A66b Original

Baüta Paul

Ceci est une version longue du premier chapitre, comptant 2000 caractères de plus que la limite autorisée. J’ai jugé bon de la poster dans la mesure où j’ai eu à sacrifier quelques passages intéressants pour former la version finale, et qu’il aurait été dommage de les écarter complètement.

                                                                      A66b

        Un arbre, puis un autre, de ville en ville des champs à perte de vue, une vache par ci par là. Au milieu, l’autoroute. Derrière eux Toulouse s’éloignait à cent dix kilomètres heure, mais ça n’avait pas d’importance. Estelle avait décidé de délaisser pour un instant la carte routière que Franck l’avait chargé de déchiffrer, ses paupières se fermaient toutes seules. A quoi bon, ils étaient sur la bonne route de toute façon. La tête de la jeune femme vint se poser sur la vitre, le ronronnement du moteur sonnait à ses oreilles comme une douce berceuse, alors que tout ce qui l’entourait glissait lentement dans la confusion d’un demi sommeil. Tom, Franck, les vacances, tout cela semblait bien loin à présent, elle en oubliait presque cette musique qui tournait en boucle depuis des heures sur l’auto radio. C’était à vous dégoûter de Debussy, et pourtant il n’y avait rien de fondamentalement détestable dans ces harmonies, n’importe qui pourrait aimer Debussy, disons juste que son fils l’aimait un peu trop, c’en était presque, agaçant, dira t-on pour rester corrects. Elle aurait pu réciter, décomposer, analyser chaque passage de Nuages, la nocturne préférée de Tom. Là, le tuba allait arriver, tandis que les flûtes reprendraient le thème, puis les hautbois sonneront, et sonneront la même note encore, et encore, et encore.

-         Papa, appela Tom quelque part sur le siège arrière.

Franck fixait la route qui défilait devant lui. De grosses gouttes avaient commencé à tomber sur le pare-brise, elles coulaient paresseusement devant ses yeux comme pour le narguer.

-         Papa.

-         Quoi ? finit par répondre le conducteur.

-         Le disque est rayé.

-         Je sais Tommy, ça n’a pas changé depuis tout à l’heure, il est rayé et je ne peux rien y faire.

-         Tu peux le remettre au début ?

Franck éteignit l’auto radio, le bruit du tuba agonisant qui sortait des hauts parleurs n’était pas des plus agréables.

-         Et si tu faisais autre chose, proposa Franck. Tu ne veux pas essayer de dormir, comme ta mère ?

-         J’y arrive pas, grommela le jeune garçon.

-         On en a plus pour très longtemps de toute façon. Je vais nous chercher un hôtel où passer la nuit, et demain on traversera la frontière espagnole.

-         On va voir les montagnes ? demanda Tom avec entrain.

-         Absolument, mais seulement si tu me promet d’être sage.

     Tom se redressa tout droit dans son siège. Tâchant d’avoir l’air le plus innocent possible, il se contenta de regarder le paysage pour la suite du trajet, scrutant l’horizon à la recherche des montagnes. Même pour le chef de famille le voyage commençait à se faire long, il n’avait plus l’habitude de conduire si longtemps et la fatigue le gagnait peu à peu, l’autoroute se perdait dans ses yeux, les voitures se faisaient tâches de couleurs floues dansant avec les essuie glaces. Une fois de plus, il revint à lui dans un sursaut alors que sa main commençait à glisser du volant. Ils devraient peut-être faire une pause pour dîner sur le bord de la route, ce serait plus sûr, Franck n’était plus en état. A peine avait-il formulé cette pensée qu’il sentait son esprit dériver à nouveau, pour la dernière fois, il se le jurait, il se ressaisit, juste à temps pour écraser le frein de toute ses forces. Les pneus émirent un crissement effroyable alors que la voiture pilait.

Devant eux, une camionnette grise s’était arrêtée net.

-         Tu es malade Franck ? vociféra Estelle, que le choc avait brutalement tiré de son sommeil. Qu’est-ce qui t’as pris de faire ça ?

-         Ce n’est pas ma faute, répliqua t-il sèchement, c’est cet abruti devant.

