A la recherche de l'altérité perdue
Thibaut L.
La nuit se mit à nouveau à écraser cet homme d’un poids bien connu, tout à la fois celui de l’assombrissement, du néant, qui fait disparaître aux yeux ce que la raison recherche, ces quelques repères où diriger le corps, la marche, et par procuration l’esprit, et du froid, cette immense crainte des vagabonds, particulièrement de ceux qui n’y sont guère habitués, qui la présagent sans connaissance, prêts à mourir, et avant tout souffrir. Il marchait alors, le sombre inconnu, au bord d’une autoroute bien vide, affrontant seulement sa seconde veillée depuis son départ de chez lui, sac à dos bien attaché, et cherchant déjà des yeux ce qui allait pouvoir le sauver de sa tente Quechua, recours qu’il s’était dit ultime bien que nécessaire. Rien. Aucune lumière à l’horizon ; il ne fut pas guidé, comme à l’espérance qu’il en avait, vers une quelconque auberge, un singulier hôtel, ou, et cela aurait été bien intéressant, bien sympathique, et même constructif, vers la maison d’un de ces bons samaritains des pays de l’Est. Les pays de l’Est, ah ! Il y était, s’étant dirigé au hasard, par train et bus, puis par force bien humaine que sont les jambes, et aidé de quelques voitures, au-delà de ses frontières françaises, profitant de l’aisance à passer d’un pays européen à un autre, si bien qu’il ne savait plus qu’approximativement où il se trouvait, et n’était pas même capable de mentionner un nom de pays. Qu’importe en somme, puisqu’il était de plus grand importance qu’il installa son campement, tende sa toile, plante les piquets qui la soutiendrait des vents fugaces, et se mette, surtout, à son projet. Dés lors qu’il fut emmitouflé, à quelques dizaines de mètres de la route dans la forêt, au sein de son abri, la porte - si l’on eut pu nommer cela ainsi - encore ouverte, et éclairé de sa petite lampe, il se mit à écrire ; à rédiger des lignes, les unes derrière les autres, en regardant les faibles ombrages que produisait dans le noir sa faiblissante lumière, appuyé sur son support, le crayon fermement tenu, prêt à gommer quelconque erreur, quelconque inexactitude dans la pensée. Il voyageait enfin, vraiment, n’ayant pu jusque là fignoler sa pensée et son être comme il le fallait… Ainsi que ses pas, qui peu à peu, et tout innocemment, s’étaient transformés en une douce musique initiatique, qui continuait même après leur arrêt… Trottait, et suivait le geste de la main… Ecrivait presqu’à sa place, lui faisait dire ce qu’il n’avait jamais dit… Les feuilles des arbres sautaient à son cou, se balançaient à ses yeux, se reflétaient les unes aux les autres, et lui faisaient voir des parcelles d’une finalité bien attendue, celle de sa recherche… Les arbres, eux, prenaient part à l’existence, s’agitaient presque, puis tombaient, s’allongeaient, bien morts… Il rangea son cahier, ferma sa tente, puis s’endormit.
Le bruit de quelques automobiles le réveillèrent bien assez tôt, à ces heures prématurées où le froid est encore celui de la nuit, et où la plus grande difficulté de l’être réside dans le fait de passer de son glacial sac de couchage au gelé extérieur, où, en somme, l’on ne souhaite que la mort, abandonnant lors de quelques instants tout projets, même les plus sincères. L’avantage en est pourtant que le réveil se fait bien rapidement, et que l’on range bien vite ses affaires ! Ainsi il était sortit de la forêt et faisait à nouveau du stop, tout en avançant, apprêté, comme à son habitude, à n’avoir pas ce qu’il demandait. Devant ses yeux défilaient quelques paysages sobres, et même laids à en dire vrai et selon son avis, qui lui rappelaient immuablement quelques décors français de coins paumés, mais non pas pour autant inféconds. Tout était exaltable par l’esprit, se disait-il. Ces arbres bien simples, bien communs, isolés, devenaient à eux-seuls des forêts exotiques, celles là même dont rêvent la plupart des gens, et supposaient ensuite quelques cascades ensoleillées, et dans lesquelles quiconque, ou presque, rêvait de se baigner. Cela en était de même pour l’esprit, il partait d’une base bien plate d’apparence pour en arriver, lorsque l’on y travaillait, à un résultat des plus extraordinaires. La voiture qui s’arrêta d’ailleurs pour le prendre n’en faisait pas moins, elle s’imageait tout aussi aisément.
— Eh là, où vas-tu l’ami ? Et qu’est ce qu’on peut bien faire dans un tel coin, que c’est pas commun… De toute façon je n’me dirige que tout droit, je ne vais jamais autrement que tout droit, surtout sur des routes bien droites ! Dit-il en anglais, en le regardant droit dans les yeux, comme si il avait pu par ses paroles bien anodines, et sans s’en rendre compte, le percer jusqu’à son fond, et ainsi, tout en même temps, le conforter dans ses désirs.
