A.D suite

maybeek

Je ne dis mot ; j'étais bien trop occupée à essayer de dissimuler le sourire niais qui s'obstinait à s'afficher sur mon visage. J'étais la définition même d'un livre ouvert ; mes grands yeux noirs trahissaient systématiquement mes émotions. Je me m'assis face à mes amies. La discussion reprenait. Sans moi. Moi, j'étais perdue dans un océan d'incompréhension ; que venait-il de se passer ? Et puis surtout, pourquoi étais-je autant perturbée ? Finalement, ce n'est qu'un pur inconnu ! Pendant que toutes ces questions et pensées tournoyaient dans mon esprit, j'eus la mauvaise idée de relever les yeux. Il était là. Affichant son sourire le plus malicieux. Ses yeux me perçaient le cœur et l'esprit. Je me concentrais pour détacher mon regard du sien. Observe-le, Maya. Observe-le et tu sauras qui il est. Jeans retroussés jusqu'aux mollets ; baskets usées jusqu'aux lacets ; vélo très certainement dérobé. 

Il disparu de ma vision et à la seconde même, j'oubliais ses traits.

Bon sang, a quoi ressemblait-il déjà ? Avait-il même existé ? Seuls les battements de cœur frénétiques me le confirmaient. 

Puis soudain, on le héla. Enfin, Nazia le héla. 

"Hey toi, garçon, reviens ! Reviens, elle est célibataire". 

A ce moment, je me mis à prier des choses insensées ; tout, absolument tout ce qui pourrait me sauver de cette situation était bon à prendre. Si on m'avait proposé de m'engager dans l'armée, je l'aurais fait.  Sauter d'un avion sans parachute ? je l'aurais fait. Dormir entourée de cafards et limaces ? Sans soucis. M'imbiber de soude caustique ? Sans réfléchir. J'aurais tout fait pour ne pas sentir le regard malicieux et noir ébène de cet inconnu.  

J'osais relevé les yeux vers lui ; sa cautèle m'éblouit. Il souriait, visiblement amusé de mon embarras. 

" Salut !" 

Je ne bougeais plus. 

"Ca va ?" 

Je ne respirai plus. 

"Alors vas-y, note son numéro, c'est moi qui vais te le donner" dit Nazia. 

- Non, non je voudrais que ce soit elle répondit -il en sortant son téléphone de sa poche trouée. 

- 06 51... poursuivit Nazia 

Il commençait à taper les premiers chiffres lorsque je donnais mes premiers signes de vie. Il s'arrêta, me regarda droit dans les yeux. Je détournai le regard. 

"Si elle ne veut pas me le donner, je ne vais pas le prendre. J'aimerais qu'elle me le donne mais je ne vais pas m'imposer."

Je ne dis toujours rien. Mais il restait posté là, devant moi, à attendre. Il n'attendait pas une réponse quelconque que ce soit un "oui" ou un "non". Non, il attendait LA réponse. Il attendait simplement mon numéro de ma propre petite voix inaudible car troublée. Il n'avait certainement pas l'attitude de quelqu'un prêt à être éconduit. 

Les minutes passant, j'acceptais ma défaite. 

"Mon numéro c'est le 06 51....."

Il sourit avec son sourire de conquérant puis répondit : " a quel nom ?" 

"Maya. Je peux connaître le tien ?" 

"Moi c'est Abel."

"Abel" répétai-je à voix basse (enfin je l'espérai suffisamment basse pour ne pas être entendu de l'assemblée et du protagoniste)

Abel. Quatre lettres. Abel. Deux voyelles. Abel. Deux consonnes. Abel. Une seule mélodie. Abel. Quel drôle de prénom ! 

Et étrangement, ce prénom le définissait parfaitement. Peu connu, mais à la fois historique. Mélodieux et à la fois déroutant à prononcer. Inhabituel et tellement facile à adopter. J'aimais définitivement ce prénom ; il me mettait mal à l'aise tout comme celui qui le portait. 

Puis il parti, sans vouloir me communiquer son numéro à lui. 

A nouveau, il parti et j'oubliais ces traits. Était-ce une illusion ? Une hallucination ? Un rêve ? Son image se désagrégé de ma mémoire. Ce n'était plus un souvenir. Certainement un rêve. Lointain. Du genre qu'on ne veut pas oublier mais dont on ne peut se souvenir. Seules les émotions restaient.

Je rentrais chez moi le coeur léger, non convaincue de la réalité. 

J'attendrais.  


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