-         Tu aurais pu faire attention quand même !

Franck ne l’écoutait plus. Une marée de voitures avançait au ralenti sur la route devant eux.

-         Il fallait qu’il y ait des bouchons, gronda le chef de famille. Tu as toujours la carte pas vrai ? Il doit forcement y avoir une autre route. Estelle tu m’écoutes ?

-         Oui je l’ai ta carte, lança t-elle en défroissant le bout de papier jauni.

-         Bien, ça fait combien de temps qu’on a dépassé Villefranche ?

-         J’étais en train de dormir figures toi, j’ai pas bien la notion. Marre de fixer cette carte, je suis pas ton co-pilote.

-         Bon, qu’importe, coupa Franck qui n’avait aucune envie de se plonger dans une autre de ces disputes inutiles. On devrait toujours être sur cette autoroute vers le sud, vers Pamiers. C’est laquelle déjà ? A64 ? A61 ?

-     A66, déchiffra péniblement Estelle dans la l’obscurité naissante de cette journée qui       

touchait à sa fin.

Mètre après mètre, la voiture se frayait un chemin laborieux entre les gouttes. Franck fût réduit à s’en remettre à cette théorie contestée de la file qui va le plus vite, mais se rendit compte bien assez tôt que son efficacité tenait entièrement de la légende ; après tout il n’avait jamais connu quelqu’un qui s’était extirpé d’un embouteillage par cette méthode.

-         Ce n’est pas possible, il n’y a aucune sortie. Tu ne vois rien sur la carte toi?

-         Tu penses pas si bien dire.

-         On est bientôt arrivés ? osa timidement Tom.

-         Au train où avancent les choses je sens qu’on va encore rester coincés ici un bon moment, soupira Franck. Attends, ce n’est pas une sortie ça ?

Estelle jeta un œil sur sa droite. A quelque cent mètres en avant, la route s’ouvrait sur un petit passage salvateur, une voie descendante à peine visible à travers le halo aveuglant des phares. Le genre de surprise que l’on n’attendait plus.

-         Impeccable, dit Franck, réveillé pour de bon à présent. Il était temps, on va enfin         pouvoir rouler un peu à travers champs.

-         C’est étrange, répondit Estelle, je ne vois aucune voiture prendre cette voie.

Le petit passage était désert. A côté de la bouillante quatre voies brillante de mille feux, l’obscurité qui régnait sur cette sortie d’autoroute semblait respirer le calme, la nuit y était plus profonde, sans faille.

-         Personne ne prend la sortie tu dis ? Tant pis pour eux, je ne vois vraiment pas où est le problème.

-         Attends, murmura Estelle les yeux plissés. Je suis presque sure qu’il y a des plots sur le sol.

-         Et alors ?

-         Alors ça voudrait dire que la sortie fermée Franck, tu es sûr de mériter ton permis de conduire ?

-         Ecoute, ça fait des heures que je roule sur cette route, on a dû faire trois pauses    depuis qu’on est partis, grand maximum. On a tous faim et sommeil, tu ne me diras pas le contraire. Alors, que je mérite mon permis de conduire ou non, je dis que nous allons prendre cette sortie, puis on verra bien ce qu’on y trouvera.

-         Mais , c’est complètement…

Avant qu’Estelle ait pu ajouter un mot, la voiture était sortie de la file et fonçait vers l’étroite descente. Elle entendit un bruit mât lorsque le pare choc renversa l’un des plots qui gardait le passage. En un instant, les automobilistes à bout de nerfs, le vacarme des klaxons, les lumières du trafic disparurent ensemble derrière un buisson.

-         C’est malin ! s’écria Estelle. On ne sait même pas où elle mène cette route.

