que nous en aurons besoin. Elle effrite ensuite quelques branches, feuilles et fleurs odorantes, elle les brûle ensuite. Elle entame un chant ancien, empli de magie. Elle souffle la fumée vers mon corps et me demande de m'en rapprocher. Elle dit à Simon de se placer près de moi et d'approcher les gemmes pour approcher l'énergie et qu'elle soit plus facilement disponible. Elle allume les bougies, chante encore. La pièce s'emplit d'une magie puissante, palpable pour moi. Je sens quelque chose m'attirer près de mon corps, je me laisse faire. J'entre tout doucement, reprenant place en moi, heureuse et stressée en même temps. D'un coup, une image de violence m'assaillis, elle prend tout l'espace dans ma tête, je cri, mais personne ne m'entend. Éjectée à nouveau de mon propre corps, je me retrouve à flotter par-dessus lui. Les bougies se sont soufflées d'elles-mêmes, les plantes ne fument plus, les gemmes qui s'étaient mises à briller ont perdu tout éclat. La médium me voit et baisse la tête. « Je suis désolée, articule-t-elle, si bas que Simon ne l'a pas entendue.
- Ça a marché ? Demande-t-il. Plus qu'une question, ses mots sont une prière.
- Non, dit-elle… Le choc a été trop fort, la violence s'est ancrée dans son corps et elle ne peut s'en débarrasser. On ne peut plus rien faire. »
Je vois Simon les yeux écarquillés, abattu comme je le suis. Il reste sans voix. Je suis tout aussi muette, je m'effondre à genoux. Je n'ai plus la force de pleurer. Il me faut accepter ma condition.
« Vais-je rester comme ça ? Il n'y a rien à faire ? Je demande à la médium.
- Pour t'éviter d'avoir à rester dans cette condition, je peux t'envoyer dans l'au-delà.
- Vraiment ? Je dis.
- A toi de réfléchir, que préfères-tu ? »
La question reste en suspens, Simon et choqué, il entrevoit ce qui va se passer. Je me sens calme d'un coup, presque sereine. Ma décision est prise, je ne peux rester comme ça.
« J'accepte que vous m'aidiez à partir. Mais j'aimerais savoir, est-ce que je peux lui parler ? (je désigne Simon de la tête) Qu'il me voit une dernière fois, et pas dans l'état de mon corps, qu'il n'ait pas un mauvais dernier souvenir et qu'il sache par moi-même que j'ai pris ma décision.
- Oui, avec l'énergie des pierres précieuses, je peux essayer de le faire, c'est plus simple que le rituel précédent qui ne dépendait pas de moi. »
Elle allume une bougie blanche, prend les pierres dans ses mains, récite une incantation à nouveau dans une langue inconnue.
Je regarde Simon, je le vois ouvrir de grands yeux.
« Je te vois Zoé ! »
Il se tourne vers la médium et la remercie. Puis se tournant vers moi :
« Que vas-tu faire ? Et si tu pars ? Je…
- Simon, je ne peux pas rester comme ça, mais c'est mon choix, il me faut partir. Je ne peux pas attendre.
- Mais… Il souffle avant de reprendre. Tu as raison, j'aurais surement fait le même choix à ta place. Tu me manqueras beaucoup.
- Toi aussi. »
Je vois ses yeux s'embuer. Je m'approche et le prend dans mes bras, une dernière étreinte. Je fais signe à la médium de me faire passer. Elle me fait un signe de tête. Je me sens partir, une énergie pure m'entoure. Je ne sens plus rien, ni ne vois plus. Je n'ai pas peur. Je m'en vais, laissant ma vie là, mon ami en larme. Seuls ses sanglots emplissent le silence, puis un bip sans fin signant ma mort.