— Tout droit, je vais tout droit aussi, et toujours.
— Très bien, allons alors.
La discussion au trajet de la voiture fut bien anodine, et également bien courte, les deux protagonistes étant chacun bien évasifs, et surtout se comprenant bien mal l’un et l’autre, ne partageant guère la même vision de la vie… Seul le trajet les réunissait, si bien qu’il pu s’atteler à son esprit… Il recherchait encore son nom, ces lettres qui constituent l’individu, et qu’il voudrait substituer à une création propre. Il retournait les lettres en vain, jamais satisfait, les trouvant trop consonantiques, trop évocatrices, trop étymologiques, et trop bruyante parfois même… N’en fut-il pas arrivé à quelques secondes de ce dur labeur… Fracas terrible. Les lettres se mélangèrent, les mots aussi, les phrases qu’il avait voulu former dans l’instant, et son corps, finalement, qu’il sentit aller au gré d'on ne sait quelle force supérieure se balader ici et là, contre les parois du véhicule, et sur le conducteur. Il se réveilla tout endolori, se détacha, puis sortit, embourbant dès lors ses pieds dans la terre, sur un sol qui ne paraissait pas bien droit.
— Un cerf ! Et un… Va falloir continuer à pied mon bon monsieur… Le fossé ça pardonne pas.
Synopsis :
Le personnage décide de ne pas rester à attendre la dépanneuse. Il s’en va et continue son chemin à pied, décrivant le paysage sous ses yeux comme si il était là en train de peindre un tableau, et rapprochant cette peinture de l’esprit à l’écriture, qui en est pour lui une forme. Tout en même temps des pensées néfastes provenant de sa fatigue progressive et de la douleur de son accident viennent assombrir son œuvre de l’esprit. Son décor se transforme peu à peu en une allégorie de souffrance. Il s’y voit, très brièvement et indistinctement, dans des épisodes de sa jeunesse allant de son enfance à son adolescence. Il en fuit rapidement, intercepté enfin par la vue de ce qui semble être une petite ville, au loin, et se met, par plaisir et joie de cette découverte, à déclamer à voix haute quelques textes de Lafontaine.
Il arrive dans cette petite ville, prend un café à un bar, et parle avec un homme de condition moyenne de choses assez générales, telles que la vie et son ressentit. Il évoque rapidement son désir d’écriture, auquel l’homme répond de quelques anecdotes. Ils se séparent, le personnage se balade dans les rues en les décrivant de manière assez réalistes, puis, trouvant un coin assez isolé, une sorte de petit parc, avec un banc, il s’attèle à de nouveau écrire. Cette fois il lui semble que son stylo suit un mouvement d’avancée, comme si c’était là son âme et son corps tout entiers qui progressaient, il sent qu’il approche de son but et que, tout à la fois, il en est terriblement éloigné.
La fin de la journée approche. Il trouve un petit hôtel et y loue une chambre pour la nuit. Dans sa chambre il se décrit à lui-même son sentiment d’altérité avant de rapidement s’endormir, n’écrivant sur la feuille que quelques lignes, dont un aphorisme (qui apparaîtra dans le roman). A son réveil il prend son temps, descend déjeuner, puis s’en va, prenant cette fois ci un bus. Dans celui-ci s’en suit une analyse subjective de chaque personnes assises, de la vie qu’elles ont pu mener, des voyages qu’elles ont pu réaliser, et de la supposé atteinte qu’elles ont acquises d’eux-mêmes. Il en tire les leçons qu’on ne voit pas de vue quels sont les buts des gens, et où ils en sont d’eux-mêmes.
Le bus continue à rouler, et au fur et à mesure de l’avancée le personnage décrit le paysage en exaltant son charme et sa beauté, puis, peu à peu, se substitue au décor des pays de l’Est ceux d’Asie. Par un tel procédé stylistique un rapprochement est fait entre des beautés tout à fait singulières et différentes, et un bond temporel est réalisé. Le personnage a désormais un bâton de marche, et décrit maintenant véritablement son écriture, celle de son cahier désormais bien remplis, comme de la peinture, et plus particulièrement de la peinture impressionniste. Il fait même quelques références à des peintres bien célèbres par la formulation suivante : « J’écris comme ». Bientôt il arrive dans un village abandonné, y passe quelques jours à écrire, et sait alors qu’il a finit, qu’il a trouvé son but, qu’il a finit tout à la fois son œuvre et son être, ainsi que son nom. Il s’assoit, regarde le ciel sans même le décrire, exalte ses sentiments, et alors qu’il va dire son nom, le roman prend fin. On sent là qu’il s’est échappé dans le temps, dans le vent, dans la nature, en lui-même, et qu’il est le seul à pouvoir connaître son patronyme… Pas même le lecteur n’y est autorisé.