Accident

Jean Marc Kerviche

Compétition entre deux voitures sur le périphérique

Accident

            Il fut un temps, je travaillais au moins un week-end par mois pour réaliser l'adjonction d'une armoire, d'un bâti, le rajout d'un caisson de lignes de réseau ou une extension de postes sur une installation téléphonique existante, voire le changement total d'une installation par une autre en lieu et place de l'ancienne… les travaux ne pouvant être exécutés qu'en dehors des heures de travail du personnel des sociétés où s'effectuait le remplacement.  

            Quelques fois je me faisais assister par des collègues monteurs câbleurs ou techniciens sur des installations importantes de plus d'une centaine de postes et plus d'une soixantaine de lignes de réseaux avec le remplacement des éléments de la batterie, des pupitres des opératrices, du chargeur et des répartiteurs.  Je me souviens encore d'Union-Carbide à Rungis, plus de six armoires, de Massey Ferguson à Athis-Mons, plus de huit, de Johnson à Saint-Ouen-l'Aumône, une bonne dizaine… j'en passe et j'en oublie… les souvenirs me reviennent de temps à autre… Quand j'y pense encore aujourd'hui, je réalise que je travaillais comme un dingue…

            Bref, j'œuvrais du Vendredi soir, après ma journée de travail, au Dimanche, dans la soirée et ce qui était loin d'être rare, jusqu'au Lundi matin aux aurores. Je rentrais toujours dormir chez moi avant de reprendre le travail le lendemain matin en quittant mon client parce que j'avais atteint un niveau de fatigue me causant plusieurs erreurs. La troisième erreur était le signal que je m'étais fixé pour arrêter et partir me reposer. Et ce que je vais vous narrer est une histoire qui aurait pu se terminer pour moi tout autrement.

            On m'avait requis pour faire le remplacement de quatre installations téléphoniques dans une zone industrielle de la Courneuve longeant l'autoroute A1 chez des clients ayant comme noms, Fouya, Blanc, Lang, Somatrans, et je ne sais plus lequel se rattache cette anecdote qui aurait pu m'être fatale. Un évènement inattendu lors d'un retour chez moi en voiture vers minuit ou une heure du matin dans la nuit du samedi au dimanche.

            Je quittais donc mon client pour prendre la direction de la Porte d'Aubervilliers et m'engageais sur le périphérique. A cette époque, dans les années 75, 76, 77 il n'y avait aucune limitation de vitesse sur le périphérique et l'on pouvait allègrement rouler à 100, 120 sans problème. Pour rejoindre Tournan, à cette heure de la nuit, il ne fallait que trois quart d'heure en roulant à 110 sur le périphérique et à plus de 140 sur l'autoroute A4. Je n'avais qu'un objectif, rentrer chez moi le plus vite possible pour me reposer.

            Cette nuit-là, ce devait être vers minuit une heure du matin, je roulais donc à vive allure sur la voie la plus à gauche quand, arrivé vers la porte de Pantin, un autre véhicule juste derrière moi commença à me faire des appels de phares. Ma vitesse étant déjà excessive, je ne me voyais pas me rabattre pour le laisser passer, d'autant plus que d'autres véhicules sur ma droite auraient gêné ma tentative.

            J'accélérais donc pour distancer l'importun et nous sommes rapidement montés au-delà de 130 à l'heure… et toujours derrière moi, le gars continuait à me faire des appels de phares. En un éclair, nous avons passé la porte du Pré-Saint-Gervais et entamions la remontée vers la porte des Lilas toujours pied au plancher. Et toujours gêné par des véhicules sur la voie la plus à droite, il était trop risqué pour moi de me rabattre à cette vitesse.

            Arrivé sous la Porte des Lilas, à la fois gêné par ses pleins phares toujours derrière moi, je découvris soudain à moins de 100 mètres face à moi, un véhicule à l'arrêt sur la voie la plus à gauche. Il paraissait impossible de l'éviter à cette vitesse.

            Comment ai-je pu braquer aussitôt mon volant vers la droite sans me soucier si je pouvais le faire ou pas ? Je me pose encore la question. Soit, je perdais le contrôle de ma voiture et terminais en tonneau, soit je heurtais sur ma droite une voiture et s'il y en avait eu une, c'en était fini pour moi.

            De justesse, devrais-je dire miraculeusement, j'évitais le véhicule stationné pour voir immédiatement dans mon rétroviseur une gigantesque flamme provoquée par une énorme explosion, la voiture qui me suivait n'ayant pu éviter le véhicule en stationnement.

            A la vitesse à laquelle je roulais, j'étais déjà loin, ne demandais pas mon reste et trop heureux d'avoir échappé à ce qui venait de se passer, comme ayant frôlé la porte des enfers, je continuais ma route à vitesse plus réduite.

             Le lendemain, afin de reprendre le travail où je l'avais laissé, je reprenais le périphérique, et arrivé au niveau de l'endroit où s'était déroulé l'accident je ralentissais, pour observer sous les glissières de sécurité dans l'autre sens, à même le sol, une trace de bitume fondu.

            C'était lui ou moi… ce fut lui !

            Cet accident me laissa quelques traces… acceptant toujours des chantiers le week-end, je ne rejoignais plus mon domicile pour dormir. Je dormais sur place, dans les canapés directoriaux, les fauteuils des salles d'attente, dans les lits destinés aux familles nécessiteuses notamment chez O.S.E., voire très souvent à défaut, à même la moquette, mais je ne reprenais plus le volant à moitié endormi.   

            J'ai été témoin au cours de ma vie professionnelle de nombreux accidents, ai pu voir quantité de dommages, tant matériels qu'humains. Des corps allongés sur le bord de l'autoroute A4 recouverts par des plaids, un corps démembré d'un motocycliste par des glissières de sécurité au niveau de la Porte de Bagnolet, les jambes d'un côté le corps de l'autre, un enfant au sol, la tête enfoncée sanguinolente du côté de Chatenay-Malabry, et sur la RN4 entre Ozoir et Ponteau-Combault, une femme encore assise à son volant, geignant, le moteur de sa voiture au niveau de ses jambes…         Je me souviens d'un de mes plus proches voisins ayant été pris entre deux camions à la hauteur de la Porte de Charenton. Il s'en était sorti… malheureusement handicapé. Sa vie en a été totalement bouleversée.

            Aujourd'hui, les vitesses ont été réduites : 70 sur le Périph', 30 en ville, 80 sur les routes, 130, voire 110 sur les autoroutes et les gens se plaignent encore.

            Ne vaut-il pas mieux perdre quelques minutes et garder sa vie ?  

Signaler ce texte