Franck ne daigna pas répondre. Les phares antibrouillard s’allumèrent, révélant une longue ligne blanche ruisselante de pluie, fil d’Ariane au milieu de la nuit profonde. Estelle croisa les bras et fit mine de regarder par sa vitre le paysage aveugle. Il valait encore mieux ne rien dire, monsieur était dans l’une de ses phases créatives, foudroyé par un éclair de génie, toute négociation était vaine. Pour lui, la conduite c’était comme sa peinture. Si tout le monde suit la même voie, c’est bien parce qu’elle finit par payer, n’est-ce pas ? Eh bien non, Franck se sentait toujours le besoin de sortir du sentier battu, d’injecter à ses tableaux un esprit d’innovation excentrique, sans jamais penser à agrémenter sa palette d’une once bon sens. Et puis être un artiste de nos jours, quelle idée. C’était sans surprise qu’il arrivait toujours dernier, et quand elle y pensait, Estelle trouvait cette métaphore automobile particulièrement habile, elle résumait parfaitement l’esprit brouillon de son compagnon d’infortune, toujours prêt pour la course, toujours premier à partir dans le décor.

-         Ah, ça se précise, dit Franck.

La voiture s’arrêta. Autant que l’on pouvait voir, il semblait que la route s’était élargie de manière significative.

-         Je me suis un peu trop avancé, constata le conducteur. Tom, tu peux lire ce qu’il y a écrit sur le panneau derrière ?

-         Ce panneau ? demanda Tom, tout heureux de participer à ce qu’il percevait comme une palpitante aventure. C’est marqué…A66b.

-         Sûrement une annexe, une autoroute en travaux, et rien que pour nous! Je sens déjà le moelleux de mon lit.

Ils étaient repartis, la voiture roulait à toute vitesse au milieu de la route, personne en face, personne derrière. Rien ne pouvait les arrêter. Et ce silence, qu’il était bon de l’écouter. Mais pourtant, Estelle n’avait pas l’esprit tranquille.

-         Tu es sur de ce que tu fais là ? demanda t-elle.

-         Ne t’inquiètes pas, répondit Franck avec un léger sourire. On ne fait que suivre l’A66. Tu vois cette ligne de lumières la haut ? C’est le bouchon auquel on a échappé, si on le longe comme ça assez longtemps on finira bien par arriver à la prochaine ville.

En effet Estelle apercevait une ligne de lumière sur la cime de la colline par dessus l’épaule de Franck, à quelque centaines de mètres de là. L’aura jaune et rouge des phares, bien qu’elle n’éclaira qu’un maigre carré de ciel, la réconforta un peu, sa présence lui donnait quelque chose à se raccrocher alors qu’elle avançait sur cette route désaffectée perdue au milieu de nulle part. Franck n’avait peut-être pas eu une si mauvaise idée après tout, se prit-elle à penser en se tournant à nouveau vers sa vitre. Avant qu’ils ne partent en vacances, Franck ne s’était pas ménagé. Pendant plusieurs jours de suite il avait passé le plus clair de son temps barricadé dans l’atelier qu’il s’était installé dans la cave. Personne ne devait le déranger, sous aucun prétexte. Il avait fermé la porte à clé. Soudain, sans trop savoir comment elle avait fait son compte, Estelle se tenait là, seule dans le couloir qui menait aux sous sols. Qui avait éteint la lumière ? Et que faisait-elle ici ? Tom était tout seul à l’étage, il fallait qu’elle aille le surveiller avant qu’il ne lui arrive malheur. Il fallait qu’elle trouve le chemin vers l’escalier, vers l’escalier, vite. Les briques s’effritaient sous ses doigts alors qu’elle tentait d’avancer à tâtons dans la pénombre. Ses yeux scrutaient les ténèbres lorsque, sortie de nulle part, un fin rai de lumière jaunâtre filtra à travers les ombres épaisses. C’était la porte de la cage d’escalier, elle l’avait trouvée. Sa main se posa sur la poignée, mais une sensation désagréable s’empara de son être. Dans sa paume le toucher salvateur du bois poli s’était transformé en quelque chose de froid, métallique, couvert de rouille. La jeune femme tenta d’ouvrir la porte, mais les gonds demeuraient immobiles. Quelqu’un l’avait fermée à clé. Un cliquètement de ferraille se fit entendre à l’intérieur, juste avant que la porte ne s’ouvre en grand. Le panneau de bois claqua contre la cloison dans un fracas effroyable tandis que la lumière se jetait au visage d’Estelle. Une silhouette aux contours familiers se tenait dans l’embrasure.

