A qui mieux-mieux

wikprod

Ho ho ! Ha ha ! Hi hi !

Elle pleurait à chaudes larmes, ce matin encore. Ou plutôt elle sanglotait, pensa Laura pour utiliser un terme moins dramatique. Le problème n'était pas qu'elle sanglotait, la dame du tram, le problème était qu'elle sanglotait tous les matins.

« Pourquoi c'est si dur *sanglot étouffé* pourquoi si cruel ? *sanglot étouffé bis* pourquoi si dur lui avoir dit c'est dur pourquoi si dur, personne, personne, personne *sanglot humide option nez-qui-coule* »

Bref, la dame du tram pleurait. Et ça tous les matins. Son nez rose coulait, ses yeux bleus étaient brouillés de larmes comme un parvis après la pluie.

Alors ce matin Laura en eut marre, et elle lui tira la langue.

La dame du tram la regarda étonnée, puis elle reprit ses sanglots, de plus belle.

« Pourquoi si dur ? *snirfl, birfl, snif snif* »

Bon, tant pis !, se dit Laura. En plus c'était son arrêt. Alors elle descendit.

Le lendemain Laura vint dans le tram déguisée en poussin jaune géant. Elle s'approcha de la dame, qui de surprise avait arrêté ses lamentations, et s'écria :

« Piou ! Piou ! Deux poussins dans un tram, d'un coup il n'en reste plus qu'un parce que ? Tu en pousses un ! Pousses un ! Haha ! Piou piou ! »

La dame la regarda étonnée, quelques instants, puis se fendit d'un énorme sanglot et recommença à pleurer de plus belle.

Laura soupira. Les contrôleurs lui demandèrent son ticket. Elle leur dit d'aller se faire cuire un œuf. L'omelette lui coûta cinquante euros.

Le surlendemain, Laura vint en pangolin.

Mais la dame ne rit pas.

Puis en marsouin, en singelin, en rintintin, mais rien, rien et toujours rien. Toujours les gros sanglots, comme une mer de regrets et de tristesse qui soudain déborde par les yeux.

Quand enfin, un jour, Laura ne se déguisa pas. C'était le jour où son père était mort, au matin, aux premières lueurs de l'aurore. Elle vint dans le tram les yeux mouillés de larmes. Elle renifla bruyamment, chercha dans son sac un mouchoir, en trouva un, leva la tête…

La dame du tram l'observait. Et la dame du tram ne pleurait pas. Mieux. Elle souriait.

Laura lui rendit son sourire, un peu estomaquée, et la dame du tram se mit à sourire de plus belle, à sourire encore, et encore et enfin, à exploser de rire !

Alors, nerveusement, sans qu'elle ne sache bien pourquoi ni comment, Laura se mit à rire aussi. Elle joint son rire à celui de la dame et toutes deux rirent, rirent à ne plus savoir que faire de tous ces « hoho ! », ces « hihi ! » et ces « haha ! » qui débordaient à la pelle de leur bouche, de leurs yeux, de leurs dents, de leurs cheveux, elles rirent, rirent bien des arrêts durant, tandis que tout là-haut, dans les cieux, on riait sûrement bien avec elles, tous ensembles, à qui mieux-mieux.

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