Abandon de poste
Sélène Alys
Debout dans l’entrée et bien qu’accompagnée de ses parents, Sara observait Kyrill avec une attention toute particulière. Si sa famille s’était montrée observatrice – ce qui n’avait jamais été le cas – elle aurait remarqué que bien Kyrill était magnifique. Debout devant la porte d’entrée de la salle de réception, à l’intérieur même du consulat, il procédait à la vérification des identités de chaque invité. Lui aussi avait adopté une attitude distante et réservée, obligatoire dans ce genre de situation.
Une attitude qu’elle avait bien l’intention de lui faire quitter.
Sur les traces de ses parents, elle prit place dans la file d’attente. Kyrill dominait les invités de toute sa hauteur : 1m90 de militaire au corps parfait souligné par son uniforme blanc à col mao. Avant de le rencontrer, elle n’avait jamais trouvé le moindre attrait aux uniformes. Désormais, ils la faisaient fantasmer, à tel point qu’elle devait faire un effort sur elle-même pour ne pas les suivre du regard lorsqu’elle en croisait.
Kyrill et son collègue étant plutôt efficaces, la file avançait rapidement. Lorsque leur tour arriva, ses parents présentèrent l’un après l’autre leurs identités. Kyrill les laissa passer sans discuter. En vérité, il n’aurait même pas eu besoin de procéder à la moindre vérification avec eux : l’ambassadeur et sa femme étaient des visages connus. Et Kyrill les reconnaissaient d’autant plus aisément depuis qu’il avait rencontré Sara.
Elle avança devant lui, le sourire aux lèvres, incapable de masquer la malice qui faisait pétiller son regard. Exactement la même qui animait les magnifiques yeux d’ébènes du jeune militaire.
Nonchalamment, il prit sa carte d’identité pour la comparer à celle de la liste d’invités, prenant plus de temps que nécessaire pour comparer la photo qui y figurait à son propre visage. Son regard passait des yeux peut-être un peu trop maquillés de Sara à ses lèvres souriantes, tandis qu’il retenait les siennes de s’étirer dans un sourire de connivence.
Alors qu’il ouvrait la bouche pour la laisser passer, elle lui tandis son sac à main, un petit réticule ridicule qui lui permettait plus de compléter son élégante tenue que de transporter ses affaires.
-Vous ne fouillez pas ? questionna-t-elle.
Le second militaire la regarda avec étonnement. A cause de sa proposition ou parce qu’elle avait été incapable de la faire sans mettre un accent aguicheur dans sa voix ? Kyrill , lui, saisit son sac et l’ouvrit sans hésiter. Plongeant le regard à l’intérieur, il fut –enfin !- incapable de retenir son sourire, creusant ses adorables fossettes sur ses joues. Il lui lança un regard entendu – qu’elle trouva terriblement excitant – avant de lui rendre son sac, puis s’écarta poliment pour la laisser passer. Elle le remercia d’un sourire et rejoignit ses parents qui l’attendaient un peu plus loin. Avant d’entrer dans la salle de réception, elle alla récupérer dans son sac le petit mot qu’elle avait placé au fond, le froissa et le jeta dans la poubelle la plus proche dans un geste qu’elle voulait désinvolte.
Ainsi, personne ne pourrait savoir qu’elle y avait écrit combien elle le trouvait désirable dans son uniforme, ni combien elle avait envie de lui… maintenant.
Pendant qu’on les menait à leur table, elle ne pouvait s’empêcher d’observer les autres militaires présents et de se dire qu’aucun d’entre eux ne portait son uniforme aussi bien que Kyrill . Bientôt, il allait falloir qu’elle se rende à l’évidence. Ses fantasmes ne venaient pas de l’uniforme.
*
**
Le discours était interminable. Elle savait que c’était inévitable dans ce genre de soirée, pourtant son attention diminuait et l’ennui débutait dès l’instant où le premier intervenant montait sur l’estrade.
Toutefois, cette fois-ci était différente. Pour la première fois, elle avait plus intéressant à s’occuper.
Kyrill se trouvait derrière elle, sur sa droite, à garder la porte d’entrée. Il se tenait parfaitement droit, les mains le long de son corps, mais alors que le regard de son collègue était fixe, le sien papillonnait de l’estrade à… elle.
