A l'aube de ma mort

Dominique Capo

Réflexion personnelle (rectifié)

Si un jour, je me retrouvais devant Celui qui nous jugera tous un jour, et qu'il me pose la question : « As tu accompli ta Destinée ? », je lui répondrai : « Non! ». Je suppose qu'il sera surpris. « Pourquoi ? », me demandera t-il certainement. « Regardez-moi ! », lui dirai-je alors. « Toute ma vie, je n'ai couru qu'après une seule chose. Je n'ai eu qu'un seul espoir, qu'un seul rêve. Et il m'a été tout le temps refusé. Je me suis battu, j'ai surmonté une myriade d'épreuves diverses et variées qui en aurait fait succomber plus d'un. J'ai connu la solitude, la mort de l'être aimé. J'ai connu l'humiliation, les moqueries incessantes, l'irrespect, le rejet. J'ai connu la trahison, la violence verbale et physique à mon encontre. J'ai connu la maladie et le handicap. Tout ceci, et bien d'autres choses encore, inavouables et infamantes, qui m'ont régulièrement conduit aux portes de la mort ou de la démence ; des deux simultanément parfois.

Toute ma vie, j'ai souhaité que la femme qui a touché mon cœur, qui a illuminé mon âme, qui a enflammé mon corps, m'accorde le privilège de pouvoir l'approcher. Qu'elle me considère comme un homme dont les sentiments et les émotions étaient aussi importants, aussi sincères, aussi véritables, que n'importe lequel de mes contemporains. Qu'elle ne s'arrête pas à ma timidité maladive, à ma maladresse intempestive. Car ces incapacités à gérer ce que je ressens sont constamment dues à cette peur d'être rejeté, repoussé, chassé, regardé comme un intrus dans un univers qui n'est pas le sien.

Et, malheureusement, toute ma vie, ces échecs se sont renouvelés. Toute ma vie, ils m'ont blessé, ils m'ont affaibli, ils m'ont désespéré, ils m'ont écrasé, ils m'ont opprimé. Ils ont transformé chaque période de mon existence en cauchemar permanent. Dès que j'ai, ne serait-ce eu l'intention, d'entrer en contact d'une façon ou d'une autre, avec cette femme dont j'étais épris, les événements se sont ligués contre moi. Et c'est perdu, avili, tourmenté, anéanti, que j'ai été contraint de fuir la lumière du jour, et de me réfugier au sein de ces immondes ténèbres. Que j'ai été obligé de laisser derrière moi tout ce en quoi je croyais, tout ce pourquoi je me battais, si je voulais survivre à cette ordinaire indignité.

Qu'ai-je été, qui ai-je été, pour cette femme que j'ai adoré, pour laquelle j'aurai érigé Temples aux stèles ou aux statuaires d'or, ou Sanctuaire aux murs et aux toits d'argent ? Qu'a t'elle vu de moi ? Qu'a t'elle connu de moi ? Rien ! Rien d'autre que cette créature mutilée, terrifiée, ignorée, et mortifiée par des décennies d'attente. Des décennies à patienter en songeant à cette vie que je n'aurai jamais. Des décennies à espérer un miracle qui ne se produira jamais. Des décennies à plier sous le joug de gens qui estimaient que mes ambitions étaient moins importantes, moins honorables, que les leurs. Des décennies à me faire flageller de leurs remontrances, de leurs remarques insolentes, en me disant que j'étais capable d'endurer le pire, juste pour avoir l'honneur de tenir cette femme qui m'illuminait de son aura dans mes bras.

Mais, jamais elle n'en n'a eu conscience. Et toutes celles qui l'ont précédé, ou qui lui ont succédé, n'ont jamais su jusqu'où j'étais allé pour tenter de briller à leurs yeux. Jusqu'à quel point j'étais capable de résister aux affres de l'existence, aux misères, ou aux brisures, afin de les honorer et de les aimer. Mais non, elles n'ont discerné en moi qu'un être faible et sans consistance. Un homme duquel il était si aisé, si simple, si naturel, de se détourner parce qu'il ne correspondait pas en canons en vigueur de la beauté. Et qui, dépourvu de ces attraits éphémères, salissait, profanait, de son regard et de ses intentions, l'éclat dont elle était pourvue si naturellement.

J'aurai tout donné – ma vie, mon honneur, mon argent, ma force intérieure, pour passer une heure entre ses bras. Pour exister pleinement en me fondant en elle, en sentant son corps et son âme vibrer sous mes caresses évanescentes. Pour m'abreuver de ses baiser, de la volupté de ses formes, de la sensualité de ses grâces et de ses élégances. Je me serai saigné aux quatre veines, je me serai mutilé devant elle, je me serai arraché le cœur devant elle, juste pour un moment en sa compagnie. J'aurai combattu tous les démons de l'Enfer, juste pour avoir le bonheur de me perdre dans son regard luminescent. Juste pour percevoir ses halètements de plaisir sidérants. Juste pour lui offrir ma virilité quelques instants. Juste pour l'emmener au frontières de cette extase orgasmique, et lui ouvrir les portes d'un paradis qui n'a aucun équivalent.

Mais non », relaterai-je à Celui qui n'a pas de nom. « Vous m'avez refusé cette délivrance. Vous vous êtes acharné à me persécuter, à trouver chaque jour une autre manière de me condamner. Vous m'avez consumé de désir inassouvi, vous m'avez torturé jusqu'à ce que je prie le Néant d'écouter, en vain, ma supplique. Vous avez fait de moi un moins que rien ; un être fragile aux émotions exacerbées, au blessures inguérissables, aux angoisses cataclysmiques. Uniquement parce que j'ai osé adorer cette femme à la pureté empoisonnée ; à l'esthétique déifiée qui a finit par me tuer. ».

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