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luxaeterna

petit extrait d'un long travail en quête d'avis bonne lecture !

Midi. Le tic de l'horloge vient de se faire entendre, le coucou sort. 

Les théières de décoration vibrèrent à cause des ondes dans l'air. La perturbation se propagea jusqu'à la fenêtre qui claqua subitement.

Midi deux. L'homme arriva. Moins de cinq minutes, c'était pardonnable. Il attendit quelques instants à la porte d'entrée, puis aperçut M. Blot qu'il reconnut, correspondant à la description précise. Il était tranquillement installé à la porte sous la fenêtre. Son manteau touchait par terre, dû à sa longueur. Il s'assit aux côtés de l'homme sombre, mais celui-ci lui fit signe de plutôt s'asseoir en face, désignant l'autre chaise, l'air poli mais n'incitant pas au compromis.

Une redingote sombre, le chapeau bas camouflant ses yeux clairs. Deux mèches blondes dépassant du haut-de-forme. Une quarantaine d'années.

- Du monde sur la route ?

Le blond ne répondit pas. Il passa nerveusement sa fine langue sur ses lèvres dont la gerçure trahissait le froid de ces temps-ci. Son chapeau lui cachait toujours la partie haute du visage.

Mickaël apporta les deux coupes habituelles, tenues toutes deux de la main droite.

- Je ne fais jamais d'affaires avec des inconnus, murmura M. Blot à l'oreille du jeune homme avant de lui glisser la coupe de son côté de la nappe. Une bougie rosâtre les séparait, donnant un côté faussement romantique au café bruyant. Elle ne s'accordait pas même à la nappe et trahissait un mal-être au sein du rouge.

L'homme releva lentement la tête. Deux pupilles dilatées par la lumière de l'allogène situé juste derrière la table. Il attrapa lentement le verre, l'amena jusqu'à sa bouche stricte, resta quelques instants, faisant tournoyer le vin dans le verre, et finit par le boire d'une traite.

Il s'empara de la bouteille, jeta un rapide coup d'œil à l'étiquette rougie et à-demi décollée avant d'annoncer calmement :

- 95… C'est une bonne année.

- Effectivement, répondit M. Blot sur le même ton.

Un silence sourd s'installa entre les deux hommes. Il fut bientôt recouvert par les cris du nourrisson de la table d'à côté. La mère, paniquée, tentait de replacer la couverture de telle sorte qu'il n'ait plus froid. Alexis ? C'est un beau prénom Alexis. De ceux qui s'inscrivent sur le haut des listes des concours.

 - Combien ? demanda soudain l'homme blond.

- La bouteille ?

L'homme esquissa un sourire que M. Blot lui rendit.  

- Le prix est négociable. Mais comme vous l'avez si bien dit, c'est une bonne année.

L'homme replaça son chapeau sur sa tête de sorte que ses yeux ne soient plus qu'à moitié visibles. Il semblait hésiter. Il farfouilla dans sa poche droite. Il frôlait du bout de ses doigts les billets encore fraîchement imprimés. M. Blot lui tendit sa serviette blanche, parfait contraste avec le rouge des alentours. Il la poussa délicatement vers l'homme d'en face. La serviette était propre et pliée à chaque coin. Seul un aspect bombé trahissait son manque d'innocence. L'homme s'en saisit rapidement, esquissant un rapide coup d'œil craintif autour de lui. A son tour, connaissant le principe d'ici, il posa sa serviette sur la table. La sienne était elle froissée, ce qui sembla irriter la rigidité de l'autre homme. Il prit tout de même la peine de la glisser délicatement et d'une lenteur à couper le souffle de l'autre côté de la table. Plus plate, mais pas moins remplie. Une fois à la hauteur de M. Blot, celui-ci attendit quelques instants, tentant de paraître le plus naturel possible. Il parcourut la salle remplie des yeux, croisa ceux de Mickaël qui lui souriait. Puis, comme de coutume, il passa la langue sur ses lèvres avant de déposer ladite serviette sur ses genoux, prenant soin de ne pas la déplier. Un à un, il glissa alors les billets du tissu à la poche de son pantalon gris. Il prit le temps de vérifier la somme en jetant régulièrement des coups d'œil sous la table.

Une telle agitation régnait dans le café que la transaction, une fois de plus, passa inaperçue. M. Blot releva la tête, satisfait.

- A consommer avec modération, dit-il en hochant la tête afin d'affirmer l'importance de ses propos de mise en garde.

L'homme s'éloigna sans se retourner. Il sourit, remit sa main dans la poche gauche où il frôla à nouveau le plastique suintant des sachets. Quelques instants plus tard, il la referma, faisant crisser la fermeture éclair usée. Il se pressa alors d'ouvrir la droite. Là, il sentit une mince boîte. Il vérifia qu'elle était fermée et l'agita légèrement afin de s'assurer de son contenu. Les gélules s'entrechoquèrent.

 Arrivé au porche d'entrée, il se retourna et annonça, désignant du doigt le verre vide en face de sa place vide.

- Rien qu'un verre.

Mickaël amena alors l'addition, passant devant la porte d'entrée. Lorsqu'il arriva à la table de M. Blot, il n'y avait plus d'homme blond visible. Seule la porte vibrait encore légèrement suite au claquement dû au vent fort qui se levait dehors. M. Blot regarda par la fenêtre. Les arbres pliaient sous les rafales. Quelques gouttes se mirent à perler la fenêtre sous le rideau tiré camouflant d'habitude les rayons du soleil trop éblouissants. M. Blot posa sa tête contre cette plaque dont la froideur lui fit plisser les yeux. Son regard se promenait sur le clocher au loin lorsqu'il aperçut l'ombre qui déambulait, les mains dans les poches.

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