-         Ah tu es là, forma une voix haletante. Viens, viens voir ce que j’ai fait.

Les derniers mots sonnèrent comme un ordre glacial aux oreilles d’Estelle. Une main ferme s’empara de son poignet, avant qu’elle ne pût dire un mot on l’attirait à l’intérieur. La porte se referma derrière elle. Une ampoule grésillante se balançait au plafond, la pièce était maculée d’éclats de gouache, le sol recouvert de vieux journaux, il y régnait une forte odeur de solvant.

-         Pourquoi ? s’écria soudainement Franck dans un râle désespéré.

Il se tenait devant un grand chevalet sur lequel reposaient tous ses tubes et ses pinceaux. Ses bras levés en croix semblaient vouloir cacher le tableau qui était exposé dans son dos. Son visage était couvert de poussière, ses traits se tordait douloureusement comme s’il était au bord des larmes. Mais dans ses yeux sombres, c’était la colère que l’on lisait d’abord.

-         Tu es contente de toi pas vrai? cria t-il de tout son souffle. Eh bien regarde ce que tu   m’as fait faire. Regarde!

Disant cela Franck s’écarta de devant le tableau. Sur la toile s’étendait les pétales sèches d’une rose fanée, qui courbée dans un vase ébréché semblait vouloir toucher le sol de ses feuilles. La fleur était tordue, déchirée, sur ses épines qui avaient tourné au gris pâle perlaient des gouttes d’un sang noir, qui s’écoulait lentement dans l’eau.

-         Alors, ça te plait ? interrogea Franck avec un sourire dément sur les lèvres. Je l’ai appelé Lever de Soleil sur Bilbao. Dis moi, qu’est-ce que tu en penses ?

Des gouttes de sueur étaient apparues sur le front de la jeune femme. Il faisait vraiment chaud dans cette pièce. Quelque chose n’allait pas. Franck était très près d’elle, ses cheveux étaient en pagaille, Estelle venait juste de remarquer que de profondes blessures marquaient le visage méconnaissable de son mari.

-         Alors, tu aimes ce que j’ai fait ? répéta Franck dont la voix se faisait plus forte, ponctuée d’une pointe d’agacement.

Estelle se tourna à nouveau vers la toile sans trop y penser. Sa tête était en feu. Son souffle s’arrêta un instant lorsqu’elle vit ce qu’il était advenu du tableau. La rose avait disparu, à la place un ours en peluche brun avait été peint sur un fond rouge. L’ours était déchiré en deux, de la mousse s’échappait abondamment de ses entrailles.

-         Regardes ce que tu m’as fait faire !

Le cri n’avait rien d’humain. Estelle fut prise d’un violent frisson, une fois encore elle se tournait vers Franck. Aucun son ne pût s’échapper de sa bouche lorsqu’elle vit la monstruosité qui avait pris la place de son mari. La peau avait fondu, ses os étaient cabossés, il n’était que griffes et dents grinçantes, hurlantes et sifflantes. L’air de la pièce était ardent, les pieds d’Estelle semblaient collés au sol. Dans un effort surhumain elle parvint à s’arracher de sa stupeur pour courir vers la porte. Il ne l’avait pas verrouillée. La poignée était brûlante, impossible de la saisir. Une main difforme vint se poser sur son épaule. Dans un éclair, Estelle vit une dernière fois la pièce, Franck, les toiles entassées dans un coin, l’ampoule qui se balançait au plafond. Le tableau qui était sur le chevalet avait encore changé.

-         Papa !

La voix de Tom lui fit l’effet d’un choc électrique. Les gouttes de pluie s’écrasaient toujours sur sa vitre. Elle était de retour dans la voiture.

-         Papa, la lumière la bas, elle s’éloigne!

-         Qu’est-ce que tu racontes Tommy ?