Il fallait dire que depuis sa table, elle ne le quittait pas des yeux. Chaque fois que leurs regards se croisaient, une agréable chaleur l’envahissait. Elle savourait la vue avec d’autant plus de délectation que lui-même n’était pas en droit de réagir. Elle savait qu’elle le dérangeait dans son travail, qu’elle le déconcentrait… et pour tout dire, détenir ce pouvoir sur lui contribuait à son excitation grandissante.
Elle s’appuya contre le dossier de sa chaise, fixant son visage jusqu’à ce que leurs regards se verrouillent l’un à l’autre. Un sourire mutin écartant ses lèvres, elle croisa les bras sous sa poitrine pour la faire remonter, presque la faire s’échapper de son décolleté plongeant. Comme prévu, il ne put s’empêcher de suivre leurs mouvements des yeux. Elle vit ses lèvres s’entrouvrir, sa langue pointait alors qu’il s’apprêtait à se lécher les lèvres, puis se refermer vivement au moment où il réalisait ce qu’il était en train de faire.
Bien entendu, elle n’allait pas le laisser s’en sortir aussi aisément. Dans un mouvement à la lenteur étudiée, elle releva sa jambe droite pour la croiser par-dessus la gauche. Sans qu’elle n’ait à décroiser les bras pour s’en occuper, la fente de sa robe s’ouvrit, dévoilant sa jambe sur toute sa longueur, le bas qui la gainait et la jarretelle qui le retenait. Rouge. Cette fois-ci, à sa grande satisfaction, Kyrill mit de longues secondes avant de retrouver son sang-froid. Il fut contraint de se concentrer sur le soporifique orateur… bien qu’à en voir la tension de son pantalon, cela soit loin de suffire.
Elle pivota sur sa chaise pour se retrouver face à l’estrade. Etait-ce bien le regard de Kyrill qu’elle sentait caresser sa peau ? Elle l’espérait et, de toute façon, n’accepterait pas que qui que ce soit d’autre en profite. Fermant les yeux, elle l’imagina inspectant chaque parcelle de son corps depuis l’entrée, elle anticipa son désir, tenta de deviner ses pensées… elle les espérait aussi peu chastes que les siennes.
Elle laissa passer quelques minutes – d’interminables minutes – avant de se lever de sa chaise. Après avoir glissés quelques mots à sa mère, se penchant légèrement de façon à satisfaire Kyrill , elle se dirigea vers la porte. Elle aurait pu sortir tout simplement… au lieu de cela, elle se plaça devant Kyrill et demanda, à voix basse, ignorant volontairement le regard voilé de désir qu’il posait sur elle alors qu’il prononçait d’une voix rauque :
-Mademoiselle ?
-Je ne connais pas bien les lieux, répondit-elle avec une innocence feinte. J’ignore où se trouvent les toilettes et j’aurais besoin d’un guide. Accepteriez-vous de m’accompagner ?
Il jeta un coup d’œil à son supérieur, qui lui signifia son accord d’un signe de tête discret.
-Veuillez-me suivre.
Il ouvrit la porte, s’écarta pour lui permettre de la précéder, puis la suivit. Il salua ses collègues gardant ce côté-ci de la salle avant de passer devant elle pour la mener dans les couloirs. Elle en profita pour détailler sans retenu le superbe fessier du jeune homme, qui tendait agréablement le pantalon blanc. Elle dû se faire violence pour ne pas tendre la main et les caresser du bout des doigts. Elle aimait jouer, mais pas aux dépends de Kyrill . Tout du moins, elle avait quelques limites, et tripoter un militaire à la vue de tous était autre chose que le provoquer.
*
* *
Lorsqu’ils furent seuls, toutefois, il se retourna, la saisie par le poignet pour l’attirer à lui et marmonner entre ses dents sur le ton de la colère – feinte, bien sûr :
-Tu joues avec moi sur mon lieu de travail ?
Le regard rivé sur les lèvres de Kyrill , elle répondit simplement, dans un souffle :
-Oh oui…
Ses lèvres tout contre les siennes, il sourit… et recula d’un pas pour lui désigner une porte :
-C’est ici. Prenez votre temps, Mademoiselle, et soyez sans crainte. Je garde l’entrée.
Surprise, elle se retourna pour vérifier que personne ne les avait rejoints. Ils étaient bien seuls.
