A mes fils...

Hélène Jourdain

Voilà une histoire qui a commencé il y a maintenant 18 ans. Une histoire, non deux histoires d'amour qui ont eu des débuts particuliers. Deux histoires d'amour qui ont vu le jour un 22 octobre, un vendredi. Nous ne faisions qu'un depuis six mois, nous cohabitions bien au chaud, le temps qu'il faut, pour être à maturité pour enfin se rencontrer. Il était encore trop tôt, le mois de janvier aurait dû vous voir pointer le bout de votre nez, mais octobre a choisi de vous avancer. Octobre et cette maladie qui risquait à tout moment de devoir nous laisser, chacun, sur le bas côté. Le côté obscur, celui où nous ne devions plus exister. Il aura fallu avancer l'heure, le jour, le mois et l'année, de votre arrivée pour pouvoir nous sauver. Ce vendredi, je me suis endormie pour me réveiller le ventre vide, les cordons coupés, on vous avez arraché, là où vous auriez dû rester.  Au lieu de voir vos deux visages sortir de moi-même, tout ce que l'on a pu me présenter, ce sont deux photos polaroïd à mon réveil.

 J'avais mis au monde deux petits d'hommes d'à peine un kilo. Nous étions très vite séparés, car nous maintenir en vie il nous fallait rester. Deux couveuses ont pris mon relais, mon ventre ne sachant plus vous honorer. Un hôpital, un long couloir nous rattachaient, il nous a fallu attendre deux jours pour pouvoir enfin nous rencontrer. Enfin nous allions nous retrouver. On m'avait préparé à vous voir mais pas du tout à vous reconnaître. En l'équipe médicale j'ai dû faire confiance, confiance en leurs savoirs, confiance en leur bientraitance envers vous, envers moi-même. En traversant ce long couloir, ma grande crainte était de ne pas savoir si c'étaient bien vous que j'avais mis au monde. Comment pouvais-je savoir alors qu'on m'avait privée dès le premier jour de vous voir ? Une fois arrivée devant cette chambre, on me présenta à vous, et là la crainte s'envola.

Je vous ai reconnu alors qu'on ne s'était jamais vu, je vous ai reconnu car mon cœur, mon âme ne doutaient pas. Et là commença réellement mon rôle de maman. Une maman qui ne pouvait concevoir qu'on ne s'en sortirait pas, qui n'y pensait même pas. La vie en nous était plus forte que tout, mais il nous fallait nous souder pour affronter, au mieux, chaque jour, comme une bataille, comme une lutte pour la vie. Je me suis remise plus rapidement que vous, j'ai pu rentrer mais sans vous. Je vous ai laissé entre des mains qui ne sont pas les miennes. Jour après jour, vous acheviez ce que mon corps n'avait pu vous donner. La culpabilité me rongeait, comment n'avais-je pas su être en capacité de vous garder ? Il me fallait mettre cette culpabilité de côté et continuait à avancer. Au bout de deux mois, juste avant Noël, un de vous deux est rentré, laissant l'autre abandonné, pas encore tout à fait près pour enfin bien respirer. C'était une demi-victoire, le chemin pas encore terminé.

Puis vint une grosse frayeur une nuit fin décembre. Il a fallu, d'urgence, te déplacer, une bronchiolite aigüe étouffait, encombrait tes petits poumons pas encore à maturité. Un Noël qu'on ne peut oublier où l'unique cadeau qu'on aurait aimé recevoir c'est de garder encore et toujours l'espoir. Un espoir qui nous fuyait, qui nous délaissait, tant ton état de santé se déplorait. Plusieurs machines, des transfusions injectées, tout a été tenté pour te garder. Jusqu'à cette dernière machine, la dernière qui pouvait te sauver. Là la peur m'envahissait mais tu as lutté du haut de tes deux kilos, la maladie n'a pas fait le poids par rapport à toi. Au bout de trois mois, jour pour jour, on nous annonçait ton arrivée. Notre maison tu allais enfin intégrer. Tu ne venais pas seul, une machine à oxygène devait t'accompagner, car respirait seul pour toi était encore compliqué. Mais un autre miracle s'est créé. Le jour même de ta fête, le 22 janvier, ton prénom prédestiné, du respirateur tu as su te délivrer.

 Enfin réunis on l'était. Et là une autre aventure allait commencer. Une aventure qui perdure mais qui aujourd'hui a un goût particulier, celui de la majorité. Après toutes ces années partagées, il me faut maintenant vous laisser, vous laisser mener votre propre vie, qui je le souhaite, de tout cœur, sera bien remplie. Remplie de tout ce que vous désirerez. Je ne serai jamais bien loin, je garderai un œil sur vous mais avec toute la confiance que je vous porte. Un excellent anniversaire mes tits gars… ! Je vous aime <3

 

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