Loin derrière eux, comme suspendue dans le ciel, la file des phares dérivait lentement dans la nuit. Combien de temps Estelle était-elle restée endormie ? Le souvenir de son cauchemar frissonnait encore en elle, la terreur qu’elle avait ressentie lui avait semblé si réelle, et bien qu’elle se soit réveillée, elle sentait que cette terreur avait pris racine dans son être. Ils devaient faire demi-tour, ils n’avaient rien à faire ici, elle le savait, et bientôt il serait trop tard, ils ne pourraient plus rebrousser chemin. Mais loin derrière eux l’obscurité engloutissait déjà les voitures de l’A66, jusqu'à ce qu’il n’en resta qu’un minuscule point de lumière à l’horizon, puis bientôt, on n’en vit plus rien.

-         Franck, dit Estelle qui avait du mal à poser sa voix. On doit faire demi tour, maintenant, tu vois bien que ça ne mène à rien.

Son mari se tourna vers elle, une expression d’étonnement amusé sur le visage. La vision de la chair en lambeaux et des crocs acérés s’imposa d’emblée à l’esprit d’Estelle.

-     On est presque arrivés je te dis, ce serait dommage de…

-         Arrête! coupa Estelle dans un cri désespéré. Je t’ai assez fait confiance, n’importe quelle personne censée aurait déjà fait demi-tour depuis longtemps. Il faut revenir sur la route, tu m’entends? Il le faut!

Le silence était tombé. La voiture continuait son train d’enfer sur cette route de nulle part. Du siège arrière, un faible sanglot ravalé se fit entendre à travers le vacarme sourd de la pluie. C’est à cet instant que la lumière apparut dans la nuit. Sur le bas coté, encore assez lointaine, mais s’approchant d’eux à une vitesse considérable, une station service semblait les attendre.

-   Je pense qu’on aurait tous besoin de faire une pause, dit Franck d’une voix amère.

Pour la première fois depuis de nombreuses heures, le moteur s’arrêta. Ils traversèrent le parking au pas de course et leurs manteaux par dessus la tête tandis que du ciel s’abattait le déluge. A la lumière des quelques lampadaires, ils ne virent aucune autre voiture garée aux alentours, pas une silhouette devant les vitrines du magasin de souvenirs à coté de l’entrée. Pourtant, les portes automatiques s’ouvrirent, alors qu’ils se réfugiaient sous le porche. Tout semblait si brutalement clair à l’intérieur. La salle de repos baignait toute entière dans la lueur blanche du carrelage immaculé, ça sentait le propre, le neuf, une série de fauteuils vert pomme rangés contre le murs était encore conservée sous plastique. A travers une grande baie vitrée peinte aux couleurs de la région, on pouvait voir les tables du réfectoire disposées autour d’un long buffet de bacs vides.

-         C’est vachement grand ici ! s’exclama Tom comme pour conjurer le silence.

-         Qu’est ce qu’une station comme ça fait-elle là ? dit Estelle à travers les voiles confus du sommeil qui luttait encore avec son esprit. Qu’est ce que c’est ? Une blague ? Où sont tous les gens ?

-         La station n’a pas dû être ouverte au public, techniquement la route non plus n’est pas encore ouverte donc ça ne m’étonne pas trop, répondit Franck en secouant son imper. Pour l’instant occupons nous de trouver quelque chose à manger ici, avec un peu de chance les réserves ont déjà été faites.

La lumière agressait encore l’œil d’Estelle. Les autres n’avaient pas vraiment l’air d’en souffrir, comme si l’impeccable blancheur du lieu n’en avait qu’après la jeune femme affaiblie par la fatigue. Elle avait hâte d’en finir avec cet endroit, qu’elle puisse repartir, n’importe où, du moment qu’elle y trouverait un lit. Ils avaient fini par mettre la main sur d’épaisses tranches de pain, conservées dans un réfrigérateur qui aurait pu contenir deux hommes, puis Tom avait déniché une boite de fruits au sirop dans un coin de la cuisine.

-         On laissera un billet sur le comptoir, déclara Franck à l’adresse d’Estelle une fois qu’ils furent assis dans le réfectoire.

Mais au lieu des reproches qu’il attendait, Franck fût confronté au silence de sa compagne, qui, la tête dans les mains, les coudes sur la table, n’avait pas encore touché à son encas.