C’était donc bien du machiavélisme qu’elle lisait dans ce sourire. Il ne la quitta pas des yeux alors qu’elle ouvrait la porte devant lui et disparaissait à l’intérieur, bien décidée à jouer le jeu jusqu’au bout.
Là, elle alla devant le miroir pour vérifier si tout allait bien. Elle avait les joues rouges, mais elle s’y était attendue. La proximité de Kyrill lui faisait toujours cet effet. Le décolleté de sa robe était toujours aussi profond… mais pas encore assez à son goût. Puisqu’ils étaient seuls dans ce couloir, elle tira un peu sur sa robe pour la porter à la limite de son soutien-gorge, de façon à ce que la dentelle rouge se devine à la lisière de sa robe noire. Elle imaginait Kyrill faire beaucoup de choses avec. Principalement avec ses lèvres.
Kyrill . Dans son uniforme. Juste devant la porte, à quelques mètres d’elle. Alors qu’elle était bouillante de désir.
Elle ressortit, posa une main légère sur l’épaule du beau militaire pour attirer son attention. L’expression qu’il lui renvoya faillit la désarmer. Un désir aussi intense que le sien, voilà ce qu’elle ressentait, un désir qui s’accru encore lorsqu’il baissa les yeux sur sa poitrine.
Elle se rapprocha de lui de telle sorte que ses seins frôlent son uniforme, sa robe sombre contrastant élégamment avec sa tenue immaculée. Sa main glissa sur l’épaulette de Kyrill jusqu’à son col, qu’elle dégrafa d’une main experte.
-Quelle est la sanction pour avoir fauté en plein service ? demanda-t-elle d’une voix sensuelle.
Encore une fois, ce sourire, ce regard… et cette érection tout contre elle. Pourtant, il parvenait à rester immobile. Il avait plus de maitrise qu’elle.
-Je l’ignore, répondit-il de sa voix grave si excitante. Je n’ai jamais eu à la subir.
Elle défit le premier bouton de sa veste, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour porter ses lèvres à quelques millimètres de celles de Kyrill. Elle voulait dire quelque chose, mais il choisit cet instant pour la saisir par la taille et la plaquer tout contre lui.
Malgré la brusquerie de son geste et contre toutes ses attentes, il posa délicatement ses lèvres contre les siennes, pour lui délivrer un baiser d’une grande tendresse. Elle adorait ça… mais ce n’était pas ce qu’elle voulait, ce qu’elle attendait, ce qu’elle désirait. Il jouait avec elle. Il savait ce qu’elle souhaitait… et ça n’avait pas grand-chose à voir avec de la tendresse. Bien décidée à obtenir ce qu’elle voulait, elle prit le contrôle de leurs baiser, le rendit passionné, torride… Kyrill parvint à garder le contrôle de lui-même quelques secondes encore… mais pas plus. Il la serra un peu plus fort contre lui, se baissa pour lui permettre de se reposer sur ses pieds et pour plus de puissance à leur baiser.
Lorsque leurs lèvres se séparèrent enfin, alors que la main de Kyrill s’était glissée dans l’échancrure de sa robe pour jouer avec sa jarretelle, elle demanda, le souffle court :
-Tu crois qu’il y a des pièces libres ici ?
Pour toute réponse, il la prit par la main et l’entraina à deux pièces de là. Effectivement, elle était vide. Comble de bonheur, sa porte comportait un verrou.
*
**
Plus tard, elle déverrouillait la porte pendant que Kyrill se rajustait derrière elle. En cet instant, elle regrettait d’avoir mis des talons aussi hauts : ses jambes flageolaient. Avant qu’elle n’ouvre la porte, un bras puissant la saisie à la taille et la plaqua contre le corps ferme de son amant. Ses lèvres se posèrent sur sa nuque. La peau encore à vif, elle ne parvint pas à retenir le gémissement qui monta à ses lèvres.
-Tu as été une vilaine fille, murmura-t-il à son oreille. Tu as détourné un brave militaire de son devoir.
Un rire monta à sa gorge. Elle se retourna entre ses bras, déposa un baiser sur le menton de son amant :
-Oui, et je recommencerais, encore et encore et encore…
Il la fit taire d’un baiser. Alors qu’elle ouvrait enfin la porte pour retourner à la réception, elle l’entendit murmurer :
-Pourvu que tu tiennes parole.