-         Quelque chose ne va pas chérie ?

Estelle se redressa péniblement sur sa chaise. Elle pensait que son mal se calmerait avec un peu de marche, elle le pensait vraiment. La lumière était moins brutale dans le réfectoire, et pourtant, des petites étoiles noires avaient commencé à s’allumer devant ses yeux sur fond de table beige.

-         Je ne sais pas ce qui m’arrive, articula t-elle d’une voix pâteuse, je ne me sens pas très bien. C’est comme si j’étais dans un bateau qui tangue, ça ne m’a jamais fait ça avant.

-         Tu dois être exténuée, la route à été longue. Laisse moi deux minutes, je vais chercher la pharmacie dans la voiture, je sais exactement ce qu’il te faut.

Franck était sorti de son champ de vision. Estelle entendit la porte de la cantine se refermer sur son mari, le claquement métallique vrilla dans sa tête, sur la table des constellations de points clignotants avaient vu le jour. Sa main agrippa solidement la chaise.

-         Maman? demanda la voix inquiète de Tom. Où est-ce que tu vas ?

Estelle s’était levée à grand mal. Ses mains tremblaient comme folles à présent, et cela ne présageait rien de bon.

-         Il faut…il faut que je me passe de l’eau sur le visage mon poussin, répondit-elle du mieux qu’elle pût, et tenta d’esquisser un sourire qui ne devait ressembler qu’à un rictus crispé. Restes là bien sage d’accord ? Je reviens dans peu de temps.

Les tables dansaient sur le damier du carrelage, chaque pas vers la porte du réfectoire l’affaiblissait un peu davantage. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Les étoiles noires ne l’avaient pas quittée, maintenant elles se projetaient sur les banquettes vertes, les tableaux au mur, la salle de repos à travers la baie vitrée. Elles se multipliaient. Son monde tournait dans une ellipse nauséeuse, bientôt elle ne vit presque plus les couleurs, ses sens s’amenuisaient, et entre les lambeaux de son esprit, elle n’aurait su dire si ses pas la faisait avancer ou reculer. Marchait-elle encore au moins ? Non, elle ne marchait plus. D’un coup d’un seul, sa vision était revenue. Estelle se regardait dans le miroir des toilettes, l’eau coulait abondement du robinet dans ses mains, la sueur ruisselait à son front. Sa chemise était trempée, un coup à attraper la mort. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Une douleur distante demeurait dans un coin de son crâne, mais les étoiles avaient disparu de devant ses yeux. Elle coupa l’eau du robinet et tenta tant bien que mal de mettre un peu d’ordre dans ses cheveux. Ce ne fût qu’a cet instant qu’elle remarqua la lueur jaunâtre qui peignait son visage. Une vive lumière s’échappait de la fenêtre des toilettes, ça venait de dehors, l’angle du bâtiment en cachait la source. Puis qu’est-ce que c’était que cette odeur ? Un frisson glacé avait parcouru sa colonne vertébrale, la porte des toilettes s’était ouverte à la volée puis elle s’était mise à courir dans le couloir. Des éclats de pensées volaient dans sa tête. Cela venait du parking. Elle savait que quelque chose était arrivé, elle savait que cet endroit n’était pas normal. Ses jambes la portèrent avec une aisance incroyable à travers le magasin de souvenirs. Elle avait essayé de les prévenir. Elle y était presque. Ils auraient dû partir. La salle de repos baignait dans la lumière, les portes automatiques s’ouvrirent. A travers la nuit striée de pluie, une fumée noire s’élevait au dessus des pompes à essence. Alors tout lui revint. Le jerrican renversé au sol, la peinture bleue fondant sur la tôle, leur voiture en proie au feu, des flammes rouges et jaunes léchant le toit de l’auvent en béton. C’était le tableau de son rêve, celui qu’elle avait aperçu avant de se réveiller, elle le voyait de ses propres yeux, ses yeux que la chaleur piquait. Le feu sifflait rageusement, pestant et crachant, agitant ses bras bien au dessus des têtes, et les flammes grandissaient. Estelle se tenait là.

-         Franck !

Le cri déchira l’espace. Où était-il passé ? Que s’était-il passé ? Estelle ne pouvait plus penser, chaque appel perdu dans le vide ajoutait un peu à l’angoisse. Franck n’apparaissait pas, elle ne pouvait le voir nulle part. Estelle se tenait là, sous la pluie, la peur guettait sa proie, et la voix désespérée qui s’élevait dans le noir parvenait à peine à percer le grondement du brasier. La nuit fermait sur elle un couvercle de fumée.

22800 caractères word.

Résumé

 

 

Chapitre 1

Estelle, Franck et Tom prennent la route des vacances. Le soir tombe et les bouchons aidant, la famille emprunte une sortie fermée au public pour se retrouver sur l’A66b, une autoroute déserte. Estelle se réveille d’un rêve étrange, alors qu’ils aperçoivent une aire de repos au bord de la route, dans laquelle ils ne trouvent personne, mais décident de faire une pause. La mère de famille se sent mal, Franck va chercher des médicaments dans la voiture. Lorsque Estelle part à sa rencontre, la voiture est en proie aux flammes, et son mari semble avoir disparu dans la nuit.

Chapitre 2

La voiture est vide à ce qu’elle peut en voir. Estelle appelle son mari à grands cri, elle s’éloigne un peu de l’aire d’autoroute, mais les alentours sont déserts et silencieux. Elle pense entendre une voix dans le vent, et ressent le besoin de rejoindre Tom au pas de course. Il est toujours dans le réfectoire, sa mère ne lui dit rien de ce qui s’est passé. Elle pense que quelqu'un a enlevé Franck, et elle se sent espionnée.

Chapitre 3

Estelle veut téléphoner, mais son portable était dans la voiture. Dans son empressement elle en avait oublié l’incendie. Elle sort avec un extincteur, seulement pour voir que le feu a encore gagné du terrain, complètement hors de contrôle, menaçant de faire exploser les pompes.

Chapitre 4

Pas question de quitter la station dans la nuit, Tom tombe de sommeil, ils installent de quoi dormir à l’autre bout bâtiment. Estelle cherche un téléphone fixe mais sans succès. Quelqu’un finira bien par voir le feu, les secours devraient arriver. Alors qu’elle monte la garde, Estelle somnole. Une voix lui parvient dans son demi sommeil, qui la prévient du danger imminent qu’elle encourt.

Chapitre 5

Estelle se réveille et surprend une silhouette errant autour de la station. Elle décide de se barricader dans le bâtiment, Tom l’aide à bouger des meubles devant les vitres et les portes. Estelle trouve un moyen de verrouiller l’entrée automatiques dans les locaux des agents de la sécurité, et y trouve un pistolet chargé, qu’elle garde à sa ceinture. La voix revient, Estelle ne sait pas si elle doit mettre cela sur le compte de la fatigue ou du paranormal.

Chapitre 6

Le feu gagne les pompes et tout explose, les vitres sont soufflées, l’entrée du bâtiment est endommagée. Leur barricade n’est plus sure. Estelle se demande si ils doivent quitter les lieux, lorsqu’un conducteur égaré, guidé par l’incendie, fait son apparition sur le parking. Persuadée qu’il s’agit du ravisseur, Estelle l’abat froidement.

Chapitre 7

Bien que l’homme ait été tué, Estelle se sent toujours observée. La voix la persuade que tout cela n’était qu’une ruse de Franck, qui se cache en attendant le moment de frapper. Il aurait eu du mal à accepter le divorce qui se préparait, et en aurait après Tom. Estelle décide de quitter la station et d’avancer sur la route.

Chapitre 8

Après quelques minutes de marche, ils se rendent compte que l’eau barre la route, et doivent couper à travers champs. Tom est extrêmement fatigué. D’un coup, le garçon disparaît, Estelle sait que Franck les suivait, et a réussi à l’enlever.

Chapitre 9

Estelle ne sait plus quoi faire, la voix résonne dans sa tête plus fort que jamais. Soudain, elle sent que Franck avance vers elle.

Chapitre 10

Confrontation finale et révélations.

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